"Quelle est la prochaine étape ? Bientôt le PS et Ecolo écriront les questions d'examens à notre place..."
Pour Elise Degrave, il y a énormément de mauvaise foi de la part des socialistes et des écologistes. "J'ai vraiment l'impression que ce sont des éléphants qui débarquent dans un magasin de porcelaine."
- Publié le 27-04-2024 à 11h43
- Mis à jour le 27-04-2024 à 11h53
Victoire pour les écologistes et les socialistes. Leur révision de la réforme Glatigny est passée, avec l'appui du PTB. Le verdict est tombé, ce vendredi à 6h30. S'il n'est pas sans appel, il sonne quand même comme une sacrée déconvenue pour les milliers de professeurs mobilisés depuis plusieurs semaines pour s'opposer à un retour en arrière pour l'enseignement supérieur, qu'ils jugent mal venu. Et maintenant ? Dans les rangs des universités et hautes écoles, on s'interroge. Comment mettre en oeuvre une réforme d'un décret que l'on venait à peine d'instaurer ? "C'est très compliqué", s'émeut Elise Degrave. La professeure de la Faculté de droit de l'UNamur est d'ailleurs l'une des premières à avoir tiré la sonnette d'alarme suite aux tractations du PS et d'Ecolo, qu'elle juge "graves". En vain. Mais face aux dangers de cette réforme qu'elle nous décrit sans langue de bois, elle n'a pas dit son dernier mot. Elise Degrave est l'Invitée du samedi de LaLibre.be.
Le PS et Ecolo ont réussi à faire passer leur texte ce vendredi 26 avril, avec l'aide du PTB, pour faire réviser le décret Glatigny de 2021. Est-ce un coup de massue pour vous ?
Oui. Ce décret est passé sans garde-fous. Ils n'ont pas auditionné de représentants du secteur et n'ont pas attendu l'avis du Conseil d'Etat, malgré de très nombreuses alertes rouges. Ce texte est donc très problématique sur le plan juridique. Notamment parce qu'il crée une différence de traitement injustifiée entre les étudiants. Certains bénéficieront d'un traitement de faveur et pas d'autres. Un recours à la Cour constitutionnelle est possible.
N'aurait-il pas fallu encore attendre avant de parler de réforme sachant que le décret n'était en place que depuis peu ? Il est compliqué d'en évaluer les effets à l'heure actuelle...
Je voyais déjà les effets... positifs ! Ça a eu un impact impressionnant en janvier. Nos auditoires étaient remplis. Ce qui n'était plus arrivé depuis plusieurs années... En plus, les étudiants avaient révisé et étaient motivés. Ils ont réussi et ils ont bien réussi. J'étais ravie. La réforme de 2021 est venue mettre des pansements sur les plaies laissées par le décret Marcourt voté en 2013, qui a été la plus grande catastrophe qu'a connue le monde universitaire jusqu'ici.
Avant l'intervention de Mme Glatigny et sa réforme, la situation était catastrophique ?
Oui. J'ai assisté à la dégradation engendrée par le décret Marcourt, qui a fait sauter le concept d'année. Les étudiants n'avaient plus de cadre, devaient faire leur menu à la carte. Or, ils étaient incapables de savoir ce qui était bon à prendre pour avoir un menu équilibré. S'ils rataient leur première année, ils pouvaient anticiper avec des cours de deuxième année. Par orgueil, ils le faisaient. Mais on leur a vendu du rêve et ils finissaient par parfois devoir suivre des cours qui avaient lieu en même temps, à devoir passer des examens qui avaient lieu en même temps. Et, en plus, ils savaient qu'ils pouvaient passer les épreuves autant de fois qu'ils le souhaitaient. On avait donc des étudiants qui venaient à l'examen les mains dans les poches, en se disant que sur un malentendu ça pouvait passer. Le décret Marcourt avait cassé aussi l'esprit de groupe puisqu'il n'y avait plus l'idée de première année ou de deuxième année. J'ai vu des étudiants très seuls, qui n'avaient pas forcément de connaissances dans l'auditoire.
Êtes-vous encore souvent confrontée à des cas problématiques ? Des étudiants qui ne viennent pas en cours et qui passent sans cesse le même examen sans le réussir ?
Quand les étudiants doivent représenter l'examen pour mon cours de première année, ils ne viennent plus dans l'auditoire durant le semestre. Ils préfèrent assister à des cours de deuxième ou troisième année. A l'examen, ils mélangent les notions qu'ils ont déjà vues en deuxième ou troisième année. J'ai récemment été confrontée à un étudiant qui passait mon examen pour la 12ème fois ! Et ça n'allait toujours pas... Ils essaient d'aller à l'usure mais c'est très mauvais aussi pour l'estime d'eux-mêmes, vu qu'ils ne font jamais les choses d'un bon coup.
Étiez-vous tout à fait d'accord avec le décret Glatigny tel qu'il existait ?
Personnellement, j'aurais aimé que ce décret aille plus loin, en remettant en place le concept d'année pour que les étudiants y voient plus clair. Au moins, le décret Glatigny imposait que la première année soit réussie en deux ans, les trois premières années en maximum cinq ans. Je trouvais cette balise assez soft et pourtant très utile. Cela avait le mérite de remettre un cadre.
Comment expliquer que, soudainement, le PS et Ecolo ont ressenti ce besoin de revenir en arrière, de "sauver" les étudiants, après avoir pourtant validé le décret de Mme Glatigny ?
Il y a énormément de mauvaise foi de la part d'Ecolo, du PS et du PTB autour de la question de finançabilité. J'ai vraiment l'impression que ce sont trois éléphants qui débarquent dans un magasin de porcelaine. Ils ne savent pas où ils mettent les pieds mais pourtant ils s'y engouffrent pour des raisons purement électoralistes. Détricoter une réforme qui est bonne, que l'on essaie de mettre en place depuis deux ans, c'est grave !
Outre la décision, le timing vous pose problème ?
Ils connaissent tellement peu le secteur qu'ils ne sont pas conscients que leur texte va être impossible à appliquer. On a mis deux années à élaborer les programmes informatiques pour le décret Glatigny, qui permettent d'avoir une vue précise sur chaque étudiant. Nos délibérations de juin sont déjà préparées dans ce sens. Il est impossible de changer quoi que ce soit d'ici là et même d'ici août. Ce n'est pas maintenant qu'on va d'un coup pouvoir tout changer ! Donc même si cette réforme est passée, je crains qu'il soit vraiment très difficile de l'appliquer.
Pour Ecolo et le PS, il était clair que le décret Paysage allait mettre injustement un terme au cursus de nombreux étudiants... Pouvez-vous l'entendre ?
Je ne peux pas du tout l'entendre. Quand on en est à se demander si l'étudiant est encore finançable, c'est que l'étudiant a déjà joué toutes ses cartes. C'est un étudiant qui est essoufflé et il ne suffit pas de lui donner une année supplémentaire. C'est comme donner une bouée de secours à un enfant plutôt que de lui apprendre à nager. Il faut se pencher sur son dossier et regarder avec lui pourquoi ça n'a pas été. Et surtout il faut envisager toutes les possibilités, y compris celle de complètement changer de voie. Cet accompagnement est très important. J'ai déjà pu voir à quel point certains s'étaient trompés d'orientation et combien ils sont plus heureux maintenant qu'ils ont changé. La société pousse tout le monde vers les études supérieures alors qu'il y a beaucoup d'autres options tout aussi intéressantes.
Le PS et Ecolo ont oublié aussi qu'il existait des filets de sécurité que l'on pouvait enclencher pour les étudiants qui auraient eu un accident de vie. On en est informé lors des délibérations et on en tient compte. On peut passer au blanc un échec. Ce qu'a dit la FEF est donc faux: un étudiant ne va pas voir sa vie être ruinée par un 9/20. On peut valider un 9/20, en disant qu'il y a eu un problème et que le profil est bon. C'est du grand n'importe quoi.
De nombreux professeurs ont tiré la sonnette d'alarme après la présentation du texte du PS et d'Ecolo. Vous y compris. Mais il semblerait que vos voix n'ont pas été entendues...
C'est vraiment scandaleux. Ce qui montre encore plus la mauvaise foi des politiciens, c'est qu'ils n'ont pas voulu nous auditionner au Parlement, alors que nous étions nombreux à être demandeurs. Ils prennent cette mesure sans connaître le secteur et sans chercher à le connaître. Or il y a eu suffisamment de réactions pour montrer qu'ils se trompent. Ils foncent tête baissée en cassant des tas de choses sur leur passage !
Pourtant, Paul Magnette a affirmé avoir redonné de l'espoir aux étudiants, avoir "rallumé la lumière". Que lui répondez-vous ?
C'est terrible. J'aurais voulu entendre de la part du PS et d'Ecolo qu'ils nous font confiance. Quelle est la prochaine étape ? Ils vont faire les questions d'examens à notre place parce qu'ils estimeront qu'elles sont trop difficiles ? Qu'on nous laisse faire notre métier ! On n'a pas besoin d'une telle intrusion du politique. Ce n'est pas à eux à délibérer à notre place, à se présenter en sauveurs des étudiants. Ils ne sont pas là au quotidien. Ils ne connaissent rien de ces étudiants. C'est une motivation purement électoraliste. J'ai la conviction qu'ils se sont dit que ces étudiants étaient intéressants pour les élections Mais ont-il pensé au fait qu'ils allaient perdre la confiance non seulement des professeurs, mais également des équipes administratives et pédagogiques ?
Des personnalités du monde académique comme Marius Gilbert se sont quand même montrées plutôt favorables à cette révision du décret. Le vice-recteur de l'ULB a estimé que dans son université 300 étudiants allaient être non-finançables, si l'on ne changeait rien...
C'est surprenant, parce qu'il est impossible de donner des données chiffrées sur les étudiants non-finançables dès maintenant, vu que les examens n'ont pas encore eu lieu. Il va y avoir des échecs en juin, mais les étudiants pourront les repasser en septembre. Avant mi-septembre, on n'aura pas de données valables puisqu'on n'a pas de boule de crystal.
Marius Gilbert a tout de même estimé qu'il fallait tenir compte de la période difficile qu'a été le Covid pour ces étudiants...
Des tas de choses ont été faites pour ces étudiants Covid. En plus, on peut se demander combien de temps encore va-t-on considérer ces jeunes comme étant la génération Covid ? J'ai l'impression qu'on remonte de plus en plus. Va-t-on finir par estimer que ceux qui étaient en maternelles à l'époque du Covid doivent bénéficier d'un traitement de faveur à l'université ? Tous ceux qui sont nés après 2021 ont subi le Covid... Et puis, il ne faut pas oublier que nous-mêmes, professeurs et équipes administratives avons subi le Covid. Il y a eu une augmentation de burn-out incroyable. On a tout donné pendant cette période pour trouver des façons de donner cours à distance. Donc il faut arrêter avec ce discours ! D'autant qu'on va nous replonger dans un tsunami administratif, qui fait qu'on va tous craquer.
Cette révision du décret a été entamée suite à un appel à l'aide de la FEF, qui a estimé que 70.000 étudiants ne seraient plus finançables. Comment se fait-il que le syndicat étudiant a sorti un tel chiffre que tout le monde dit irréaliste ?
Ils courent un peu comme des poules sans tête. Je ne sais pas d'où vient ce chiffre exorbitant mais il a été démonté dans tous les sens. Le discours de la FEF était très alarmiste, mais à côté de la plaque. Ça a mis le feu aux poudres. Mais il y a une erreur ensuite de la part de certains partis politiques de s'être saisis de cette affaire. Si on n'avait pas été en campagne électorale, ça aurait fait pschit.
Le syndicat étudiant a-t-il trop de pouvoir ?
Je ne sais pas si la FEF a trop de pouvoir ou si elle a bien occupé la scène médiatique. Ce que je peux dire en tous les cas, c'est que tous les étudiants ne se retrouvent pas dans le discours de la FEF. Loin de là ! Beaucoup d'étudiants prennent leurs études très au sérieux et bossent. Ça les inquiète de voir qu'il y a des diplômes au rabais. Est-ce que les gens se diront encore en voyant un diplôme d'une haute école ou d'une université que son détenteur a travaillé dur pour l'obtenir et qu'il répond à toute une série de critères très exigeants ? On voit de plus en plus d'étudiants qui partent à l'étranger parce que le diplôme universitaire belge perd de sa valeur. Ils vont chercher un diplôme ailleurs pour être plus concurrentiel.
Ressentez-vous une baisse de niveau ces dernières années au sein de l'Enseignement supérieur ?
Oui. C'est indéniable. On ressent que, pour de multiples raisons délicates probablement, la formation en secondaire n'est plus la même. En tant que professeure de droit, ça me frappe de voir des étudiants qui n'argumentent plus. On voit que beaucoup d'étudiants ne font plus de dissertation à l'école. Il y a aussi la responsabilité des écrans puisqu'ils sont nés avec ça. Ce sont des jeunes qui ont un cerveau Google. Ils sont habitués à faire des recherches par mots-clés. Beaucoup ne savent plus ce qu'est une table des matières, ni structurer leurs pensées. Il faut le leur apprendre alors qu'auparavant c'était en général mieux acquis. Ce sont en plus des étudiants qui ne lisent plus de livres. Certains écrivent en émoji. Et je ne vous parle même pas des fautes d'orthographe.
Face à cette baisse de niveau, se pose la question de l'année préparatoire. Il y a un vrai enjeu de remise à niveau avant d'entamer un cursus universitaire. Énormément de choses sont déjà mises en place, mais les étudiants, qui en ont le plus besoin, n'y vont pas assez, voire pas du tout. Il y a un manque de responsabilisation par rapport à leur métier d'étudiant. Il faut retaper sur le clou et leur dire que c'est leur destin qu'ils ont en main.
Craignez-vous que ce niveau baisse encore davantage suite la décision du PS et d'Ecolo ?
Oui, vraiment. Il n'y aura à nouveau aucun incitant à la réussite. Les étudiants refréquentaient les auditoires et saisissaient les perches pédagogiques qu'on leur tendait. Mais ce revirement de situation des politiques va changer la donne et recréer du "tourisme étudiant". On va continuer dans ce nivellement par le bas. On court le risque de devoir un jour instaurer un examen d'entrée, qui lui pourrait être à l'origine d'inégalités. C'est là qu'on voit que le PS et Ecolo ne connaissent pas le secteur de l'Enseignement supérieur. Ils ont mis en place quelque chose qui va avoir des effets pervers à long terme.