Zakia Khattabi loin de siéger à la Cour constitutionnelle à cause de la N-VA
Selon nos informations, la N-VA, qui l’assume publiquement, ne votera pas en faveur de Mme Khattabi, pas plus que le Vlaams Belang.
- Publié le 06-12-2019 à 02h00
- Mis à jour le 12-12-2019 à 11h40
Selon nos informations, la N-VA, qui l’assume publiquement, ne votera pas en faveur de Mme Khattabi, pas plus que le Vlaams Belang.
Il y a deux jours, la Cour constitutionnelle adressait un mémorandum à l’informateur royal, Paul Magnette (PS). Se plaignant de l’arriéré dont elle souffre (et qui l’empêche de rendre tous ses arrêts dans le délai d’un an qui lui est prescrit), elle demande des moyens supplémentaires. Les difficultés de fonctionnement qui sont les siennes placent, dit-elle, le citoyen, les parlements et le pouvoir exécutif en situation d’insécurité juridique.
Économies linéaires et hausse des dossiers
Confrontée à des économies linéaires sous la législature précédente, la Cour doit faire face à une augmentation du nombre de dossiers à traiter, dossiers souvent très complexes. La Cour demande l’engagement de deux référendaires supplémentaires, le renforcement de certains services et un investissement dans la modernisation du service informatique.
Mais la Cour doit affronter un autre problème aigu : depuis le début du mois de novembre, elle ne compte plus que dix juges au lieu de douze. Deux conseillers sont partis à la retraite, un étiqueté SP.A., en la personne d’Erik De Rij-cke, et un Écolo, Jean-Paul Snappe.
Yasmine Kherbache oui, Zakia Khattabi peut-être non
À la mi-novembre, la députée SP.A. Yasmine Kherbache a été présentée par la Chambre, en remplacement de M. De Rijcke alors que le 13 décembre, le Sénat devrait présenter Zakia Khattabi. Devrait, écrit-on, car l’affaire est loin d’être dans le sac, d’autant qu’il faut obtenir deux tiers des voix.
Selon nos informations, la N-VA, qui l’assume publiquement, ne votera pas en faveur de Mme Khattabi, pas plus que le Vlaams Belang. L’Open VLD ne serait pas très chaud lui non plus et il nous est revenu que le MR pourrait voter contre également. La présentation de Zakia Khattabi est donc loin d’être assurée. Ce qui pourrait s’avérer très embarrassant car, dans un tel scénario, la Cour constitutionnelle ne retrouverait ses douze magistrats qu’au printemps.
En théorie, on ouvre, par une publication au Moniteur de la vacance du poste, la candidature à de nouveaux conseillers trois mois avant le départ des titulaires. Lorsque la présentation d’un candidat devient réalité, elle est publiée au Moniteur et entérinée au bout de 15 jours minimum par le Conseil des ministres.
Un proche du sérail nous confiait, jeudi, que la publication des vacances suivait la pente prise au niveau de l’ordre judiciaire : elle se fait si tard qu’il est impossible d’installer un nouveau conseiller dans le fauteuil du précédent au moment où celui-ci s’en va.
Plus grave : si un candidat se fait recaler par l’assemblée censée le proposer, ce qui pourrait être le cas avec Mme Khattabi, la procédure doit être recommencée. Les spécialistes approchés jeudi ne voient pas, si tel devait être le cas, comment le ou la nouvelle "élu(e)" pourrait être désigné(e) avant avril ou mai 2020.
Des dossiers traités à sept au lieu de douze
Résultat : la Cour constitutionnelle devrait continuer pendant plusieurs mois à fonctionner avec un cadre qui ne sera pas rempli à 100 %. On lira par ailleurs que cela pourrait obliger, au moindre incident, les conseillers à s’occuper de dossiers complexes et/ou sensibles à sept et non à dix ou à douze, ce qui de l’aveu même des juristes qui composent la juridiction, constituerait un sérieux handicap.
Autre effet dommageable : pour le moment, en raison de l’absence des nouveaux "membres" attendus, la Cour "penche" à droite et son équilibre idéologique est rompu.
Bref, à un moment où la composition de la Cour fait l’objet de critiques et où elle se plaint d’un arriéré grandissant, l’institution n’avait sans doute pas besoin de tracas supplémentaires.
"Mme Khattabi n’a ni le profil, ni les compétences requises pour siéger à la Cour constitutionnelle"
Pour être présentée comme magistrat à la Cour constitutionnelle, Zakia Khattabi (Écolo) doit réunir deux tiers des suffrages exprimés. Si la N-VA, le Vlaams Belang mais aussi, comme la rumeur le laisse entendre, l’Open VLD et le MR s’opposent à cette présentation, elle ne pourra franchir l’obstacle.
Du côté des nationalistes flamands, les choses sont claires : "Nous n’allons pas soutenir la candidature de Mme Khattabi , confirme la porte-parole du parti, Anne-Laure Mouligneaux. À nos yeux, elle n’a ni le profil ni les compétences requises pour devenir juge à la Cour constitutionnelle. Qu’a-t-elle fait dans sa vie pour mériter cette fonction ? Quels sont ses faits d’armes ? En 2013, comme sénatrice, elle s’était opposée au rapatriement d’une personne, compliquant encore un peu plus la tâche de la police pour qui ces missions sont déjà très difficiles à mener. Pour siéger à la Cour constitutionnelle, la moindre des choses est de respecter l’ordre public…"
Mme Mouligneaux soulève un autre élément : "Alors que Mme Khattabi était coprésidente d’Écolo, elle avait excusé la caricature de Theo Francken déguisé en soldat allemand diffusée par Écolo J (l’organisation des jeunes d’Écolo) sur les réseaux sociaux. Zakia Khattabi a aussi dit dans plusieurs interviews qu’elle suivait ses sentiments, ses émotions mais les dossiers qui passent devant la Cour constitutionnelle sont très sérieux. Quelle position prendra-t-elle alors sur des thèmes tels que l’Asile et la Migration ?"
Le MR n’aurait, de son côté, pas digéré le ton, très agressif selon lui, adopté par Écolo à son égard pendant la campagne électorale du printemps. Mais si l’horizon d’une coalition arc-en-ciel se dégage dans les prochaines heures, la donne pourrait changer.
Les audiences plénières soumises au moindre aléa
En principe, un dossier arrivant devant la Cour constitutionnelle est traité par sept juges, trois de chaque rôle linguistique plus un des deux présidents.
Il arrive toutefois que la Cour siège en audience plénière, autrement dit que les 12 juges qui la composent s’occupent ensemble d’une affaire. C’est le cas lorsque l’un des deux présidents le demande, lorsque deux des sept juges censés aborder le dossier le requièrent ou lorsque l’affaire est à ce point complexe et sensible que ce type de composition s’impose.
Étant donné qu’il manque deux juges, la Cour ne peut plus en réunir que dix en cas de plénière. Mais si l’un d’eux est indisponible pour maladie, accident ou parce qu’il est amené à se récuser, on tombe à neuf. Or, la loi interdit cette formule et l’on en revient alors à une composition à sept conseillers.
Actuellement, deux dossiers considérés comme sensibles doivent être examinés par sept juges alors qu’idéalement, une Cour à dix (ou à douze) aurait dû être réunie : il s’agit du recours du Segec contre le décret encadrement des cours de citoyenneté (un juge a dû se déporter car un de ses frères est avocat à la cause) et du recours contre le décret gouvernance né de l’affaire Publifin (un juge compte un fils avocat partie prenante au dossier). Pour des membres de la Cour, s’occuper de tels contentieux à sept est un handicap, en termes de délai et de qualité du travail fourni.
Six “vrais” juristes et six anciens parlementaires plus ou moins doués en droit
La mission de la Cour constitutionnelle est de contrôler que les lois (tant au niveau fédéral que fédéré) respectent la Constitution. La Cour est composée de 12 juges, nommés à vie par le Roi sur une liste double présentée alternativement par la Chambre et par le Sénat. Cette liste est adoptée à la majorité des deux tiers.
Six juges appartiennent au groupe linguistique français, six au groupe linguistique néerlandais. Dans chaque groupe, trois juges sont nommés sur la base de leur expérience juridique et trois ont une expérience de 5 ans au moins comme membre d’une assemblée parlementaire. Dans chaque groupe linguistique, les juges élisent un président. La Cour est assistée de référendaires (au maximum 24), dont la moitié est francophone et l’autre moitié néerlandophone
Certains critiquent le mode de composition de la Cour. Ainsi, le professeur Marc Verdussen (UCLouvain) estime qu’elle devrait pouvoir s’ouvrir à d’autres horizons que les juridictions supérieures ou les universités ; que le fait de rendre obligatoire la présence d’anciens parlementaires qui ont créé des lois avant de les juger pose problème, tout autant que le manque de connaissances juridiques de certains d’entre eux ; qu’enfin, un regrettable machisme continue à régner au sein de l’institution.