Un déconfinement, oui mais comment ?
- Publié le 04-04-2020 à 08h56
- Mis à jour le 04-04-2020 à 08h58
La ministre de l’Économie a loupé une occasion de se taire, entend-on dans l’entourage du gouvernement fédéral…
Lundi, dans Het Laatste Nieuws , Nathalie Muylle (CD&V) abordait la question de la sortie de crise du coronavirus et de la stratégie de "déconfinement" à mettre en place. "Pour moi - et je me prononce à titre personnel, pas en tant qu’expert - il me semble que la réouverture des écoles doit être la première étape, pour reprendre graduellement , disait la ministre Muylle. Je pense que les commerces et la fin du télétravail seront les suivantes. Il me semble aussi logique que les loisirs et les rassemblements - l’Horeca et les évènements - ne soient pas les premières étapes."
Ce genre de déclarations, c’est exactement ce que la Première ministre Sophie Wilmès (MR) veut éviter. "Il revient aux spécialistes, sur base d’une analyse de risque rigoureuse, d’envisager secteur par secteur ce qui peut rouvrir et à quel moment , nous dit-on dans un cabinet ministériel. Ce ne sont pas les politiques qui doivent sucer cela de leur pouce, éventuellement influencés par des lobbies."
Jeudi, à la Chambre, la Première ministre confirmait que "nous devons […] plancher dès à présent sur un scénario de sortie de crise" . "Pour ce faire , expliquait-elle, je tente de rassembler pour le moment un groupe d’experts de haut niveau. Ce groupe aura pour objectif d’élaborer une vision stratégique de déconfinement progressif. [Il] sera composé de membres éminents du monde scientifique - la santé d’abord - mais aussi de membres du monde économique et social." Les Régions devraient également y être représentées.
"Pas de grande fête à la fin du confinement"
Parmi les questions que les experts devront trancher, il y a celles du dépistage massif de la population et de l’évaluation du taux d’immunité de cette dernière contre le Covid-19. D’aucuns évoquent l’idée d’un confinement sélectif : les personnes les plus vulnérables et âgées seraient les dernières à pouvoir quitter leur domicile, tandis que les tests massifs permettraient de pouvoir isoler plus rapidement les personnes contaminées. La capacité de dépistage en Belgique doit atteindre les 10 000 tests par jour ce week-end, indiquait, jeudi, à la Chambre, le ministre en charge de cette problématique, Philippe De Backer (Open VLD).
La question de la disponibilité des masques de protection et de leur port éventuel par une très large partie de la population (on parle alors de masques en tissu, et non de masques chirurgicaux ou FFP2 réservés aux publics prioritaires) devra aussi être clarifiée.
Enfin, il est acquis que le déconfinement se fera de manière graduelle. "On ne pourra pas, du jour au lendemain après le confinement, faire une grosse fête, aller embrasser ses grands-parents, etc. , explique l’infectiologue Béatrice Swennen (ULB). Si on ne fait pas un déconfinement progressif, le rebond de la pandémie sera inévitable et on va se retrouver dans la même situation qu’il y a trois semaines, voire dans une situation pire. Il va être difficile de retrouver une vie totalement normale avant la découverte d’un vaccin" , sans doute pas avant début 2021.
On en revient à la question de départ : quels secteurs privilégier, compte tenu des impératifs en termes de santé publique ? Pour Olivier Willocx, l’administrateur délégué de Beci (le patronat bruxellois), il n’y a pas de conflit entre le monde scientifique et économique sur ce point précis. " Nous sommes conscients qu’il faut reprendre une activité progressivement et prudemment, car le pire qui puisse arriver est un rebond de la pandémie. Ce serait à la fois dramatique pour l’économie, le moral des gens, mais aussi l’image de la Belgique à l’extérieur. Personne n’a envie de prendre des risques." Selon lui, plutôt que d’envisager un redémarrage secteur par secteur, il faut privilégier une vision transversale. " Tout est lié dans notre économie : l’Horeca a, par exemple, besoin de ses fournisseurs, qui ont eux-mêmes besoin du secteur logistique, etc. Il faut surtout voir comment on peut remettre les gens au travail sans mettre en danger leur santé et celle des autres."
"Une pression des employeurs"
Côté syndical, le ton est différent. " Nous sommes encore en pleine pandémie et la priorité doit être la santé et non de partir la fleur au fusil pour une relance économique" , s’insurge Felipe Van Keirsbilck, le secrétaire général de la CNE (CSC). Il dénonce les "pressions" des employeurs, "surtout du nord du pays" , pour une sortie rapide du confinement. "Il faut surtout mettre fin aux abus : des entreprises tournent à plein régime et ont recours au chômage temporaire pour leurs malades, des travailleurs en première ligne sont très mal équipés contre la pandémie. La relance économique est importante, mais on doit tirer les leçons de cette crise et avoir une réflexion sur le modèle social que nous voulons en Belgique."
La CNE s’inquiète aussi pour certains métiers précaires et "oubliés" des mesures de soutien et dont l’activité risque d’être fragilisée pour plusieurs mois encore. " On pense, par exemple, aux intermittents du spectacle : les salles de théâtre et de cinéma seront sans doute les derniers lieux à rouvrir après le confinement."
Si tout le monde s’accorde sur la nécessité d’une stratégie de sortie de crise, il ne faut toutefois pas se leurrer. Le "déconfinement" n’est pas pour tout de suite. Les mesures actuelles de confinement courent jusqu’au 19 avril, fin des vacances de Pâques. Et il y a une réelle probabilité qu’elles soient prolongées jusqu’au 3 mai. Dans les écoles, en tout cas, on ne s’attend pas à une réouverture avant cette date.