De Gendt et l’art de l’offensive: "Le rêve ultime ? Le podium à Paris"
Le roi de l’échappée nous raconte ses recettes pour partir dans le bon coup. Et gagner.
- Publié le 16-07-2018 à 19h35
- Mis à jour le 16-07-2018 à 19h36
Le roi de l’échappée nous raconte ses recettes pour partir dans le bon coup. Et gagner.
Il ne s’en est pas caché, Thomas De Gendt. Il n’était pas très emballé par la première semaine de Tour de France. "J’ai coché en rouge dans mon agenda la période qui va de la dixième à la dix-neuvième étape, pendant laquelle je vais avoir des opportunités" , avait-il déclaré avant le Grand Départ à La Roche-sur-Yon. Mais cela a été plus fort que lui. Il a attaqué dimanche, sur l’étape des pavés.
Et il remettra certainement ça très vite. "À partir de la seconde semaine, il y aura des étapes qui vont me convenir, alors que j’aurai sans doute des libertés par rapport aux leaders du classement général (NdlR : avec son temps perdu en cours de route)", explique-t-il encore. "C’est une période intéressante pour moi. À l’exception de la courte étape de 65 kilomètres (la 17e étape)."
Mais quels sont les critères qui déterminent s’il attaque ou pas ? Le coureur de Lotto-Soudal nous répond.
1. Les sensations
"Les sensations, les jambes, c’est le premier point à prendre en compte avant d’envisager d’attaquer ! Parfois, je sens qu’une étape peut me convenir, mais, dès le départ, si les jambes ne tournent pas bien, cela ne me pousse pas à y aller. Ce sont les jambes qui décident avant tout."
2. L’analyse du parcours
"Il faut que je puisse avoir des chances de victoire pour que je me glisse dans une attaque. Si c’est une étape de montagne trop dure pour mes capacités, je sais que je n’aurai pas de chance. Pour gagner, il faut être fort. Mais il faut aussi être malin en course."
3. Choisir le bon groupe
"Sur le Tour de France, j’essaie de ne pas partir seul. Cela ne va jamais au bout, quand tu es seul, sur le Tour de France. L’idéal, ce sera sans doute en troisième semaine, quand il y aura plus de libertés au niveau du classement général. Pour moi, le scénario idéal est de partir dans une grosse échappée d’une vingtaine de coureurs en début d’étape. Avec deux ou trois coéquipiers à mes côtés. Afin de pouvoir jouer un peu tactique. Et être frais pour la dernière partie. Il est aussi capital de voir quels sont les compagnons d’échappée. Je me souviens que l’an passé, j’étais échappé dans l’étape remportée par Roglic. Mais j’ai choisi de me relever. Car je sentais que face à lui, je n’avais aucune chance, notamment avec la montée du Galibier. J’ai préféré me préserver pour d’autres étapes."
Sa plus grande déception en échappée
Des échappées, il en a déjà tenté de nombreuses. Et, logiquement, elles n’ont pas toutes été couronnées de succès. Quelle a été la plus grande déception dans une échappée ? "Ah, c’est vraiment dur de répondre à ça", répond d’abord Thomas De Gendt.
Avant de laisser un long silence pour réfléchir à ses tentatives ratées. "Je pense que cela doit être la Flèche Brabançonne 2010", ajoute-t-il ensuite. "Au terme d’une longue échappée, sous la pluie, nous sommes arrivés à trois pour la victoire avec Jurgen Van de Walle et Sébastien Rosseler. Malheureusement, ce dernier m’a battu au sprint. J’étais très déçu, c’était dommage, j’ai raté une belle occasion."
Il n’a jamais gagné de classique durant sa carrière. Ni de course d’un jour (à l’exception de l’épreuve de classe 2 d’Oetingen) : ses treize succès ont tous été conquis sur des épreuves par étapes.
Son parcours idéal pour une échappée
S’il pouvait dessiner le parcours idéal d’une étape pour lui, quel profil aurait-il ? "Ah, ce serait bien, ça", glisse-t-il dans un sourire. "Alors je mettrais directement un départ en côte. Avec une montée de cinq kilomètres pour partir. C’est idéal pour qu’une échappée parte. Ensuite, le point capital est d’avoir une difficulté dans le final. Mais il faut qu’elle soit bien placée. Assez près de l’arrivée pour décourager à l’avance les sprinters, pour qu’ils se disent qu’ils n’auront pas le temps de revenir s’ils sont lâchés dans cette dernière montée. Mais il faut aussi que cette montée soit assez loin de l’arrivée pour que cela décourage les favoris du Tour de France, qu’ils se disent qu’ils ne peuvent pas y attaquer. Je placerais cette dernière côte à 20 kilomètres de l’arrivée."
"Je n’ai plus de pression"
Depuis sa victoire conquise l’an passé à la Vuelta, Thomas De Gendt a changé. "Le fait d’avoir remporté des étapes sur les trois Grands Tours me fait dire que ma carrière est réussie", explique-t-il. "Surtout pour un coureur comme moi, pour un baroudeur : j’ai gagné tout ce que je pouvais espérer. Ce que je gagnerai encore, ce sera du bonus. Je n’ai donc plus de pression; cela me permet d’être plus relax dans les échappées par rapport aux coureurs qui ont peu gagné… Et puis, je sens que j’ai désormais plus d’expérience. Car j’ai déjà gagné dans tous les cas de figure : seul, dans des petits groupes, dans une échappée qui a pris dix minutes d’avance ou uniquement trois minutes d’avance. Mais une échappée, c’est toujours imprévisible. Parfois, avec dix minutes d’avance, tu es repris. Parfois, quand tu n’as que trois minutes d’avance, tu parviens à aller au bout et t’imposer avec vingt secondes d’avance sur le peloton…"
"Le rêve ultime ? Le podium à Paris"
Il avait été très déçu, l’an passé, de ne pas obtenir le prix du Super combatif du Tour de France. "C’était logique que je sois déçu de ne pas l’avoir, après toutes mes attaques", explique-t-il. "Bon, Barguil, qui l’a obtenu, avait aussi beaucoup attaqué et a gagné deux étapes. Mais ce prix me ferait très plaisir. Ce serait un peu le rêve ultime d’être sur le podium final du Tour de France, à Paris. Pour ce prix de la Combativité."
Ou pour le maillot de meilleur grimpeur, qu’il a également dans le viseur. "J’ai fini troisième et deuxième de ce classement de la montagne ces deux dernières années, c’est logique aussi qu’il soit un objectif", continue Thomas De Gendt. "Tout en sachant que ce sera très dur de l’obtenir, face aux purs grimpeurs."
"Je divise les distances en petites parties"
De Gendt répartit en objectifs les kilomètres qu’il lui reste à faire en échappée.
Pour réussir une échappée, Thomas De Gendt doit toujours veiller à bien gérer son effort, à bien doser son énergie physique. Mais il doit aussi être attentif à son mental, à sa fraîcheur psychique.
"Pour l’aspect mental, j’ai un petit truc", explique-t-il. "Je me fixe des buts par rapport aux kilomètres qu’il me reste à accomplir quand je suis en échappée. Par exemple, au lieu de me concentrer sur les 150 bornes qui me séparent de l’arrivée, je divise cette distance par blocs de trente kilomètres. Cela passe bien plus vite comme ça ! Ou cela peut être en fonction d’une côte ou d’un point particulier sur le parcours. Je me dis que je veux avoir telle avance au sommet de telle montée… Et puis il y a aussi le soutien du directeur sportif dans la voiture suiveuse. Je suis toujours attentif à mon alimentation pour éviter la fringale. J’essaie de prendre un bidon ou un gel toutes les vingt minutes. Mais c’est bien aussi quand ton directeur sportif te le rappelle."
Il n’y a pas qu’en course que Thomas De Gendt a l’habitude de segmenter les distances. "Non, j’ai l’habitude de le faire aussi à l’entraînement", continue le coureur de Lotto-Soudal. "Si je planifie une sortie de six heures, je la divise en trois, prévoyant des boucles qui me feront repasser à la maison toutes les deux heures, pour reprendre des bidons. Cela me permet de mieux me concentrer sur mon entraînement."
Il s’entraîne aussi spécifiquement pour… les échappées. "Quand je démarre de la maison, à froid, souvent, je lâche directement les gaz" , décrit-il. "Pour choquer mon corps. Je ne le fais pas chaque fois. Mais c’est un bon moyen. Par exemple, quand je suis à Calpé et que je donne rendez-vous à d’autres coureurs pour un entraînement commun, je fais en sorte de partir en retard. Quand je sais que j’en ai pour quinze minutes pour les rejoindre, je pars deux à trois minutes en retard. Je dois alors directement rouler fort pour être à temps…"
"Ma seule chance de gagner"
Mais pourquoi Thomas De Gendt attaque-t-il autant sur les courses, lui qui compte 1.500 kilomètres d’échappée rien que pour cette saison ? "Tout simplement parce que c’est la seule manière pour moi de gagner", répond-il. "Si je reste dans le peloton, il y aura toujours des gars plus rapides que moi au sprint ou des coureurs qui sont plus forts. En revanche, dans une échappée, je ne suis plus avec 170 ou 180 adversaires mais avec une vingtaine de gars au maximum. J’ai donc plus de chances de m’imposer. Et plus j’essaie de partir en échappée, plus j’ai de chances de gagner."
Au cours de sa carrière, il a remporté une étape du Tour de France (au Ventoux), une au Tour d’Italie (au Stelvio), une au Tour d’Espagne, trois au Tour de Catalogne, deux à Paris-Nice, une au Tour de Suisse, une au Tour de Romandie, une au Critérium du Dauphiné, une au Circuit de Lorraine et une au Tour de Wallonie (à Perwez, en 2009).