Naître et mourir dans la dignité
Éclairons le débat autour de la fin de vie en observant nos existences par l’autre bout de la lorgnette : la naissance.
- Publié le 27-04-2024 à 13h19
Une opinion d’Armand Lequeux, chroniqueur
Le plaidoyer récent de Luc Van Gorp, président des mutualités chrétiennes néerlandophones, en faveur d’une modification ‘’en souplesse‘’ des soins de fin de vie pour faire face aux défis financiers du vieillissement a de quoi bouleverser notre société dans son ensemble. Nous sommes tous concernés par ce projet d’euthanasie douce comme vieux, demi-vieux ou futurs vieux ! Cette proposition scandaleuse a de quoi réveiller nos consciences qui risquaient de s’endormir au nom de notre expérience de vingt ans de dépénalisation de la mort médicalement assistée. Cet engourdissement béat qui pourrait nous faire croire qu’une question légalement et juridiquement réglée ne se pose plus serait la plus mauvaise chose qui puisse nous arriver dans ce domaine. Comme vous sans doute, j’ose espérer que nous pourrons continuer à nous interpeller les uns les autres avec respect à propos d’un sujet aussi intime qui, mobilisant les notions de dignité et d’autonomie, interpelle in fine le sens que nous tentons de donner à tâtons à nos existences. Le dialogue ne doit pas seulement être possible, il est indispensable et doit éviter les positions dogmatiques si souvent éloignées des situations cliniques, c’est-à-dire étymologiquement vécues au lit du malade.
La naissance, degré zéro de la maîtrise de son destin
Éclairons, si vous le voulez bien, le débat autour de la fin de vie en observant nos existences par l’autre bout de la lorgnette : la naissance. Ne s’agit-il pas, pour chaque vie humaine, en ce moment unique, crucial et irréversible, du degré zéro de la maîtrise de son destin ? Nous aurions, en effet, pu naître à Goma, à Gaza ou dans une famille rohingyas du Myanmar et connaître un tout autre destin que le nôtre. Degré zéro également pour l’autonomie de l’individu à sa naissance. Si vous avez connu le bonheur d’être à la merci des exigences concrètes, impératives et permanentes d’un nourrisson, vous avez pris conscience de la totale dépendance des petits humains.
Cependant, si nous sommes vivants aujourd’hui, c’est que d’une manière ou d’une autre, par amour ou par nécessité, par choix ou par résignation, nous fûmes accueillis tels que nous étions, débarqués sur cette planète sans jamais l’avoir voulu, parfaitement nus, démunis et fragiles. Notre dignité nous fut offerte sans condition. Cadeau de l’espèce humaine qui promet à chacun de nous, selon la Déclaration universelle des droits de l’Homme, de naître libres et égaux en dignité et en droit. Dans les faits, cette promesse n’est pas tenue pour de trop nombreux enfants qui naissent dans des conditions psychologiques, sociales et économiques trop précaires pour leur assurer plus que le minimum vital, mais il faut s’accrocher à cette promesse comme un paysan persiste à semer sans être certain de sa récolte.
Pas pleinement propriétaires de notre vie
Dès les premiers jours de notre vie, nous fûmes reconnus, nommés et inscrits officiellement au registre d’état civil. En ces temps où les revendications identitaires prennent volontiers les accents égotiques de l’autoconstruction de soi, il est bon de se rappeler que notre identité première ne fut dépendante ni de notre désir ni de notre volonté. Quelle que soit l’intensité de notre rêve de toute puissance, nous ne pouvons prétendre nous être créés nous-mêmes. Sans doute ne sommes-nous jamais pleinement propriétaires de notre vie. Heureux sommes-nous d’en avoir l’usufruit ! Ce titre nous permet-il d’en user à notre guise et d’y mettre fin selon notre volonté ? À chacun sa réponse et celle d’aujourd’hui ne sera peut-être plus valable demain tant il est vrai qu’une position de principe prise calmement et sans douleur dans un salon confortable risque bien d’être ébranlée aux jours d’angoisse et de souffrance. Nous n’aurons peut-être pas vraiment le choix, mais pourquoi ne pas nous entraîner à répondre à ces questions existentielles ? Être possesseur et maître de son existence ou la recevoir d’autrui ? Nourrir un fantasme de toute puissance ou comprendre que notre fragilité est la condition des vraies rencontres ? Refuser de peser sur notre entourage ou faire confiance à sa capacité de nous aimer tels que nous sommes ? Quoi qu’il en soit, nous ne pourrons pas plus refuser de mourir que nous ne pûmes refuser de naître et nous serons nus comme au premier jour de notre vie.