Springsteen, tout le réconfort américain
A 52 ans, le Boss revient en force avec `The Rising´.Sous l'influence du 11 septembre 2001, le disque sonne le rassemblement du E Street Band.Une des 15 chansons, `My City of Ruins´, a été écrite avant l'attaque terroriste.
- Publié le 28-07-2002 à 00h00
ANALYSE
Certains diront qu'on a retrouvé le Boss, mais est-ce bien de cela qu'il s'agit? Oui, Bruce Springsteen a réassemblé son E Street Band historique, oui, l'auteur-compositeur est en pleine inspiration et, oui, sa voix puissante fait à nouveau des merveilles. Mais on n'avait pas le sentiment de l'avoir perdu depuis `Tunnel of Love´ (1987), époque où problèmes sentimentaux et succès phénoménal de `Born in the USA´ l'avaient fait quelque peu rentrer dans sa coquille. La carrière du musicien est jalonnée de moments héroïques et de bien compréhensibles retours à l'intimité, à la simplicité. Qui eut à se plaindre de ces fascinants concerts donnés en solo, à la guitare acoustique, en 1995?
Non, la question, c'est simplement qu'avec `The Rising´, Bruce Springsteen vient de donner un magnifique album centré sur un thème qui lui est cher depuis toujours, le petit peuple américain. `Je pense que je sais reconnaître la noblesse des gens, déclare-t-il à Jon Pareles, dans le New York Times du 14 juillet. Pas ceux qu'on trouve dans les romans, mais ceux qui vont au boulot chaque jour, rentrent à la maison chaque jour et dînent à leur table chaque jour. Il y a des gens qui vivent de cette manière chaque jour de leur existence. C'est à propos d'eux que je veux écrire. C'est ce que je pense être important. C'est ce qui me motive. C'est ce qui me donne envie de chanter ma chanson.´
Pas la peine de rappeler ce que ce petit peuple américain a reçu sur la figure le 11 septembre 2001. Pour un auteur comme Bruce Springsteen, sorte d'incarnation du `working class hero´, un tel drame est du pain bénit: le martyre involontaire de celui qui a disparu `Into the Fire´, la solitude de celui qui reste, la pensée de celui qui, depuis le Ciel, regrette le contact physique avec ceux qu'il aimait (`The Rising´). Le matin même, ce dernier avait juste quitté la maison pour aller travailler... Cet album est tout sauf un alignement d'idées générales et de concepts intellectualisants. A la Springsteen, il raconte simplement le vécu ou le point de vue d'individus, dans des sentiments compréhensibles pour tout le monde.
Comme l'on pouvait s'y attendre de la part d'un gars qui a participé aux tournées d'Amnesty International, `The Rising´ n'est pas non plus un engagement au repli sur soi ni un appel à une quelconque vengeance. Un Springsteen ne juge pas, et son imagination est la plus descriptive possible. `Paradise´ est ce que croit atteindre un terroriste. Histoire d'un soldat américain qui tombe amoureux d'une autochtone - ce pourrait être en Afghanistan -, `Worlds Apart´ convie des chanteurs et des musiciens pakistanais. Ici, l'ouverture à l'autre est mise en musique.
Pas une complainte
Même s'il peut être poignant, `The Rising´ n'est pas non plus un disque de complainte ou de lamentation. `Vous êtes d'abord amené à appréhender la véritable horreur. Ensuite, tous les gens reprennent espoir. C'est ce qu'apporte le lendemain et ce que n'importe quel jour peut apporter. Vous ne pouvez pas être sans sens critique, mais un espoir renaît dans la vie de tous les jours, l'amitié, le travail, la famille, la sortie du samedi soir. Et c'est là qu'il se trouve. C'est là que j'ai toujours trouvé foi et esprit. Je les ai trouvés dans ces choses, et pas dans quelque endroit intangible ou abstrait. Et j'ai vraiment essayé d'écrire à propos de cette idée de base toute ma vie.´
Disque d'espérance et de réconfort, `The Rising´ convoque un choeur gospel (`Let's be Friends´ et `Mary's Place´) et un orchestre à cordes, le Nashville String Machine (!) (`Counting A Miracle´, `You're Missing´). Plus qu'en père réprimandeur ou donneur de leçon, Springsteen se comporte ici en frère aîné qui prend son cadet par les épaules pour le consoler ou qui tente de donner le bon exemple, celui de l'honnêteté et de l'intégrité qui sont attachées à sa personnalité.
Celui qui répond lorsqu'on l'appelle aussi. Quelques jours après le 11 septembre, Springsteen sortait d'un parking près de la plage de Sea Bright, dans le New Jersey, où il est né et réside à nouveau. Il croise alors un fan qui, baissant la vitre de sa voiture, lui lance: `On a besoin de vous!´. Quand on s'appelle Spingsteen, on est du genre à relever le gant. Moins d'un an plus tard, `The Rising´ est là. Quelque part dans le New Jersey, un gars doit être bigrement content. Il n'est pas le seul.
Album `The Rising´, Columbia 508 000 2, Sony Music.
© La Libre Belgique 2002