Après les émeutes, du théâtre et de l'espoir pour la jeunesse sénégalaise
Une importante délégation belge s’est rendue au pays pour livrer son expérience. Festival, symposium et perspectives pour les enfants et adolescents confrontés au désert culturel.
- Publié le 22-04-2024 à 06h43
- Mis à jour le 29-04-2024 à 08h01
Par où commencer ? Par la course d’ânes sur la plage et les pirogues aux couleurs passées qui se languissent à fleur d’eau ? Par les pêcheurs fatigués d’une pêche trop maigre ? Ou par Marie-Odile Dupuis du Théâtre des 4 mains, qui assure n’avoir jamais joué dans de pareilles conditions, à ciel et coulisses ouverts, sur le sable, sous 35 degrés mais face à un public incroyable ? À moins de retenir les regards émerveillés de ces enfants, de ces adolescents, de ces familles venues en nombre croissant, comme un véritable essaim d’abeilles, assister gratuitement à l’un des spectacles du Festival international de la marionnette au Sénégal, Djaram’art.
Le plus simple, au terme d’une semaine riche en découvertes et en émotions, au lendemain de ce Festival qui a réuni des artistes de France, de Québec, de Belgique, du Togo ou du Burkina Faso et à l’issue d’un symposium qui va donner un sérieux coup de pouce au théâtre jeune public sénégalais, serait sans doute de raconter une histoire. Mais pourquoi s’intéresser à ce théâtre-là ? Pour garder un œil ouvert sur le monde. Pour suivre l’évolution d’un pays qui vient d’être chahuté par une crise politique sans précédent. Pour découvrir que le théâtre jeune public belge va servir de modèle à celui du Sénégal, en ce qui concerne son déploiement. Il s’agit de le vulgariser, de le développer, de le professionnaliser afin de permettre aux enfants d’avoir accès à l’art et à la culture, de développer leur créativité ainsi que leur esprit critique, de devenir des individus à part entière, de n’être pas, comme le disait le pédagogue Jean Piaget, un puits qu’on remplit mais bien une fontaine qui jaillit.
Une rencontre
Une histoire, donc. Une histoire d’amour… du théâtre jeune public, de la marionnette contemporaine, de la culture et du métissage. Une histoire qui, pour Alain Moreau du Tof théâtre à Genappe, commence au Festival de Charleville-Mézières en 2021. Il y rencontre Mamby Mawine pour la première fois. “Je la connaissais de réputation. Qui dans le monde, et plus précisément dans le monde du spectacle, n’a jamais entendu parler de cette femme artiste réputée ? Qui ?”
Suite à cette rencontre, Alain Moreau animera un stage de fabrication de marionnettes lors du festival Djaram’art. Il y retournera un mois plus tard pour donner une autre formation aux étudiants de l’Ecole nationale des Arts de Dakar. Il y découvre la jeune Astou Ndiaye, qui attire son attention par sa capacité naturelle à faire vivre une marionnette, ou Adama Cisse, ancien enfant de la rue, d’une présence scénique solaire. À la fin de la formation, Astou lui demande de créer un spectacle avec lui. Il en frissonne. L’histoire s’emballe. Il invite Mamby Mawine au festival Maboule à Genappe. Tous deux discutent longuement. Ils désirent travailler ensemble. Ils seront pour cela soutenus par Wallonie-Bruxelles international en étroite complicité avec la Délégation Wallonie-Bruxelles à Dakar, le ministère sénégalais de la Jeunesse, des Sports et de la Culture et l’Institut français. Pendant ce temps, la création de Keur Mame Boye avec Astou Ndiaye et Seynabou Faye sous la direction artistique d’Alain Moreau suit son cours. Toutes les forces s’unissent.
Mamby Mawine
Mais sans Mamby Mawine, cette histoire n’aurait jamais pu être racontée. Parce qu’elle fait partie de ces êtres capables de déplacer des montagnes. Lentement mais avec détermination. Mamby Mawine – de son ancien nom Patricia Gomis – ne fait et ne dit jamais rien au hasard. Elle parle avec le cœur et touche directement celui de ses interlocuteurs. Il y a, toutes proportions gardées, du Nelson Mandela en elle. Elle joue au Sénégal un rôle fondamental. Son désir est clair. Elle veut que les jeunes cessent d’embarquer sur des pirogues pour un Eldorado aux parfums d’enfer. Elle est artiste, autodidacte et engagée. “Je me suis bagarrée avec ma mère pour devenir comédienne. Ce n’est pas un métier, m’a-t-elle dit. J’ai obtenu une bourse pour aller en France. J’avais 24 ans. Mon logement était payé. J’avais une carte d’étudiante, une carte de réduction pour aller au cinéma. J’étais à Paris. Des spécialistes comme Ariane Mnouchkine, sont venus nous donner des cours. J’ai bénéficié de tout cela gratuitement et je me suis dit : un jour, moi aussi je vais rendre cette formation aux jeunes de mon pays”.
En 2005, elle crée l’association Djarama – comme bonjour et comment ça va en wolof – un pôle culturel, éducatif et agro-écologique qui comprend, entre autres, une école à pédagogie ouverte, un potager biologique, une résidence et des lieux de création. Par son combat, elle sort les enfants de la rue, leur rend fierté et envie de grandir chez eux. Grâce au programme Yaakaar, elle permet aux adolescents de bénéficier d’une formation culturelle ou maraîchère. Elle organise tous les deux ans le festival Djaram’art. Elle sillonne le monde depuis vingt ans avec ses spectacles et ses projets. Elle vient de loin, de presque rien, mais aujourd’hui, toutes les planètes s’alignent pour elle. Sa prestance et sa vision la mènent loin. Chevalier des arts et lettres en France, elle vient également d’être décorée par le ministère de la Culture au Sénégal. Elle déplace des montagnes et rassemble des amis et partenaires du monde entier. D’Afrique du Sud, du Québec, du Togo, de France ou de Belgique, ils sont tous au rendez-vous.
Un symposium
Dans la foulée de la huitième édition du festival, elle a organisé, dans le prestigieux Musée des civilisations noires à Dakar, un symposium international pour développer le spectacle jeune public, en collaboration avec le Tof théâtre. Parmi les nombreux orateurs, l’éditeur Emile Lansman et Cali Kroonen, directrice de La montagne magique, ce théâtre que nous envie le monde entier, ont fait le déplacement pour partager leur expérience. Une aubaine. Le secrétaire d'Etat à la Culture Bacary Sarr honora l’événement de sa première sortie officielle et fit part, devant de nombreux journalistes, curieux de le rencontrer, de l’attention qu’il compte octroyer à la jeunesse dans un pays où 50% de la population est âgée de moins de 19 ans. Il s’est engagé publiquement à ne mesurer aucun effort pour le développement de ce projet. “Le théâtre permet de raconter l’histoire des hommes et des femmes, des émotions dont ils sont le réceptacle. Il sert aussi à rassembler les hommes” a-t-il notamment déclaré. Toutes les déclarations des décideurs politiques ou culturels présents lors de l’événement étaient nourries des mêmes promesses. Celles-ci semblent annoncer une ère nouvelle pour le théâtre jeune public au Sénégal qui espère un avenir meilleur suite à l’élection en mars dernier du président Bassirou Diomaye Faye, libéré de prison une dizaine de jours à peine avant le scrutin. Le pays doit panser ses plaies et relever de grands enjeux. Le théâtre pourrait être un levier intéressant et notre petit pays un modèle inspirant. “Je suis très émue. C’est un rêve de vingt ans qui se réalise”, déclare Mamby Mawine, la gorge serrée, à une assemblée qui retient difficilement ses larmes. Reste à espérer que le plaidoyer à paraître, sous forme de livre blanc, soit lu par les bonnes personnes, débattu avec les gens de terrain, encourage les artistes à créer le théâtre qu’ils aiment, qu’ils ont envie de voir et qui touchera les enfants – au lieu de répondre aux sirènes de l’Occident – et, bien entendu, que les moyens financiers soient à la hauteur du défi. Voilà ce que semble penser Mame Boye, le regard amusé et la lèvre tombante, marionnette à taille humaine, plus vraie que nature, mère sénégalaise en robe et coiffe fuschia, manipulée devant tous les participants au Symposium avec un naturel désarmant par la jeune Astou. Magnifique Mame Boye… Le public est conquis et la relève assurée.