L'avenir de Vivendi: et l'édition?

Cherchez l'erreur... De la branche édition de Vivendi, qui constitue le premier groupe français et le troisième mondial, pas un mot ou presque, comme si le sort du livre n'avait aucune importance, ou, qui pis est, n'intéressait personne, alors que, voici à peine trois mois, le `débarquement´ de Pierre Lescure de la direction de Canal+ avait suscité un tollé et une vaste mobilisation au nom de la défense de la création cinématographique française. Le CSA lui-même s'en était ému

L'avenir de Vivendi: et l'édition?
©Illu Géraldine Servais


Carl Aderhold, éditeur chez Larousse. Christine Dubois, éditrice chez Armand Colin. Sylvie Jos, éditrice chez Bordas. Laurent Nicolas, documentaliste, Le Robert. Michèle Vial, iconographe chez Nathan. Jean-Marie Messier ne préside plus aux destinées de Vivendi Universal, un successeur assure pour six mois l'intérim, l'action est au plus bas et la dette du groupe au plus haut. Déjà, on peut lire dans la presse différents scénarios concernant le démantèlement de Vivendi: aux Français, l'ex-Générale des Eaux et Canal +, aux Américains, le cinéma et la musique, aux Allemands, la téléphonie...

Cherchez l'erreur... De la branche édition de Vivendi, qui constitue le premier groupe français et le troisième mondial, pas un mot ou presque, comme si le sort du livre n'avait aucune importance, ou, qui pis est, n'intéressait personne, alors que, voici à peine trois mois, le `débarquement´ de Pierre Lescure de la direction de Canal+ avait suscité un tollé et une vaste mobilisation au nom de la défense de la création cinématographique française. Le CSA lui-même s'en était ému.

Mais qui donc prendra la défense de quelques-uns des plus beaux fleurons de l'édition française? Qui se mobilisera pour empêcher Le Petit Robert et Le Petit Larousse de passer sous la coupe de multinationales étrangères? Pouvons-nous, sans réagir, admettre que Nathan et Bordas, deux des acteurs majeurs du livre scolaire en France, puissent connaître un sort identique?

Là où créateurs et acteurs, mais aussi journalistes et cinéphiles crièrent au loup, lorsque Canal+ risquait de voir disparaître sa spécificité et son esprit, ne se trouvera-t-il aucun écrivain, aucun critique, aucun lecteur pour donner de la voix, alors que Belfond, les Presses de la Cité, La Découverte, Plon, Laffont ou bien encore Armand Colin courent un risque similaire?

La France, terre des lettres, laisserait disparaître dans le tourbillon financier actuel, ou pis encore être vendues à l'encan, ces maisons d'édition qui sont au coeur de son patrimoine culturel et littéraire? Ce qui est intolérable pour le cinéma français, pour la gastronomie, pour la presse, serait acceptable pour le livre? Nous refuserions la mal bouffe et accepterions la mal pensée? Un tel silence ne laisse pas de nous étonner...

Certes, les auteurs et les éditeurs aiment bien les petits, les artisans du livre, certes, il y a comme un malin plaisir à voir le premier de la classe en passe de chuter, certes encore, la politique menée par le groupe en matière d'édition n'a pas toujours été à la hauteur des enjeux, mais tout de même! Ne pas s'interroger sur ce que l'éventuel démantèlement d'un tel groupe et son rachat `par appartements´ par des groupes internationaux auraient de catastrophique pour l'avenir de l'édition française constitue pour le moins une vision à courte vue.

Que le rejet de la spéculation financière, l'hostilité aux grosses machines ne nous aveuglent pas: nous sommes en premier lieu un groupe français et souhaitons le rester. Pas par on ne sait quel chauvinisme désuet. Mais peut-on envisager que la France abandonne sa capacité de création intellectuelle à d'autres? Prenons garde, si nous occultons ce problème, qu'il ne nous revienne avec plus de force et que le géant français ne disparaisse que pour céder la place à des ogres mondiaux...

Sont en jeu, non seulement le désendettement d'un groupe, le réconfort de quelques actionnaires, mais aussi, et de façon plus essentielle, la capacité des maisons dudit groupe à continuer à éditer des oeuvres diverses, à préserver la variété des pensées et des sensibilités et à défendre une certaine idée de la culture. Car, enfin, souhaitons-nous voir ces maisons d'édition vendues et, une fois restructurées, condamnées, pour réduire les coûts (les fameuses économies d'échelle), à ne plus coéditer que des ouvrages à fort potentiel international, dont on connaît et la valeur et la diversité (Un grand livre du cigare, Les plus belles voitures et Les meilleures recettes de pâtes...)? Car partout où ces multinationales de l'édition se sont mises en place, tel a bien été le résultat: quand on entend le mot culture, on sort son chéquier.

Voulons-nous des produits - pardon, des ouvrages - exempts de toute pensée originale, de toute prise de position, des caricatures de livres, sortes de bottins illustrés d'où l'originalité et la réflexion sont bannies?

Les éditeurs du groupe se sont durement battus pour défendre leur propre politique éditoriale, pour, malgré les 10 % de rentabilité réclamés, pouvoir continuer à publier ces ouvrages qui leur tiennent à coeur et pour lesquels ils font ce métier. Il est temps pour les autres acteurs du livre, auteurs, libraires, lecteurs..., de se mobiliser pour éviter leur disparition sur l'autel du redressement.

Amis auteurs, c'est aussi de votre liberté de création, de votre possibilité à être demain publiés qu'il s'agit.

Amis lecteurs, c'est aussi de votre imaginaire, de votre accès au savoir, de l'éducation de vos enfants qu'il s'agit.

Nous, éditeurs, n'avons pas la tête d'`actifs non stratégiques´ qu'on peut céder pour renflouer les caisses. Nous ne voulons pas être le cheval de Troie des multinationales étrangères.

© La Libre Belgique 2002

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