Pots-de-vin, fraudes à la TVA et lames de rasoirs contrefaites : l'Olaf sort les griffes
Ce lundi, l'Office européen de lutte antifraude (Olaf) présente son rapport annuel 2024.

- Publié le 16-06-2025 à 20h42
- Mis à jour le 18-06-2025 à 07h25

Détournement de fonds, corruption, contrebande. Depuis plus de deux décennies, l'Office européen de lutte antifraude (Olaf) mène une guerre de l'ombre au service des intérêts financiers de l'Union européenne. Un combat certes discret, mais plutôt efficace. C'est ce que confirme, une fois encore, le rapport annuel de l'organisation publié ce lundi.
En 2024, l'Olaf a recommandé le recouvrement de 871,5 millions d'euros à restituer au budget de l'UE. Certes, c'est moins qu'en 2023 (1,04 milliard), mais c'est plus du double de 2022 (426,8 millions). Cet office indépendant affirme aussi avoir empêché que 43,5 millions d'euros ne soient indûment dépensés. Le tout grâce à ses enquêtes.
Au cours des trois dernières années, les investigations de l'Olaf ont ainsi permis de rapatrier 4,5 milliards d'euros dans les caisses des Vingt-Sept, mais aussi d'empêcher des dépenses irrégulières de plus de 800 millions d'euros.
Des centaines d'enquêtes
Il faut dire que les experts de l'Olaf ne chôment pas. Deux cent quarante-six enquêtes ont été clôturées l'an dernier, tandis que deux cent trente nouvelles ont été lancées. Parmi cette montagne de dossiers : l'affaire "Dobytkár" (éleveur de bétails en slovaque). Dans ce vaste scandale de corruption, des éleveurs ont versé pour près de 10 millions d'euros de pots-de-vin à des hauts fonctionnaires. Le but : accéder à des financements de l'UE via l'Agence des paiements slovaque (APA), en charge de répartir ces fonds européens.
Un peu plus au sud, en Hongrie, un réseau de corruption impliquant plusieurs employés du ministère de l'Économie a été découvert. Actif pendant sept ans, ce dernier favorisait certaines entreprises en échange de millions de forints (devise hongroise). Conséquence : 112 projets ont été impactés pour une ardoise totale de 75 millions d'euros. Dans la foulée de l'enquête de l'Olaf, le parquet central hongrois a inculpé 54 personnes.
En Roumanie, un ingénieux système de fraudes à 20 millions d'euros dans le secteur de l'eau a été déjoué. "L'enquête s'est concentrée sur un gang italien qui avait établi plusieurs sociétés écrans en Italie et en Roumanie entre 2018 et 2021. Ces entités roumaines ont obtenu cinq contrats financés par l'UE, dont quatre grâce à de faux documents. L'un des faux concernait une société de soutien, qui prétendait avoir travaillé en Irak en s'appuyant sur de faux documents pour étayer ses affirmations. Un examen plus approfondi a révélé que cette société n'avait jamais opéré dans ce pays", note le rapport. Cette entreprise gonflait par ailleurs son chiffre d'affaires via des faux. Les soumissionnaires vainqueurs de l'appel d'offres européen ont ensuite versé diverses commissions à des sociétés intermédiaires.
Chaussures de sport et rasoirs
Dans l'armoire à trophées de l'organe européen, on retrouve aussi la lutte contre les contrefaçons et la contrebande. Un exemple parmi de (nombreux) autres ? L'Olaf a démantelé, avec l'aide des autorités espagnoles et italiennes, un trafic de lames de rasoirs contrefaites. Au total, près de 900 000 faux produits ont été saisis.

Entre l'Euro de football en Allemagne et les Jeux Olympiques de Paris, la cuvée 2024 fut aussi une année riche en rendez-vous sportifs. Une période qui stimule les ventes des produits dérivés liés à ces compétitions ultra-médiatisées… mais qui profite aussi au marché des copies bas de gamme. "Dans le cadre de l'opération douanière conjointe menée par les douanes françaises et codirigée par l'Olaf et le Bureau d'enquête des douanes allemand, plus de 750 000 articles contrefaits ont été saisis, notamment des vêtements et des chaussures de sport, des jouets et des équipements sportifs".
Des deux-roues chinois frauduleux
L'Office joue également un rôle essentiel en matière de lutte contre la fraude à la TVA et aux droits de douane. Ses actions ont ainsi permis de récupérer ou d'éviter des pertes estimées à 623 millions d'euros. Selon le rapport : "L'Olaf et le Parquet européen (EPPO) ont par exemple révélé une fraude portant sur des importations de biodiesel aux Pays-Bas, dont le préjudice financier est estimé à plus de 60 millions d'euros. Nous avons aussi déclenché une enquête de l'EPPO sur une fraude à grande échelle portant sur des importations de vélos électriques en provenance de Chine. Cette fraude, portant sur environ 25 conteneurs introduits en contrebande via la Pologne, a impacté le budget de l'UE à hauteur d'au moins 1,8 million d'euros de droits impayés".
Dans les innombrables marchandises disponibles sur le marché noir, le tabac figure aussi parmi les plus prisées. En 2024, près de 130 millions de cigarettes et 310 tonnes de tabac brut ont été interceptées "évitant ainsi des pertes de plus de 96 millions d'euros pour les budgets de l'UE et des États membres".
Un organe efficace ?
Le bureau antifraude ne dispose cependant pas d'un quelconque pouvoir de poursuite. Il émet des rapports d'enquête et des recommandations aux institutions et pays concernées. Mais sont-elles suivies d'effets ? Pas toujours. Entre 2020 et 2024, seulement 39 % des recommandations de l'Olaf ont abouti à une inculpation (contre 37 % en 2023). La Belgique se montre plutôt bonne élève dans la classe européenne, se hissant en deuxième position derrière l'Italie, avec douze décisions prises par les autorités judiciaires.
Rappelons que les cours et tribunaux des États membres sont indépendants et ne sont pas tenus de considérer les recommandations de l'Olaf. Le taux de suivi demeure donc encore relativement faible. Un rapport (de 2023, cette fois) donne des pistes pour expliquer ces maigres résultats : "Les autorités nationales interprètent différemment le droit européen et le droit national ou les procureurs nationaux peuvent considérer que la preuve d'une infraction pénale est insuffisante. En effet, malgré les efforts d'enquête considérables déployés par l'Olaf, ses compétences limitées et ses contraintes pratiques en matière d'enquête ne lui permettent pas toujours de recueillir des preuves concluantes d'une infraction pénale".