Citoyens-choux-fleurs

... ou changeurs de Monde? A vous de décider. Si vous quitter votre habit d'`électeur-client´, le premier combat à mener est celui de la lutte contre le cynisme et le fatalisme des membres de nos démocraties

GRÉGOR CHAPELLE
Citoyens-choux-fleurs
©Guy Vandevoorde

AVOCAT ANCIEN PRÉSIDENT DES ÉTUDIANTS FRANCOPHONES (F.E.F.) PORTE-PAROLE D'ACTIONS BIRMANIE AUTEUR (1)

Nous ne supportons pas le monde tel qu'il est. Nous sommes des millions, une multitude, à ne pas accepter la manière dont fonctionne la société humaine, à refuser ce système dont on ne sait pas très bien pourquoi il écrabouille tout sur son passage. Et alors quoi? Comment expliquer, si nous sommes si nombreux à le vouloir différent, que tout aille si mal dans ce monde? Car il faut avouer, comme le dit Hubert Reeves, que nous sommes notablement mauvais à résoudre, à l'échelle d'une planète aussi petite que la nôtre, des problèmes aussi simples que la guerre, la faim, la destruction de notre biosphère, ou la négation quotidienne des droits des humains à vivre `libres et égaux en dignité et en droits´. Et que dire, à l'échelle de nos sous-régions, du chômage, du racisme, linguistique ou non, des déraillements de la justice - cette institution qui ose porter le nom d'une vertu -, des pollutions de quartier ou de cette exclusion accélérée de ceux qui, hier encore, n'étaient que des assistés...

PARIER SUR LES CHANGEURS DE MONDE

Alors changer le monde? Non. Car il n'y a aucune raison de croire que nous réussirons mieux dans cet objectif de contenu que les générations qui nous ont devancés. Mais parier sur les changeurs de monde: oui.

La priorité ne doit pas aller à de grandes gesticulations techniques ou institutionnelles. Le premier combat à mener est celui de la lutte contre le cynisme et le fatalisme des membres de nos démocraties, ces changeurs de monde qui s'ignorent. Ceux-ci doivent pouvoir reprendre confiance dans notre capacité à agir, ensemble, sur la réalité. Chaque citoyen doit pouvoir, de `l'électeur-client´ qu'il est devenu, se transformer en un changeur de monde au jour le jour.

Car qui peut croire en un système où des millions de personnes délèguent tous les quatre, cinq ans, ou plus, la totalité de leurs difficultés à une poignée de femmes et d'hommes politiques? Comment ne pas comprendre que, quels que soient les `pouvoirs´ que nous leurs confions, un peu d'argent et de force de loi, ils seront évidemment incapables de solutionner seuls les problèmes de tous! `Tiens politicien, semble actuellement dire l'électeur-consommateur, aujourd'hui dimanche, je t'ai mis mon morceau de problème dans l'urne. Il te reste à en faire une solution collective. A toi de construire une société où il fait bon vivre et surtout... où je ne m'occupe de rien!´ Puis, une fois que cela a inévitablement foiré, on charge au maximum les partis qui étaient `au pouvoir´ et on confie les manettes à ceux de `l'opposition´. La belle affaire. Comme si le seul vrai pouvoir n'était pas le pouvoir-initiative dont dispose chaque humain. Ce vrai pouvoir qui permet de se révolter et de dire où l'on veut, quand on veut et en ne partant de rien: `Maintenant cela suffit, cette souffrance, ce dysfonctionnement, ce manque, cette injustice, je ne les accepte plus. Je crée un collectif ou j'en rejoins un et nous y travaillons ensemble´.

CITOYENS OU CHOUX-FLEURS?

Mais rien dans notre système ne nous pousse à agir de la sorte. Rien. Au contraire, tout nous encourage à nous transformer en citoyens-choux-fleurs, immobiles, les pieds rivés au sol. Notre système éducatif pour commencer, cette machine à nous faire rentrer dans le moule qui nous perfuse à la passivité de trois ans à notre majorité! Ce mécanisme seulement apte à nous bourrer de contenu et à écraser dans l'oeuf toute initiative d'action collective. Alors on s'étonne du chômage qui persiste et de l'exclusion qui progresse. Mais l'on conserve un enseignement destiné à produire des `agents économiques´ suffisamment mous et individualistes pour qu'ils aillent calmement prendre leur place dans la société de consommation: celle de consommateur justement. Ou celle d'exclu.

Les grands médias ensuite, ces `appreneurs de cynisme´, qui nous mentent sur la moitié de la réalité du monde en ne nous parlant surtout que de ce qui ne va pas, en nous livrant chaque jour les pires d'entre les nouvelles, comme pour nous insensibiliser encore un peu plus à la souffrance des autres. Le tout en nous faisant bien comprendre que de toute façon nous n'y pouvons rien changer, que `c'est trop compliqué´

Que nous sommes impuissants.

Enfin, les responsables politiques, qui se sont tellement battus pour leurs pouvoirs qu'il ne saurait leur venir à l'idée d'en partager plus qu'une miette avec des acteurs sociaux et associatifs pourtant compétents. Eux dont la surestimation permanente de leur propre capacité est à la source d'un refus répété de vraies collaborations avec les associations de citoyens. Tout le monde sent, pourtant, comment la participation de ceux-ci à la définition du `comment agir´ pourrait transformer en victoires les successives défaites des gouvernements. Mais ceux-ci ne le voient pas, incapables de comprendre que c'est ce refus même qui est à l'origine de leur impuissance quotidienne à rectifier le réel. C'est pourtant clair: tant qu'ils ne choisiront pas d'y associer quotidiennement les citoyens, le seul pouvoir qui compte, à savoir celui de changer les choses, continuera à leur échapper des mains comme un poisson savonné à l'huile.

Le système éducatif, le système médiatique et les politiques. Ces trois rôles portent une lourde responsabilité dans les échecs de notre société. Mais ces fonctions ne sont pas immuables. Rien n'est écrit sauf le futur qui a été écrit pour être changé. Ces trois outils peuvent donc se transformer en d'efficaces adjuvants à la construction d'une société dans laquelle l'humain et le bien commun primeraient sur les pulsions de pouvoir et d'accumulation. La balle est dans leur camp. C'est le camp des professeurs, des journalistes, des femmes et des hommes politiques. C'est le camp de l'ensemble des citoyens.À eux, à nous, de parier... sur les changeurs de monde. Ils sont là.

Nous sommes là

Ils sont là? Non. Nous sommes là. Ce ne sera certes pas du goût de tout le monde. On l'imagine! Mais si cet autre enseignement, ces autres médias et ces autres politiques peuvent peut-être, en pariant sur les changeurs de monde, participer à l'éclosion d'une autre société, ils ne pourront rien sans une vraie mobilisation des citoyens.

Mais pas une mobilisation de rue. Une de plus. Non. Cette fois-ci, c'est du jour le jour qu'il s'agit. Des initiatives de la vie quotidienne. Comme un changement de monde permanent.

------------------------- (1) `Changeurs de Monde´, EVO asbl. Web http://www.changeursdemonde.net/

© La Libre Belgique 2002

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