La loi belge est en vue

Trente mois de travaux, des dizaines de réunions, trois milliers de pages de rapports de commissions du Sénat puis de la Chambre... et en fin de parcours parlementaire, une controverse à peu près intacte. Sur le principe de légiférer, sur les modalités du projet soumis au vote des députés.

P. P.

Tout commence par un arc-en-ciel. Dans l'accord du gouvernement fédéral bleu-rouge-vert de juillet 1999, on lit: `Le Parlement doit pouvoir prendre pleinement ses responsabilités en ce qui concerne les questions éthiques, par exemple l'euthanasie.´

`L'exemple´ n'est pas pris au hasard. La volonté de légiférer sur la fin provoquée de la vie s'est déjà traduite en propositions en 1984, 86, 88... Et fin 1997, un colloque au Sénat a illustré la maturation politique du sujet. Mais il fallait que sautât le verrou éthique posé par le CVP sur les majorités depuis le précédent à ses yeux insupportable, en 1990, de la dépénalisation de l'avortement.

ÉCHEC À L'EMBALLEMENT

Dans le climat politique inédit qui irradie alors, et dans le vent de liberté dont pensent encore jouir les parlementaires, les sénateurs majoritaires ne se font pas prier. Quatre propositions déboulent illico, souvent inspirées d'ailleurs d'initiatives antérieures: Mahoux-Vanlerberghe (PS/SP), Monfils (PRL), Lozie-De Roeck (Agalev), Leduc (VLD). Toutes quatre, moyennant des modalités diverses, tendent à introduire dans le code pénal une exception à l'interdit de tuer. Les propositions sociales-chrétiennes qui suivront préfèrent objectiver la notion jurisprudentielle habituelle de l'état de nécessité, par la loi (CVP) ou dans l'arrêté royal sur l'art de guérir (PSC).

C'est le 10 novembre 1999 que les commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales du Sénat entament la première... de 86 réunions. Dès le 20 décembre, les majoritaires (Ecolo compris) signent un texte commun sur l'euthanasie. S'y ajoutent deux autres propositions - l'une qui consacre les soins palliatifs, l'autre (plus tard intégrée au texte sur l'euthanasie) qui crée une commission d'évaluation de la législation en chantier.

D'ordinaire, un compromis pivote sur le plus petit commun dénominateur. Ici, à l'inverse, c'est la proposition la plus en pointe des quatre de départ - la socialiste - qui devient la copie commune. En effet, elle ne limite pas l'euthanasie aux situations de fin de vie, à l'inverse des trois autres; et elle permet les déclarations anticipées, que repoussait avec force arguments la proposition Monfils.

Ce `jusqu'au-boutisme´, mais aussi le fait que la proposition est signée par tous les chefs de groupe majoritaires et les velléités d'aller le plus vite possible laissent l'impression d'une grosse machinerie, voire d'une lourde machination politique et philosophique - impression funeste eu égard aux difficultés à légiférer, aux sensibilités du terrain, aux divergences que les clivages classiques ne recoupent pas précisément.

DES MODIFICATIONS S'IMPOSENT

Bref, le sentiment grandit qu'on a voulu `trop´ en faire. Il grandit, disons, côté francophone - on veut dire: chez Ecolo et à la fédération PRL, celle-ci drillée par un corps médical singulièrement divisé. Des sénateurs poussent à des auditions, épaulés par le président d'assemblée Armand De Decker (PRL). Il y en aura une quarantaine, de février à mai 2000, très diversifiées, souvent critiques. Des positionnements plus nuancés s'ensuivent. D'abord, à l'initiative notamment du PRL Alain Zenner (depuis commissaire du gouvernement), des libéraux, Ecolo et PSC travaillent sur une `contribution alternative´ - mais elle ne débouchera pas sur une proposition. Ensuite le groupe Ecolo demande de sortir la dépénalisation du code pénal. Le PS va concéder, non sans reprocher vertement aux écologistes de ne pas être `progressistes´. S'ensuit la copie remaniée par ses auteurs de novembre 2000: la proposition ne touche plus au code pénal, des procédures plus strictes sont fixées dans les phases de vie non terminale. Désormais, le 20 mars 2001, on peut voter en commission.

ON NE TOUCHE PLUS À RIEN

Le président De Decker requiert alors l'avis du Conseil d'Etat. Lequel prend son temps, mais satisfait largement, début juillet 2001, les partisans de la proposition: les juristes réfutent le soupçon d'incompatibilité du dispositif projeté avec plusieurs prescrits internationaux sur le droit de la vie. Raisonnement imparable? On lira, ci-contre, pourquoi le tout récent `arrêt Pretty´ redonne espoir aux adversaires du projet... En attendant, le 25 octobre, le Sénat approuve le texte, largement et quasiment majorité contre opposition - à l'exception du groupe PRL FDF MCC bruyamment coupé en deux.

Sitôt à la Chambre, le projet fait un détour inhabituellement informel - `pour avis´ - à la commission de la Santé. Seconde surprise: d'autres nuances, voire une franche perplexité, s'expriment, en janvier dernier. C'est ainsi que la commission pense, à l'unanimité, que le médecin sollicité par un patient devrait se concerter avec une équipe de soins palliatifs; et qu'elle se coupe en deux (8 voix contre 8 et une abstention) sur l'application du texte aux situations non terminales. Mais la Commission de la Justice, qui votera majorité contre opposition, n'en tient nul compte.

Et on exclut que l'assemblée plénière fasse autre chose. Tant les soutiens du projet redoutent que le moindre changement, enclenchant une navette avec le Sénat, repousse l'épilogue au-delà de la présente législature.

© La Libre Belgique 2002

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