La peinture hors des avant-gardes

Le constat est inéluctable, depuis à peine cinq ans. la peinture est à nouveau prise en considération et interrogée. Et il y a matière. Contrairement à certaines affirmations gratuites - manoeuvre d'occultation? -, elle n'a jamais cessé d'être au faîte de la création contemporaine. Si son absence quasi totale a été remarquée à la Documenta, les expositions se focalisant sur elle ne cessent de se multiplier, en galeries et en institutions. Quelle place donc ce moyen d'expression le plus ancestral, mais aussi le plus spécifique, va-t-il retrouver au sein des expositions?

CLAUDE LORENT
La peinture hors des avant-gardes
©FELIX TIRRY

À PARIS

Le constat est inéluctable, depuis à peine cinq ans. la peinture est à nouveau prise en considération et interrogée. Et il y a matière. Contrairement à certaines affirmations gratuites - manoeuvre d'occultation? -, elle n'a jamais cessé d'être au faîte de la création contemporaine. Si son absence quasi totale a été remarquée à la Documenta, les expositions se focalisant sur elle ne cessent de se multiplier, en galeries et en institutions. Quelle place donc ce moyen d'expression le plus ancestral, mais aussi le plus spécifique, va-t-il retrouver au sein des expositions?

Autre point de vue

Aux réponses jusqu'ici apportées, trois institutions européennes (le Musée national d'art moderne, la Kunsthalle de Vienne et la Schirn Kunsthalle de Francfort) joignent un autre point de vue très sagace.À travers le travail de dix- huit artistes américains et européens est examinée la position d'une certaine peinture figurative puisque choisie à l'aune de `l'ultime Picabia´, le peintre français (1879-1953) dadaïste, pourfendeur des bonnes manières picturales. Le ton, d'entrée, est donné: on ne s'attendra ni à la complaisance, ni au joli, ni aux remorques de l'avant- garde.

Les artistes rassemblés sont de farouches individualistes qui construisent leur oeuvre selon leurs critères et avancent même à contre-courant, réhabilitant, là le grotesque, là le maniérisme, là encore le kitsch ou l'image glacée, sans compter que l'on n'échappe pas au cliché renvendiqué comme tel.

Rien de picturalement très correct selon les nomes modernistes les plus en vigueur: voici des peintures qui bousculent tous les canons et renouent avec quelques pratiques anciennes ou traditionnelles, voire populaires, néanmoins sans se priver d'y joindre le piment fort et acide, l'esprit critique, voire la provocation visuelle.

Buffet réhabilité

Outre Picabia dont une série de nus des années 1940 ouvre l'exposition en guise de références, deux autres figures historiques sont appelées à témoigner: Bernard Buffet (Paris, 1928- 1999) et Alex Katz (Brooklyn, 1927 - vit à NY). Si le second n'est pas surprenant car il joua un rôle prépondérant durant les années soixante, même en tant que chef de file d'une peinture narrative, le choix du premier est significatif d'une reconsidération totale! Buffet était, jusqu'il y a peu, banni de toute exposition, historique, thématique, officielle... et le voici soudainement, coup sur coup, dans `Paris capitale des arts´ et dans cet ensemble. Les oeuvres datent du début de son travail, de la fin de années 40 à 1965, alors qu'il imposait un style sec, noir, hiératique, à nul autre pareil, et surtout résolument en opposition aux tendances reconnues de pointe.

C'est donc en ce créneau que se décline toute l'exposition qui emprunte son titre au nom donné par Martin Kippenberger (Dortmund, 1953 - Vienne, 1997) à sa première exposition: `Cher peintre, peins pour moi´. À prendre au pied de la lettre, dit le commissaire de l'exposition, A.M. Gingeras, car il repose `sur l'humour diabolique et le contenu hétérodoxe des peintures´. Et l'artiste allemand fut effectivement l'un des maîtres à peindre, dans le sarcasme, l'incorrection, le réalisme ironique, l'insolence, tout en remodelant la figure humaine.

Sur ces `modèles´ se décline une vaste exposition - à laquelle participe le Belge Luc Tuymans - perturbante, incisive, qui ne demande pas à proprement parler l'adhésion, mais soulève quelques questions des plus fondamentales sur la peinture, son identité, sa raison d'être, son impact, son actualité. Questions également sur l'art du siècle échu, sur l'histoire et le rôle des avant-gardes. Salutaire.

`Cher peintre...´: Kai Althoff, Carole Benzaken, Glenn Brown, Bernard Buffet, Brian Calvin, John Currin, Peter Doig, Sophie von Hellermann, Alex Katz, Kurt Kauper, Martin Kippenberger, Enoc Perez, Bruno Perramant, Elizabeth Peyton, Francis Picabia, Sigmar Polke, Neo Rauch, Luc Tuymans. Centre Pompidou, Paris. Jusqu'au 2 septembre. De 11 à 21h, fermé mardi. Excellent catalogue comprenant d'éclairantes interviews d'artistes.

© La Libre Belgique 2002

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