Le héros indien de Bolivie
A vrai dire, personne ne s'attendait vraiment à ce qu'il atteigne un jour une telle importance sur l'échiquier politique bolivien. Lors du premier tour des présidentielles, le 30 juin dernier, Evo Morales est arrivé en deuxième position et son parti - le Mouvement vers le socialisme (MAS) - a obtenu 20,8 pc des suffrages. Plus de 550000 voix dans ce pays de 8 millions d'habitants niché au coeur des Andes. Ce n'est pas rien pour un candidat atypique, controversé et décrié par les Etats-Unis
- Publié le 15-07-2002 à 00h00
A vrai dire, personne ne s'attendait vraiment à ce qu'il atteigne un jour une telle importance sur l'échiquier politique bolivien. Lors du premier tour des présidentielles, le 30 juin dernier, Evo Morales est arrivé en deuxième position et son parti - le Mouvement vers le socialisme (MAS) - a obtenu 20,8 pc des suffrages. Plus de 550000 voix dans ce pays de 8 millions d'habitants niché au coeur des Andes. Ce n'est pas rien pour un candidat atypique, controversé et décrié par les Etats-Unis. Avant toute chose, il faut préciser qu'Evo Morales est indien. Difficile de le cacher, d'ailleurs: il a le physique typique des habitants de l'Altiplano andin. Ce quadragénaire est le fils d'un couple aymara-quechua, les deux principaux groupes ethniques qui formèrent l'empire Inca. Les circonstances de la vie ont peu à peu fait de lui un porte-parole de la communauté indigène.
Sa destinée commence en 1985. La Bolivie traverse à ce moment une crise économique sévère marquée par une inflation galopante atteignant des sommets affolants, jusqu'à 14000pc. Les mines sont privatisées ou tout simplement fermées. Avec des milliers d'autres chômeurs, Evo Morales est contraint à l'exil interne. Il rejoint le Chaparé, à 600 kilomètres à l'Est de La Paz. Là, il sera tour à tour musicien de village, joueur de football à un niveau très modeste. Célibataire, toujours.
Le Chaparé va changer la vie de celui qui n'avait obtenu qu'un diplôme de l'école primaire. Dans cette région sub-tropicale, la culture illicite du coca est en pleine expansion. C'est le seul moyen que trouvent ces paysans pour survivre. Avec le Pérou, la Bolivie est, à l'époque, le principal producteur d'une pâte que l'on raffine en Colombie pour la transformer en cocaïne. Direction: les Etats-Unis. Evo Morales s'engage dans le syndicalisme agricole. Son charisme naturel l'impose assez rapidement comme un des leaders du mouvement. En 1992, il est élu secrétaire général du syndicat des producteurs de coca du Chaparé, une fonction qu'il assume encore aujourd'hui.
Dans ces terres hostiles, l'image révolutionnaire du Che Guevara fait des ravages. Ce sont les équilibres mondiaux qui doivent être revus, pensent ces `cocaleros´. Evo Morales apprend les thèses marxistes à la vitesse de l'éclair. Depuis le fond des forêts andines, il devient un militant d'une efficacité que l'on dit redoutable. En 1997, il fait le grand saut vers la politique. Il recueille 70pc des suffrages exprimés dans sa région et devient le député le mieux élu du pays. Un phénomène voit le jour.
Au Chiaparé, la situation se dégrade rapidement. Avec le soutien actif des Etats-Unis, qui entretiennent une force de quelque 1500 hommes, les autorités boliviennes entament un combat à mort contre les producteurs de coca. Le président Hugo Banzer mène une politique de `stop coca´ qui sera prolongée, après son décès, par son successeur, Jorge Quiroga. Le 28 novembre 2001, un décret est approuvé pour interdire le transport et la commercialisation du coca. Toute personne prise en défaut risque de 8 à 12 ans de prison.
Les paysans déclarent l'état d'urgence et s'en vont protester à Cochabamba, la grande ville régionale. Des violences éclatent à Sacaba, siège du plus ancien marché de coca. Des représailles ont lieu contre les syndicats de cocaleros. Des dirigeants sont emprisonnés. Et le 24 janvier 2002, le député Evo Morales est expulsé du Parlement, accusé de `faute éthique grave, en ayant abusé de son immunité parlementaire pour inciter à la violence´. Il entreprend une grève de la faim. Mais surtout, il vient soudain d'acquérir une dimension nationale. Sa participation aux présidentielles devient un événement.
Dans la dernière ligne droite avant le 30 juin 2002, un autre élément va donner de l'ampleur à sa candidature. Manuel Rocha, ambassadeur américain à La Paz, menace de couper l'aide à la Bolivie si Molares devait être élu. La réplique du porte-parole des paysans, lors d'un rassemblement de fin de campagne à Cochabamba, deviendra célèbre: `Kausachum coca, huagnuchu gringo´. Traduction: `Vive le coca, à mort le gringo´. Si Morales était déjà un ennemi des Etat-Unis, le voilà banni à vie. La Cour électorale nationale a critiqué `l'ingérence´ de l'ambassadeur américain. Le candidat d'extrême gauche, lui, pouvait capitaliser tranquillement.
Le prochain président bolivien, élu le 6 août prochain, sera vraisemblablement... l'ancien président libéral Gonzalo Sanchez de Lozada. Mais au lendemain du scrutin, tous les journaux considéraient surtout que rien ne sera plus comme avant. `Ce qui s'est passé le 30 juin pourrait s'appeler La rébellion de l'Indien, soulignait ainsi l'éditorialiste d'`El Correo del Sur´. `Cet Indien que nous regardions de haut et qu'à force de mépris, nous n'avions pas vu se rebeller.´ Avec Evo Morales, ce peuple opprimé a trouvé son héros.
© La Libre Belgique 2002
Une lutte venue du Chiaparé 1985. Grave crise économique en Bolivie. Evo Morales fuit vers la région du Chaparé. 1992. Il est élu secrétaire général du syndicats des producteurs du Chaparé. 1997. Le syndicaliste est élu député aux élections générales avec 70pc des suffrages de sa circonscription. Janvier 2002. Morales est expulsé du Parlement après avoir encouragé les producteurs de coca à la violence contre la politique de `coca zéro´ développée par le gouvernement. Juin 2002. Evo Morales est le `troisième homme´ du scrutin présidentiel. Son parti recueille 20,8pc des voix.