Quand les mots précèdent les balles
Un édito d'Alain Lorfèvre.
- Publié le 16-06-2025 à 23h08
- Mis à jour le 16-06-2025 à 23h11

Après quarante-huit heures de traque, la police du Minnesota a finalement arrêté le suspect soupçonné d'avoir commis l'assassinat de l'élue démocrate Melissa Hortman et de son mari. Ce double crime s'ajoute à une liste de plus en plus longue d'actes de violence à l'encontre de personnalités officielles : élus, juges, responsables d'entreprise, activistes… Cet "ensauvagement" de la vie publique – pour utiliser une expression à la mode – a de quoi inquiéter dans une démocratie. L'Europe n'est pas immunisée : chez nos voisins français, nombre de maires sont l'objet de menaces, voire d'agressions. En Belgique, les bourgmestres ne sont pas épargnés.
Le double meurtre du Minnesota a, dans un premier temps, été unanimement condamné, par les Républicains comme par les Démocrates, y compris par Donald Trump. Le gouverneur du Minnesota, le Démocrate Tim Walz, a souligné qu'"un discours politique apaisé est au fondement de notre démocratie. Nous ne réglons pas nos conflits à coups de pistolet". Ses propos désignent la dérive du débat public, fait d'invectives, d'insultes voire de déshumanisation – dont Donald Trump s'est fait une spécialité.
Mais le Président des États-Unis est ensuite rapidement revenu à ses fondamentaux en traitant de "malades mentaux" les gouverneurs – démocrates – des États s'opposant à sa politique migratoire. Au cours des derniers mois, il a également qualifié de "racailles" les juges bloquant ses décrets ou de "vermines" ses opposants politiques.
Durant sa campagne électorale, le candidat Trump avait laissé entendre qu'il pourrait utiliser l'armée contre "l'ennemi intérieur", citant nommément l'ancienne présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, la Démocrate Nancy Pelosi – dont le mari a subi une agression au marteau, en 2022.
Donald Trump – lui-même visé par deux tentatives d'assassinat en 2024 – n'est certes pas l'auteur de ces crimes à connotation politique. Mais sa rhétorique enflammée, reprise par plusieurs membres de son Administration, ne fait qu'attiser la rage antisystème d'une part croissante de ses concitoyens. En ce sens, il porte une part de responsabilité non négligeable dans cette dérive.
En 2018, le psychothérapeute Gary Greenberg relevait que l'attrait du trumpisme est son invitation "à [se] débarrasser des liens de la conduite civilisée" et du contrat social. Ceux qui, en Europe, se laissent aller à singer le milliardaire désinhibé devraient se souvenir que des mots aux actes, la frontière est ténue.