L’espionnage russe en Belgique et en Europe "a considérablement augmenté" selon le SGRS
Les services de renseignement sont alertes après les affaires qui ont secoué l’Italie et la Bulgarie.
- Publié le 10-04-2021 à 12h53
- Mis à jour le 10-04-2021 à 16h18
L’espionnage russe en Belgique et en Europe "a considérablement augmenté" depuis que Vladimir Poutine s’est installé au Kremlin et que la Russie a annexé la Crimée en 2014, selon le Service général du renseignement et de la sécurité (SGRS) de l’armée. Il reste "une menace persistante", notamment "hybride", selon la Sûreté de l’État. Telle est l’analyse des deux services de renseignement belges après les différentes affaires qui ont secoué ces derniers mois l’Italie, la Bulgarie, la France, les Pays-Bas ou la République tchèque.
La plus récente est l’arrestation d’un officier de la marine italienne, pris la main dans le sac, le soir du mardi 30 mars à Rome, en train de livrer 181 documents classifiés à un militaire russe. Selon la presse italienne, Walter Biot aurait vendu pour 5 000 euros des captures d’écran prises avec son téléphone portable de documents secrets, dont 47 estampillés "Otan". Il prenait les photos dans son propre bureau, ignorant que le service de contre-espionnage de l’armée italienne, qui se méfiait de lui, y avait placé une caméra.
Les espions russes ne sont pas tombés par hasard sur le capitaine de frégate. Celui-ci connaissait des problèmes d’argent, selon sa femme, interrogée par le quotidien Il Corriere della Serra. Son salaire de "3 000 euros ne suffisait plus pour une famille avec quatre enfants, quatre chiens […] et 1 200 euros de prêt immobilier à rembourser chaque mois", a-t-elle confié.
En Bulgarie, deux diplomates russes ont été expulsés le 22 mars après que le parquet de Sofia a dévoilé l’existence d’un réseau supervisé par un ancien dirigeant du renseignement bulgare, qui transmettait des informations classifiées à Moscou via son épouse, qui avait la double nationalité bulgare et russe. Les membres de ce groupe rencontraient leur chef notamment lors de parties de tennis. Selon le procureur général Ivan Geshev, l’affaire est "sans précédent depuis 1 944", date du coup d’État communiste en Bulgarie.
Un "élément crucial" de la Russie de Poutine
L’espionnage russe est une vieille histoire. Intense pendant la guerre froide, ralenti après la chute du mur de Berlin, il a néanmoins repris avec l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir. "L’importance des services de renseignement a augmenté de façon exponentielle" quand Poutine, lui-même un ancien directeur du FSB (successeur du KGB), a accédé au poste de président de la Russie, estime le SGRS dans une réponse aux questions de La Libre. "L’ambition de Vladimir Poutine est de remettre la Russie sur la carte en tant que puissance mondiale, et les services secrets sont un élément crucial de son arsenal pour y parvenir."
La Belgique, pays hôte de l’Otan et de l’Union européenne (UE), est "une cible de choix", de même que "les services publics belges et nos entreprises de haute technologie". En 2019, le service d’action extérieure de l’UE estimait à "200" le nombre d’espions russes en poste à Bruxelles, un chiffre qui semble surestimé et difficile à globaliser. Car l’espionnage peut prendre plusieurs formes : des agents du SVR, le service extérieur russe, déployés en Belgique, des informateurs payés ponctuellement ou des agents faisant des allers-retours depuis Moscou, Paris ou ailleurs.
À chaque affaire, les pays occidentaux expulsent. Ce fut le cas avec l’affaire Skripal en 2018 lorsque les pays européens, le Canada et les États-Unis expulsèrent plus de 150 diplomates russes. Mais des agents reviennent, sous un autre nom, sous une autre couverture, et tout recommence.
La notion de "menace hybride"
Comme le rappelle la Sûreté, désormais "il s’agit d’une menace hybride : différents moyens d’espionnage sont utilisés tels la désinformation, l’espionnage classique et des activités cyber". Selon le SGRS, la Russie mène cette guerre en particulier contre l’Otan et l’UE, "des organisations qui, selon Moscou, font obstacle à son statut légitime de puissance mondiale".
Les affaires révélées en Italie et en Bulgarie sont de type classique. Elles visaient à recruter des "sources humaines" à l’intérieur des organisations, des personnes rétribuées pour les informations qu’elles récoltent. Souvent, les services de renseignement, pas uniquement russes, jettent leur dévolu sur des personnes faibles, souffrant d’estime de soi, en difficulté financière ou idéologiquement proches. Mais ces personnes "peuvent aussi être utilisées pour influencer ou endommager des organisations de l’intérieur. Les services de renseignement russes sont particulièrement capables et désireux de recruter des individus bien placés", constate le SGRS.
Pourtant, l’accent a été mis ces dernières années sur des moyens plus modernes. Ceux-ci incluent les "usines à trolls" qui inondent les pays occidentaux de fausses informations, de reportages tronqués ou de théories du complot, mais aussi les cyberattaques, contre des organisations publiques ou privées "que la Russie considère comme gênantes, comme l’OIAC à La Haye", l’organisation pour la prohibition des armes chimiques. À chaque fois, l’objectif, selon les experts occidentaux, est de déstabiliser l’opinion publique et de discréditer les gouvernements en place. Bref, la vieille devise : "Diviser pour régner."