"Le feu des Lucioles" de Xavier Hanotte : un insolite roman à l'humour grinçant
Dans le nouveau roman de Xavier Hanotte plane le fantôme d’un jeune poète mort en Normandie en juin 1944.
- Publié le 27-04-2024 à 11h57
Il y a six mois, de Xavier Hanotte paraissait chez Weyrich Un parfum de braise : l'académicien belge y remettait en scène le protagoniste de quelques-uns de ses romans depuis 1995. Il s'agit, bien sûr, de l'inspecteur de police judiciaire Barthélemy Dussert qui - à l'instar de son père spirituel - est aussi un traducteur en français du poète anglais Wilfred Owen, né le 18 mars 1893 et mort au champ d'honneur, en France, le 4 novembre 1918, quelques jours à peine avant l'armistice. Dans Un parfum de braise, il était déjà aussi question d'un autre écrivain d'outre-Manche, Keith Douglas, dont le fantôme erre dans Le feu des Lucioles.
Même nom, même prénom
Ce roman-ci ressuscite ce "lointain successeur littéraire" de Wilfred Owen : Keith Douglas, fauché par la Camarde le 9 juin 1944, trois jours après le débarquement allié sur les plages de Normandie. Keith n'avait que 24 ans et ses écrits restaient à découvrir ; trois d'entre eux figurent dans l'Anthologie bilingue de la poésie anglaise parue en 2005 dans la Bibliothèque de la Pléiade. Il repose au cimetière de Tilly-sur-Seulles, à une vingtaine de kilomètres de Caen.
Quelques semaines après la fin tragique du capitaine Douglas, un sergent belge de la brigade Piron, Frédéric Dutrieux, trouve à son tour la mort au combat, le 23 août 1944, au sud de Deauville, lors des opérations pour libérer la région. Autre personnage, quarante années plus tard : le petit-neveu de Frédéric Dutrieux qui porte le nom et le prénom de son grand-oncle. Ce Frédéric-là, diplômé en philologie germanique, a consacré son mémoire à Keith Douglas dont l’œuvre et le destin l’émeuvent.
Province du fantastique
Narrateur du Feu des Lucioles, il évoque en de longues pages, à l'humour grinçant, la période d'instruction de son service militaire, passée non sans blessure, dans la banlieue d'Anvers. Douglas et les deux Dutrieux évoluent à travers les lieux et le temps au fil d'un livre à l'écriture précise. Un roman dont la lecture réclame une attention certaine : sans celle-ci, on s'expose au risque d'un rien perdre pied, se demandant si c'est tel personnage ou tel autre que l'on croise dans la traversée d'un récit où les brouillards sont les rideaux de l'âme.
Cet insolite roman a des vibrations du réalisme magique, province du fantastique chère à l'auteur des Lieux communs qui fut le traducteur d'œuvres de deux maîtres dudit réalisme : le Flamand Hubert Lampo et le Néerlandais Maarten't Hart. Un roman à l'architecture subtile, qui confirme combien Xavier Hanotte entretient d'étroits liens avec la poésie, langue étrangère comme l'a dit Jean Cocteau.
Personnellement, nous eûmes aimé que le narrateur du Feu des Lucioles en dévoilât davantage à propos de la brune Lutgard - qu'il trouve "effroyablement sexy dans son bel uniforme de sortie, surtout avec les bottes de cuir noir" - dont il ne parle qu'en quelques lignes à la toute fin du livre…
⇒ Le feu des Lucioles | Roman | Xavier Hanotte | Belfond, 218 pp., 20 €, numérique 14 €
EXTRAIT
"Là-haut, par-delà l’eau noire, dansaient lentement de fragiles lueurs vertes. Leur phosphorescence me rappelait des taches de soleil jouant à travers le feuillage assombri d’un bosquet. En moi, la peur avait disparu. Immobile, je demeurais flottant, suspendu, enfin réconcilié avec le monde et l’univers liquide qui m’accueillait au creux de son infini silence. Un état de béatitude apaisée gouvernait tout mon être. Le temps n’existait plus."