La Belgique en bien et en mal
Je me trouve dans cette situation privilégiée d'être né ailleurs et d'avoir choisi d'être Belge. J'en tire l'avantage de pouvoir regarder la Belgique à la fois de l'intérieur et de loin et d'observer ses qualités et ses défauts.
- Publié le 15-05-2002 à 00h00
CHRONIQUE
Je me trouve dans cette situation privilégiée d'être né ailleurs et d'avoir choisi d'être Belge. J'en tire l'avantage de pouvoir regarder la Belgique à la fois de l'intérieur et de loin et d'observer ses qualités et ses défauts.
J'ai découvert très vite que les Belges ne forment pas un peuple fier. Comparés aux Français, aux Allemands ou aux Britanniques, ils ne prétendent pas être sortis de la cuisse de Jupiter. Déjà l'expression `nous autres petits Belges´ vous met à l'aise, vous ne serez pas traité de haut. Suivant mon expérience, l'intégration au pays ne pose pas de problème particulier... si l'on y met aussi du sien. A l'époque de mon arrivée, en 1949, j'ai été absolument dépourvu de tout et j'ai rencontré beaucoup de bonne volonté et un accueil en général ouvert. Il faut être pauvre pour se rendre compte comment sont les gens.
Puisqu'ils sont plutôt modestes, les Belges ne se vantent pas trop. Ils sont déjà heureux quand ils obtiennent la troisième ou la quatrième place dans une compétition internationale. Je trouve la réalisation de la ville de Louvain-la-Neuve tout à fait prodigieuse. Qui est-ce qui bombe le torse? Imaginez qu'elle fût édifiée en France: vous entendriez des cocoricos!
Et cependant, la Belgique a donné bien plus au monde - pensons seulement à l'art, à la science ou à l'expansion commerciale - que la dimension de son territoire ou le nombre de sa population le laisseraient supposer. Nous évoluons à l'aise sur la scène internationale et notre part dans la construction européenne est décisive. Les noms de Spaak, de Harmel, de Tindemans, pour ne mentionner que ceux-là, sont parmi les plus illustres.
Toutefois, nous n'avons pas tellement le sens de la grandeur et nous nous méfions des génies. Est-ce un défaut? Quand je songe aux héros nationaux, je dois avouer que je préfère Tintin à Napoléon et Manneken Pis à Robespierre. Je tiens l'autodérision pour une grande vertu et c'est un des traits de l'humour belge. Il ne faut jamais se prendre au sérieux. Hélas, on peut glisser de la vertu au péché et tomber de l'ironie vis-à-vis de soi-même au masochisme. Cela arrive de temps en temps dans notre pays.
La dernière illustration en est la commission Lumumba. Demander pardon à un personnage aussi peu recommandable et qui a commis des violences inouïes à l'égard de nos compatriotes, c'est perdre notre qualité la plus typique, à savoir le bon sens, et manquer singulièrement de dignité. Vu de l'extérieur, la question linguistique semble être le fleuron de notre folklore. Malheureusement, étant donné que l'Etat belge a démarré en 1830 sous la prédominance francophone, l'émancipation flamande a mis beaucoup de temps pour aboutir et son esprit de revendication ne s'est pas encore éteint.
Toutefois, comparés à d'autres situations bi- ou multiculturelles, nous n'avons pas trop mal géré nos problèmes. Malgré des imperfections (comme le droit du sol qui prime le droit des personnes), nos solutions institutionnelles sont convenables. Je serais même d'avis de créer une agence pour exporter nos trouvailles astucieuses dans les Balkans et ailleurs.
Si Jérusalem pouvait avoir le statut de Bruxelles, ce serait le paradis. Ou si les minorités partout dans le monde bénéficiaient des droits de la communauté germanophone...Il me reste encore un mystère à élucider. Comment se fait-il qu'un peuple qui est foncièrement jovial et bon vivant adore tellement faire la grève (les Wallons peut-être un peu plus que les Flamands)? Il est de tradition qu'à la fin de l'été on nous annonce un automne chaud. Peut-on admettre qu'une catégorie de gens essaie de faire aboutir ses revendications au détriment du public qu'elle est appelée à servir? Il me semble que le trait rouspéteur dans le caractère belge prend souvent le dessus sur ses tendances bienveillantes.
Mais rien n'est parfait dans ce bas monde et, à part les jours où les trains ne roulent pas, je persévère dans mon choix pour ce pays qui m'a reçu.
Avec toute mon amitié.
© La Libre Belgique 2002