Léopold, roi des Belges et de l’animation
Le cinéma belge prouve sa vitalité au Festival international du film francophone de Namur qui s’ouvre le 28 septembre. Avec un événement : le film d’animation historique drôle et épatant de Matthieu Collard et Cédric Vandresse.
- Publié le 22-09-2018 à 11h20
- Mis à jour le 22-09-2018 à 11h21
Le cinéma belge prouve sa vitalité au Festival international du film francophone de Namur qui s’ouvre le 28 septembre. Avec un événement : le film d’animation historique drôle et épatant de Matthieu Collard et Cédric Vandresse. Les clichés ont la vie dure. Alors que Mon ket, de François Damiens, s’imposera sans l’ombre d’un doute comme le champion cinématographique noir-jaune-rouge de l’année avec ses 140.000 entrées sur notre territoire, dans l’esprit du grand public, les films belges riment toujours avec cinéma social, gris, triste et prise de tête. Un stéréotype qui tient de la fake news, comme le démontre la programmation du 33e Festival International du Film Francophone de Namur, qui s’ouvre le vendredi 28 septembre. Des œuvres du plat pays, il y en a pour tous les goûts. Avec, par exemple, un polar de Stijn Coninx sur les tueries du Brabant du point de vue des victimes (Niet Schieten/Ne tirez pas), le portrait tendre d’un père confronté à l’éducation, seul, de ses enfants et les difficultés de la vie en entreprise (Nos Batailles, de Guillaume Senez, en gala d’ouverture) ou, notre coup de cœur, un film d’animation amené à faire énormément parler de lui, Léopold, Roi des Belges.
Présentée en première mondiale, la réalisation de Matthieu Collard et Cédric Vandresse offre, dans des décors somptueux, un portrait décalé, inventif, bourré d’humour, historiquement très précis et graphiquement épatant de notre premier souverain. Dont on se rend compte, finalement, qu’on ne sait pas grand-chose sur lui…
"De manière générale, on méconnaît l’histoire du pays", explique Matthieu Collard. "Et dans les programmes scolaires, on s’attarde peu sur les débuts de la Belgique. Léopold II est le roi qui captive le plus les Belges. Donc, on avait envie de présenter son père avec beaucoup d’humour. Tout le monde pense que le Palais de Justice de Bruxelles est l’œuvre de Léopold II, alors que non, il a été intégralement décidé par Léopold Ier qui voulait y voir la plus grande porte du monde occidental. Vous saviez qu’il avait d’abord accepté puis refusé le trône de Grèce parce que cela ne lui garantissait pas suffisamment de revenus ? Ou qu’il était surnommé Le Roi Vampire ? On peut donc imaginer que ce n’était pas un joyeux drille… C’était un protestant lugubre qui avait déjà 40 ans quand il devint roi. Mais il parlait plusieurs langues et c’était un homme de son temps. Qui a vraiment aimé le pays et a fini par en faire la deuxième puissance économique mondiale de son époque, grâce notamment au chemin de fer. Nous l’avons rendu timide pour le rendre un peu plus attachant, et je peux vous dire que de très nombreux professeurs attendent la sortie du DVD pour le présenter dans leurs classes."
Vous montrez aussi que sans la France, et cela tombe bien après la Coupe du Monde, la Belgique serait redevenue hollandaise…
"Sa mère voulait impérativement qu’il fasse un bon mariage. Il épouse Charlotte, l’héritière d’Angleterre : c’est le super top bon plan. Mais elle meurt en couche et il ne sert plus à rien ! Il a traîné son spleen pendant 15 ans à la cour d’Angleterre et s’est cultivé. Les grandes puissances lui proposent la Belgique parce qu’il est de descendance allemande, il est proche de l’Angleterre et les Français n’ont rien contre. Cela fait donc un bon candidat par défaut. Face à l’arme hollandaise de Guillaume d’Orange, les troupes belges ne faisaient pas le poids. Mais les Français sont intervenus et ont garanti l’indépendance de la Belgique. Ce qu’on a pu montrer avec humour, en jouant sur le sous-équipement des Belges et leurs accents."
L’humour et l’Histoire font bon ménage ?
"Ah oui ! Quand son épouse lui dit qu’on se rit de lui dans toutes les cours d’Europe, c’est tiré d’une lettre réelle. Cet homme un peu coincé offrait tellement de contrastes qu’il se prête à merveille à des situations décalées, rigolotes. Et puis, en Belgique, on apprécie l’auto-dérision. On aime se moquer de soi. Il faut dire que Bruxelles, en 1830, était une ville médiévale qui tenait plus du trou à rats que de la capitale d’un grand pays d’Europe. Imaginez la première rencontre, dans ce cadre, du roi guindé issu de la maison de Saxe-Cobourg et Gotha et un domestique liégeois plein de bonhomie ! Forcément, cela ne peut qu’être amusant. Mais à part le fait qu’on montre une reine anglaise, parce que cela parle plus aux spectateurs, alors qu’à l’époque c’était un roi, tout est historiquement exact."
Sauf les ministres…
"Personne ne connaît ceux de l’époque. Caricaturez des personnalités actuelles permettait de les identifier immédiatement en tant que ministres. Et ça nous faisait rire de ne faire dire que "Nee" à Bart De Wever. Graphiquement, cela doit beaucoup au génie de Cédric. Mettre les grands de l’époque sur des trônes, cela les rendait visuellement puissants, par exemple. Graphiquement, comme c’est notre premier film, on voulait que cette carte de visite envoie du lourd. Quand on dit que cela n’a coûté que 250.000 €, vu la qualité de la 2D, personne n’en revient."
Le film, de 47 minutes, a été acheté par Arte…
"Il devrait être diffusé début octobre, après le FIFF, dans une soirée spéciale. Et peut-être rester disponible sept jours sur Arte +7. On espère que les chaînes belges vont suivre et que Namur nous ouvrira de nombreuses portes internationales. Mais on rêve surtout qu’après la vision des 72.000 images de Léopold, Roi des Belges , les spectateurs auront envie de se replonger dans les livres d’Histoire."
Et ensuite ?
"Avec le Mad Cat Studio, on a deux gros projets. Le premier sur Jacques Arcadelt, une sorte de John Lennon de la Renaissance, un Namurois qui a vendu le plus de partitions musicales durant les deux siècles qui suivent sa mort. Et on discute beaucoup sur une série historique, une manière de rénover le concept d’ Il était une fois l’homme en y apportant une plus-value esthétique et quelques corrections historiques. On a envie de raconter l’Histoire par le petit bout de la lorgnette, à partir des gens et de la culture."
Vivement la suite.
Les tueurs du brabant à Namur
Niet Schieten/Ne tirez pas et Nos Batailles vont aussi faire l’événement au FIFF.
"Ne tirez pas, c’est mon papa." Cette phrase, la dernière prononcée par sa grande sœur, hante David Van de Steen depuis le 9 novembre 1985. Des hommes masqués et lourdement armés lui font face. Ils tirent sans le moindre état d’âme. Rebecca et son papa tombent les premiers. Sa maman est abattue dans le dos en tentant de fuir. David, lui, parvient à se réfugier à l’intérieur du Delhaize. Un court répit : les tireurs entrent à leur tour, abattent des clients à bout portant, réclament la caisse en français, flinguent au hasard. Canon scié au bout de la main, un géant, cheveux bouclés, yeux bleus et un gros bouton près du nez, repère David. D’un pas lourd, il s’approche près de sa cache et tire, le blessant grièvement à la jambe.
Dans l’immeuble d’en face, son grand-père, Albert, a vu les agents de la BSR s’en aller peu avant l’attaque, mais aussi deux gendarmes rester calmement sur le parking, dos au magasin, sans jamais tenter d’intervenir. Ce n’est que le début de l’incompréhension pour le garagiste dont la famille vient d’être décimée. Alors que son petit-fils a tout vu, jamais aucun magistrat ne l’interroge. Pire, chaque fois que l’enquête semble progresser, un nouveau juge d’instruction est désigné. Et lorsqu’il accuse la gendarmerie dans la presse, ce sont des menaces de mort qui commencent à atterrir dans sa boîte aux lettres.
Des films qui prennent aux tripes
Avec Niet Schieten/Ne tirez pas, Stijn Coninx adopte un point de vue original. Celui des familles des victimes des tueurs. Depuis les premières attaques, en 1982, elles attendent de savoir contre qui elles sont en guerre. Sans jamais obtenir de réponse. Cela les mine, bouffe littéralement leur vie, les change profondément. La projection le 4 octobre de ce film choc, très psychologique, devrait constituer un des moments les plus forts et les plus émouvants du FIFF.
Tout comme le gala d’ouverture. Qui met lui aussi une production belge à l’honneur. Avec Nos Batailles, Guillaume Senez pointe les ressources inattendues d’un homme que sa femme vient de quitter, le laissant s’occuper seul de ses enfants. Loin d’y être préparé, il surnage difficilement. Car il mène de front un autre combat, dans son entreprise de colis express, contre une gestion humaine désastreuse.
Dans ces deux longs métrages, c’est de dignité, de respect qu’il est avant tout question. Impossible de ne pas se sentir interpellé. Et c’est tout à l’honneur d’un cinéma belge si populaire hors de nos frontières mais encore trop souvent injustement délaissé dans nos salles. Un cinéma que le FIFF aide à redécouvrir du 28 septembre au 5 octobre.
Et pourtant ils tournent
C’est l’effervescence pour les cinéastes belges qui regorgent de projets attractifs.
Virginie Efira (Un Amour impossible), Lambert Wilson (coup de cœur du FIFF), Karin Viard (Les Chatouilles), Adèle Haenel (En Liberté), Olivier Gourmet (Ceux qui travaillent), Jérémie Renier (L’Ordre des médecins), Dominique Besnehard (La Chute de l’empire américain), Stéphane De Groodt (Le Jeu), Michel Blanc (Voyez comme on danse), Jean-Paul Rouve (Lola et ses frères) ou Romain Duris (Nos Batailles) : la liste des invités du 33e Festival International du Film Francophone de Namur devrait ravir autant les cinéphiles que les amateurs de selfies prestigieux.
Tout le gratin du 7e art du plat pays ne sera pourtant pas présent dans la capitale wallonne. Et pour cause : la plupart de nos cinéastes sont plongés dans de nouveaux projets.
Les frères Dardenne. Les plus palmés de nos cinéastes s’attaquent à un sujet épineux et extrêmement sensible avec Ahmed. Soit l’histoire d’un ado bien décidé à tuer un de ses professeurs pour des raisons religieuses. Ce film, qu’on annonce bourré d’énergie, devrait être prêt pour le Festival de Cannes 2019.
Ben Stassen. Le champion belge toutes catégories des entrées (son dernier dessin animé, Bigfoot Junior, a attiré 8 millions de spectateurs) fera de nouveau l’événement sur les grands écrans le 6 février 2019 avec un nouveau film d’animation, The Queen’s Corgi. Comme le titre l’indique, il sera centré sur les aventures de Rex, le nouveau chouchou de la Reine d’Angleterre qui aura le malheur de mordre le présidentiel pantalon de Donald Trump et de fuir, hors du palais de Buckingham, la royale colère de sa maîtresse. Déjà prévendu dans 70 pays, ce film en 3D semble posséder les armes pour battre les 11,7 millions d’entrées de Samy.
Olivier Masset-Depasse. Depuis l’épatant Illégal, en 2010, le nouveau film d’Olivier Masset-Depasse est attendu avec impatience. Ce sera Duelles, la confrontation entre deux amies (Veerle Baetens et Anne Coesens) qui s’adoraient jusqu’à ce qu’un événement change complètement le cours de leur vie. La date de sortie n’est pas encore fixée.
Gérard Corbiau. Trente ans après Le Maître de musique et 18 ans après son quatrième long métrage, Le Roi danse, Gérard Corbiau revient à la réalisation. Avec l’adaptation du roman de Raphaël Jerusalmy, Sauver Mozart, sur un attentat musical en 1939, au lendemain de l’Anschluss. Le roman était drôle et glaçant, le film suscite donc déjà une énorme attente.
Bouli Lanners. Son combat contre le nucléaire, il le prolonge avec la réalisation de son premier thriller écologique, Wise Blood. Soit l’adaptation de Coffin, un roman de Peter May. "Ce n’est pas un film militant ni un documentaire à charge. J’ai juste envie de parler de l’humain, de la résistance", nous a-t-il expliqué.
Stephan Streker. Porté par le triomphe de Noces, le cinéaste a profité de la trêve footballistique pour mettre la dernière touche à son nouveau scénario. Encore top secret. Mais pour lequel il serait déjà prêt à dire "Moteur" dès que toutes les sources de financement seront assurées. Il ne restera alors qu’à trouver comment combiner tournage et analyse des matchs pour La Tribune.
Fabrice Du Welz. Grand amateur de frissons, Fabrice Du Welz change un peu de registre pour relation la relation entre un garçon solitaire de 12 ans et une adolescente schizophrène (incarnée par Fantine Harduin, découverte dans Happy End de Michael Haneke). Benoît Poelvoorde et Laurent Lucas complètent l’affiche.
Marion Hänsel. Avec Il était un petit navire, Marion Hänsel fait le point poétiquement sur sa vie et son œuvre par le biais des villes d’eau qui l’ont marquée.
Zoé Wittock. Pour ses débuts derrière la caméra, notre jeune compatriote s’intéresse à une relation fusionnelle entre une mère et une fille dans un parc d’attraction. Le casting de Jumbo est assez impressionnant : Emmanuelle Bercot (meilleure actrice à Cannes en 2015 pour Mon Roi), Noémie Merlant (nommée pour le César de l’espoir féminin en 2017 pour Le Ciel attendra) et Sam Louwyck (Rundskop).
Peter Brosens et Jessica Hope Woodworth. Après le déjanté King of The Belgians, Peter Brosens et Jessica Woodworth poursuivent les mésaventures du roi Nicolas III, cette fois coincé à Sarajevo.
Plutôt pas mal, non ?