Des ténors de la gauche engloutis
La droite française a obtenu dimanche une large victoire aux élections législatives. Aubry (photo), Chevènement, Forni, Moscovici, Voynet: de nombreux barons de la gauche ont été battus. Mais quelques défaites assez sèches sont également recensées à droite. Et l'extrême droite n'obtient pas de députés.Autre record : celui du taux d'abstention, estimé à 39pc. Lisez notre éditorialParticipez à notre forum
- Publié le 15-06-2002 à 00h00
CORRESPONDANT PERMANENT À PARIS
Vague, déferlante ou ouragan? Quel que soit le terme qui rentrera dans l'histoire pour qualifier la victoire remportée par la droite à ces législatives millésime 2002, le phénomène a fait de nombreuses victimes parmi les personnalités de gauche qui, hier encore, occupaient le devant de la scène politique.
Certes, le premier secrétaire du PS, François Hollande, s'est bien tiré d'un ballottage très difficile dans son fief corrézien de Tulle. Également élus - c'était plus attendu - quelques notables du PS: les Laurent Fabius, Jack Lang, Marylise Lebranchu, Jean Glavany, Jean-Louis Bianco, etc.
Mais l'ancienne ministre Martine Aubry, elle, a échoué dans son fief de Lille face à un jeune clerc de notaire de 32 ans complètement inconnu du grand public. Raymond Forni, le Président de l'Assemblée nationale sortante, a pareillement été défait à Belfort. Tout comme les anciens ministres Pierre Moscovici et Marie-Noëlle Lienemann dans le Doubs et le Pas-de-Calais, le président de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur Michel Vauzelle à Arles, le porte-parole du parti Vincent Peillon dans la Somme, et le jadis indéboulonnable Louis Mexandeau dans le Calvados.
Dans les rangs des partenaires du PC, les dégâts ne sont pas moindres. La partie semblait très serrée pour le communiste Robert Hue en Val-d'Oise. Les Verts Dominique Voynet et Guy Hascoët ont été battus dans le Jura et à Roubaix. À l'instar du souverainiste Jean-Pierre Chevènement, qui a perdu son siège de Belfort qu'il détenait depuis 1973.
La gauche en forme à Paris
À droite, les dégâts sont évidemment de moindre ampleur. Il n'empêche, on y dénombre aussi quelques défaites spectaculaires.
Ainsi, malgré le soutien très médiatique que lui avait apporté l'épouse du chef de l'Etat, la secrétaire d'Etat chiraquienne Dominique Versini a été sèchement battue à Paris par l'ancien ministre écologiste Yves Cochet. À Paris toujours, l'ancien garde des Sceaux RPR Jacques Toubon a très nettement raté son pari de retrouver le siège qu'il avait perdu en 1997. Dans la capitale donc, la droite peine visiblement à se remettre de sa défaite historique qu'elle avait concédée aux municipales de mars 2001.
Autre défaite emblématique: après avoir perdu sa mairie d'Ajaccio l'an dernier, le libéral José Rossi - un des principaux soutiens du processus `de paix´ dit de Matignon au sein de la droite insulaire - a perdu son siège de député. Un même camouflet a été infligé à l'avocat Francis Szpiner, un proche de Jacques Chirac, qui a été étrillé en Saône-et-Loire par la bête noire de l'Elysée, le jeune socialiste Arnaud Montebourg. Dans l'Essonne, Serge Dassault, l'héritier de l'empire industriel du même nom, a été défait face à l'ancien porte-parole de Lionel Jospin, Manuel Valls.
En marge de la droite, cette fois, l'ancien ministre UDF Charles Millon, dont tous les partisans avaient déjà été battus au premier tour, n'est pas parvenu à détrôner l'ancien ministre socialiste Jean-Jack Queyranne de son fief de la banlieue lyonnaise.À l'extrême droite, enfin, Marine Le Pen ne s'est pas imposée à Lens, mais elle y a réalisé un beau score: 32 pc. Même échec pour le maire FN d'Orange Jacques Bompard, très nettement distancé par son rival RPR, et pour le n°2 du FN Bruno Gollnisch, qui subit un score identique en banlieue lyonnaise.
Un grand classique électoral La tradition politique veut que les résultats du second tour ne contredisent pas ceux du premier. Aux législatives de 1993 déjà, après être ressortie groggy du premier tour, la gauche avait multiplié les appels aux abstentionnistes et les mises en garde contre une monopolisation du pouvoir par le camp adverse. Ce fut pourtant l'Assemblée la plus à droite depuis plus d'un siècle qui fut élue. Même les changements radicaux de stratégie opérés entre les deux tours laissent l'électeur de marbre. Ainsi, en 1997, après un premier tour catastrophique, la mise en sourdine de l'impopulaire Alain Juppé ne permit pas aux chiraquiens d'éviter la déroute. La seule exception à cette tradition électorale bien établie a failli se produire aux législatives de 1967. Au premier tour, la droite gaulliste écrasa la gauche. Mais deux facteurs la piégèrent au second tour. D'une part, tous les partis de gauche conclurent un accord de désistement généralisé en faveur du candidat le mieux placé. D'autre part, de nombreux électeurs du Centre démocrate délaissèrent la droite. Résultat: la gauche remporta plus de 45 pc des suffrages. En lieu et place du raz de marée escompté, le général de Gaulle dut se contenter d'une majorité d'un seul siège. Pour la petite histoire, c'est ce scrutin qui vit l'élection pour la première fois en Corrèze d'un énarque de 35 ans qui devint le plus jeune membre du cabinet Pompidou: un certain Jacques Chirac. (B.DL., à Paris)