"L’objet qui m'insupporte le plus? La boîte de sardines!": redécouvrez cette interview hilarante de Pierre Bellemare dans la DH
- Publié le 27-05-2018 à 21h52
- Mis à jour le 27-05-2018 à 21h53
Il était le plus grand conteur de l'histoire de la radio et de la télévision. L'homme n'avait pas son pareil pour installer, distiller une ambiance, mystérieuse, angoissante. Bref, pour nous transporter. Pierre Bellemare, qui vient juste de nous quitter à l'âge de 88 ans était aussi un précurseur dans le monde des médias. C'est à lui que l'on doit notamment l'importation du prompteur américain en France, et c'est lui qui lança sur TF1 la première émission de télé-achat, Le « Magazine de l'objet », l'ancêtre du « Téléshopping ». Nous l’avions interviewé, l’année dernière pour les trente ans de cette émission ultra-consumériste, voire matérialiste. Ses réponses ne manquaient pas d’humour !
Pierre Bellemare, c’est votre vrai nom ?
Il faudrait être dingue pour inventer un nom pareil ! C’est donc forcément mon nom. Et des Bellemare, il y en a plus qu’on le croit. Un jour, en me rendant à ma Caisse de retraites, lorsque la dame qui m’a reçu à taper mon nom sur l’ordinateur, j’ai été sidéré du nombre de Bellemare intermittents du spectacle ! Deux pages très exactement. Pas de quoi se prendre ensuite pour une exception culturelle ! (rires)
Trouvez-moi un mot qui rime avec Bellemare et qui ne soit pas cauchemar, tintamarre, calamar ou zigomard ?
Joker ! Au petit matin, vous êtes dur !
Dans l’intimité avez-vous un surnom, un sobriquet ? Pierrot les belles bacchantes ?
Non ! Je ne dois pas être suffisamment divertissant dans la vraie vie !
Faut-il nécessairement avoir les mains manucurées pour présenter le « Télé-Achat », émission que vous avez animé pendant tant d’années ?
Il vaut mieux avoir les mains propres et si possible ne pas avoir les ongles rongés. La plus belle parodie du « Téléshopping » on la doit aux Nuls et à Bruno Carette qui arborait des doigts crasseux tout en présentant des saloperies !
J’ai acheté une machine-à-laver à l’époque où vous présentiez le Télé-Achat. Demain elle tombe en rade. J’appelle qui ? Darty ? Le constructeur ? Votre fils qui se produit sur M6, Laurent Cabrol qui vous a remplacé ou c’est Pierre Bellemare qui vient me la réparer en personne à domicile ?
(éclat de rire). J’ai dû vendre qu’une fois des machines à laver. Le problème du « Télé-Achat », c’est que vous ne bénéficiez que de la garantie constructeur. Contrairement à Darty avec qui vous bénéficiez d’un service après-vente. Vous n’aurez donc aucune chance de me voir débarquer chez vous avec une trousse à outils !
A quel pourcentage estimez-vous les objets divers qui équipent votre maison et que vous avez acheté au Téléshopping ?
Difficile de répondre. Avec ma femme, on adore collectionner des tas d’objets. Les plus divers. Sur mon buffet malouin, j’ai un alignement d’une vingtaine d’objets. Sur ma cheminée, c’est une bonne dizaine. C’est effrayant, il y en a partout. Par centaines. Mais provenant du « Téléshopping », ça ne dépasse pas la vingtaine d’articles. Du coup, ils se noient dans la masse !
Et lorsque vous présentiez un article au « Téléshopping », demandiez-vous systématiquement une ristourne pour vous-même ?
Jamais ! C’est la règle numéro un d’un bon vendeur au « Télé-Achat ». Il y a un code déontologique à respecter. Vous ne pouvez pas demander ce genre de choses aux fournisseurs. Ou alors, c’est que vous êtes corrompu. Ce n’est pas le genre de la maison Bellemare ! Quand j’achète quelque chose, c’est au prix demandé !
Quel est l’objet le plus « con » que vous ayez été amené à présenter ?
Aucun. Comment voulez-vous vendre et vanter un objet auquel vous ne croyez pas ? Si j’avais vendu des conneries on l’aurait su et on me serait tombé dessus ! Sans compter que pour ne pas faire faillite, une entreprise de télé-achats doit avoir moins de 5 % de retour sur les articles qu’elle vend ! 95 % de satisfait(e)s croyez-moi, ce n’est pas simple à obtenir !
L’objet le plus dangereux selon vous ?
Le parapluie ! Les parties qui le constituent sont polluantes et ne recyclent pas facilement. Chaque année, 13 millions de parapluies finissent dans nos poubelles ou dans les caniveaux. Peut-être devrions nous créer des cimetières de parapluies ! Je n’aime pas non plus le blister. Cet emballage coque transparent, le plus souvent thermoformé dans une feuille rigide de PVC qui permet de voir l’objet de l’achat agrafé généralement sur un carton imprimé ! C’est une invention catastrophique. Je vous mets au défi de récupérer un objet sous blister sans vous énerver ou vous blesser. Il faut en effet faire appel à un objet tranchant ou pointu pour l’en extraire. Combien de consommateurs malhabiles se sont charcutés ?
Quel est l’objet qui vous insupporte le plus ?
La boîte de sardines actuelle ! Avant, pour l’ouvrir, vous disposiez d’une clé avec une petite fente dans laquelle vous insériez une languette métallique. Le procédé était à la fois assez simple puisque qu’en tournant doucement cette longue clé le couvercle s’enroulait autour ! Les fabricants ont ensuite dépensé des fortunes considérables pour trouver d’autres moyens pour ouvrir ces boîtes de conserve ! Comme, par exemple, cette bague qui permet de soulever le couvercle après l’avoir tiré. On trouve cette bague qui décapsule aussi pour les cannettes de bière et de soda ! Aux yeux de ses inventeurs, c’est peut-être une création moins dangereuse que la clé qui tournicotait. Peut-être. En attendant, quand vous ouvrez votre boîte de sardines, même en prenant d’infinies précautions, vous avez de grande chance de vous submerger d’huile ! Mon dieu que cet objet m’horripile ! D’un autre côté, il a dû faire la fortune des blanchisseries et autres teinturiers !
Le designer industriel Raymond Loewy affirmait que la laideur se vendait mal. Adhérez vous ? Et si vous deviez embellir un objet quel serait il ?
Je ne sais pas si on peut l’embellir mais s’il y a bien un truc qui n’est pas très beau à regarder c’est cette colle gluante qui se trouve derrière les échantillons proposés dans les magazines féminins. Vous savez, ces crèmes hydratantes, parfums ou shampoings, etc. On vous fait royalement cadeau de quelques millilitres de produit mais quelle plaie sur le fond. Déjà, ça fait gonfler le magazine. Ensuite, si vous voulez prendre cet échantillon, vous devez le décoller de la page. Le problème, c’est que cette colle thermique vous colle au doigt et ressemble presque à un crachat. Vous essayez alors d’en faire une boulette, de vous en débarrasser, le hic, c’est que ce machin-là a décidé de vous enquiquiner en s’agrippant à votre index ou votre pouce ! Franchement, c’est dégoûtant. J’ajoute que si vous tirez trop fort sur cette espèce de chewing gum visqueux vous risquez de déchirer la page. Et dites-vous bien enfin qu’il restera toujours un résidu de cette colle à chaque que vous feuilletterez votre publication. Immanquablement vous aurez deux pages qui ne se dissocieront pas !
Des produits inutiles, on en voit passer tous les jours. Mais si certains érigent leur inutilité au rang d’art, d’autres nous prennent très clairement pour des demeurés, comme le pain de mie sans croûte, la machine à thé alors qu’il suffit de faire chauffer de l’eau aux micro ondes et de tremper le sachet dedans. Je vous passe le rasoir six lames et les transporte-pastèque. Une sorte de mini caddie avec des roulettes. Quel est votre avis sur la question ?
100 % d’accord ! Mais que voulez-vous, nous sommes aussi les « produits » de cette société qui nous pousse à investir dans des trucs compléments inutiles. Trucs qui resteront dans un placard. En attendant, vous les avez bien payés. Il y a même certains gogos qui prennent un crédit pour ça ! C’est ce que j’appellerai les dégâts collatéraux du progrès ! Enfin, je ne dis pas que des concours comme le concours Lépine ou du même acabit ne sont pas utiles. Il y a des inventions tout à fait respectables. Mais combien d’inventions respectables trouvons nous face au grand bazar du n’importe quoi ? Je crois que c’est Albert Einstein qui disait : « Le progrès technique c’est comme une hache que l’on aurait mise dans les mains d’un psychopathe ! ».
Aux Etats Unis, comme vous le savez, les fabricants préfèrent prendre des dizaines de précautions plutôt qu’une. Pour éviter d’être trainer devant les tribunaux, on peut lire quand on achète une machine à laver : « Assurez-vous de ne pas placer dans le tambour des êtres vivants ! » ou bien « Les micro-ondes ne sont pas fait pour sécher les chats » ? ou bien encore : « Vérifiez que votre enfant n’est plus dans sa poussette quand vous la replierez » ?. Des précautions d’usage de ce genre existent-t-elles selon vous avec des produits manufacturés chez nous?
Oui ! Cela paraît complétement loufoque et cela donne même l’impression que l’on prend les gens pour des imbéciles. Maintenant si vous regardez les choses froidement, rationnellement, ces « mises en garde » ne sont pas dénuées de bon sens. J’en veux pour preuve, cette histoire survenue à un ami. Un ami somnambule qui, une nuit, s’est levé et tout endormi a replier le lit « clic clac » dans laquelle sa femme dormait à poing fermés ! Ces recommandations « stupides » des fabricants ont donc un réel intérêt ! C’est comme les chaises longues. Voilà un autre objet qui nous agresse. C’est quasiment impossible à installer. On ne sait surtout jamais dans quel sens il faut prendre ce truc. Combien de vacanciers en voulant profiter du soleil, on finit par maudire la chaise longue. Il faut dire que se faire coincer les doigts n’a rien d’agréable !
Si vous deviez sauver d’un incendie, un objet ravagé par les flammes, un seul, quel serait- il ?
Cette question, figurez-vous que je me la suis posée jadis. J’en ai conclu après mûres réflexions qu’il s’agit d’une photo. La photo évoque pour moi des souvenirs. C’est une passerelle entre le passé et le présent. La photo est un objet tangible, physique, qui a des résonances sur l’émotion ! D’ailleurs, lorsque vous demandez à des gens ce qui leur manquent le plus après un incendie, beaucoup déplorent avoir perdu leurs albums photos dans les flammes ! Je les comprends car c’est une chose en connection avec l’être intime !
De ces trois articles lequel vous inspire le plus ? La lime à épaissir, la machine à moucheter les bananes ou le marteau à bomber le verre ?
Nous n’avons jamais vendu de gadgets au « Télé-Achat ». Le fournisseur qui aurait osé me présenter une connerie de ce genre, je lui bottais le cul !
Un marchand d’objets à « usage très intime » vous contacte pour écouler son stock de godmichets à triple pulsations électroniques. Vous lui répondez quoi ?
D’aller se faire foutre triplement ! Pour l’anecdote, je me rappelle d’un type qui, à une époque, à tenter de rentrer en concurrence avec le « Télé-Achat », en produisant, vers minuit sur le câble, un Télé-Achat porno. On pouvait y acheter des objets qui, d’ordinaire se trouvent dans les sex-shop. Ce fût un bide sur toute la ligne !
On vient tout juste de l’apprendre la transpiration masculine a des effets bénéfiques sur l'humeur des femmes, réduisant leur stress, générant un sentiment de relaxation et allant même jusqu'à influencer leurs cycle menstruel, selon une équipe de biologistes de l'Université de Pennsylvanie dont les travaux viennent d'être publiés. Si demain un type astucieux arrive à concentrer cette sueur dans un aérosol, vous pensez que les dames pourraient être intéressées ?
J’ai des doutes actuellement sur tout ce qui vient des Etats-Unis. Vous savez, il y aura toujours des gens qui croiront qu’en pilant de la corne de rhinocéros, ils obtiendront un braquemard de rêve. Braquemard/ Bellemare ! Voilà ! Vous l’avez votre rime !
Roland Dumas portait jadis une paire de chaussures à plus de 1525 Euros (10 000 FF) et vous ?
Moi ce sont des mocassins de chez Weston ! J’en ai acheté pas mal de paires à l’époque où je baignais en plein âge d’or où j’avais les moyens. Comme ce sont des chaussures solides ça fait quinze ans que je les traine ! Et j’en ai jamais racheté depuis. J’achète que ce dont j’ai besoin ! Un jour, je suis rentré chez un concessionnaire et j’ai acheté deux BMW en moins de dix minutes. Comme ça, je n’ai pas à revenir. Le type était scié. Il m’a pris pour un fou furieux.
Pierre Bellemare sans moustache, vous avez déjà essayé ?
Involontairement. Le jour où je me suis fait opérer du coeur, il a bien fallu me raser. Poils des bras, des jambes, du torse et moustache comprise. Je devais être intubé et il ne devait pas y avoir de poils autour !
Mais Pierre Bellemare sans moustache est-ce vraiment Pierre Bellemare ?
J’ai commencé à travailler à 17 ans et demi et pour paraître plus vieux, j’ai laissé pousser ma moustache. Je l’ai gardé par la suite. Les gens s’y étaient habitués. Aujourd’hui, j’ai une vieille moustache mitée ! Lamentable. Plus lamentable, je me bouffe la moustache par nervosité. Ensuite, je recrache les poils ! Mais pas dans le thé chinois !
Quand Pierre regarde une belle femme, qu’est-ce qui l’attire en premier lieu : la tête ou les jambes pour reprendre le titre de l’une de vos émissions culte !
Les très belles jambes m’impressionnent. Un jour, je suis tombé sur celles d’un acteur qui jouait dans une pièce intitulée « Un homme Parfait » avec Guy Montagnier et Jean Manson. Je ne me souviens plus du nom de cet acteur très beau qui jouait un homosexuel, mais je me rappelle en revanche très bien de ses guibolles ! Extraordinaires. Des milliers de femmes devaient l’envier.
Quand vous êtes sous votre douche vous est-il déjà arrivé de siffler le générique de l’une de vos nombreuses émissions ?
Jamais ! Non, j’entonne plutôt des airs d’opéra que chantaient mon père dans sa salle de bain ! C’était un ténor amateur. Ce qui n’est mon cas. La Bohème, la Tosca, etc. Très peu de chanson à la mode…
A votre avis, si Pierre Bellemare était à vendre, il vaudrait combien ?
Pas grand chose, il est vraiment usé ! D’occasion et encore… ll faudrait pour qu’on m’achète qu’on fasse un lot, une reprise avec quelque chose d’autre !
A quand remonte la dernière fois que vous avez dit « merde » à un fan qui voulait votre autographe sur son gril pain commandé au Télé-Achat ?
Je n’ai jamais dit merde à un fan. Je considère que c’est un devoir d’être le plus aimable possible avec les gens grâce auxquels vous pouvez vous faire un petit nom dans la vie ! Les gens ne m’ont jamais emmerdé parce qu’ils me respectent. La réciproque est valable. Je ne suis pas comme Zitrone qui engueulait tout le monde !
Votre insulte ou votre juron préféré lorsque, par exemple, vous vous coincez un doigt dans une porte en chêne massif ?
Toutes mes portes sont en chataîgnier ! Je vous dirai « à la vache » !
Si je vous montre un gant Mapa cela vous inspire quoi ?
La vaisselle que je dois faire et de très bons spots publicitaires. Bien que j’ai horreur de faire la plonge avec les gants. J’aime en effet sentir les objets, le verre, la porcelaine, la faiënce, le fer, bref, ce qu’on nettoie. Quant aux nouilles qui vous glissent entre les doigts, pas chez moi, je fais en sorte de jeter le surplus d’aliments à la poubelle ! Pas envie de m’amuser à déboucher les syphons !
Est-ce qu’après tout, Pierre Bellemare, n’est-pas en lui-même une histoire extraordinaire ?
Surêment pas. C’est une histoire d’une grande banalité ! De Français très moyen. La seul aspect extraordinaire de ma vie, ce sont les trente ans que j’ai passé sur la mer. J’adore les bateaux. Une « danseuse » qui m’a ruiné mais m’a permi de vivre des situations de rêve que peu de gens ont connu !
Votre devise ? J’ai exercé toute ma vie un métier sans importance mais je l’ai fait très sérieusement.