L'enfant, parent pauvre de l'entreprise. A moins que...

Carrière ou progéniture? Le choix continuera à être obligatoire tant qu'on n'aura pas trouvé de solution à la garde des jeunes enfants. Des pistes naissent çà et là mais, globalement,la situation demeure catastrophique

PAR MONIQUE BAUS
L'enfant, parent pauvre de l'entreprise. A moins que...
©FLEMAL

ENQUÊTE

La garde des bébés de moins de trois ans est réellement problématique. Le week-end passé encore, des centaines de gardiennes encadrées défilaient dans les rues de Bruxelles pour réclamer un statut digne de ce nom. Le service qu'elles rendent répond à une demande criante. Si elles, comme d'autres catégories professionnelles concernées, ont de quoi être en colère, les parents et les enfants aussi. Quelques chiffres suffisent pour se rendre compte qu'aujourd'hui, le couple travail-famille fait clairement chambre à part. A Bruxelles, tous systèmes officiels confondus (voir encadré), les places disponibles ne couvrent que 46 pour-cent des besoins. Résultat? Les parents, désemparés, se tournent vers des solutions `boiteuses´, telles le gardiennage au noir, les copains, la famille. Leur choix ne porte plus sur le meilleur projet pédagogique mais sur le remède d'urgence le plus pratique. `Je rencontre tous les jours des parents qui doivent recommencer à travailler, sans avoir pu trouver d'accueil pour leur nouveau-né´, témoigne Maryse Duez de l'asbl Rire et Grandir (à l'origine d'un intéressant projet de partenariat public-privé pour la création de crèches à proximité des entreprises décrit dans le sous-papier page suivante) et également directrice de crèche. `Chaque matin sans exception, un monsieur se présentait devant ma porte, me suppliant de garder son bébé parce qu'il venait de retrouver du travail. Je me souviens aussi d'une maman qui, n'ayant pas trouvé de place disponible avant plusieurs mois, avait confié son enfant à sa femme de ménage et se sentait coupable.´

Dans nos sociétés industrielles, à l'aube de l'ouverture d'une cession extraordinaire des Nations unies consacrée aux enfants (du 8 au 10 mai prochain), on peut s'interroger sur la place que réservent nos sphères professionnelles à l'enfant et à ses parents. A la famille.

La société a changé. Le travail des femmes (ce sont elles qui, quand un choix doit être fait au sein du couple, font encore le plus souvent passer leur carrière au second plan) a pris de l'ampleur. Et il semble bien que les systèmes de garde d'enfants n'aient pas réussi à s'adapter. La question d'égalité des chances (professionnelles) est directement liée à leur évolution.

Plus encore que dans d'autres secteurs, celui des soins pose, en ce qui nous intéresse, un problème qu'on n'a pas résolu jusqu'ici: celui des horaires. Cécile Fontaine est conseillère dans la structure Iris (l'interhospitalière régionale bruxelloise des infrastructures de soins). Son éclairage est révélateur. `Les hôpitaux publics représentent à Bruxelles plus de 7 000 emplois. Considérons que seulement un pour-cent de ces personnes a un enfant de moins de trois ans. Cela représente deux cents bambins qui cherchent un lieu d'accueil et de développement pendant que leurs parents travaillent. Et les patients ne s'arrêtent pas d'être malades à 5h de l'après-midi!´ Dans le réseau Iris, seul le campus Brugmann dispose d'une crèche gérée par l'hôpital. `Elle compte 48 lits et entre 60 et 70 enfants inscrits. Cette capacité est insuffisante à couvrir les besoins! Les bébés réservent leur place avant même d'être conçus et ils n'en sont même pas assurés! Selon la demande des parents potentiels, il y aurait des réservations jusqu'en 2004.´ Les conséquences sur l'emploi, du personnel infirmier par exemple, sont immédiates. `Je peux témoigner qu'à cause de cela, en 2001, plusieurs infirmières n'ont pas repris le travail après un congé de maternité. Du coup, il a fallu établir des listes de services prioritaires: ceux où, vu les difficultés de recrutement, se posaient les problèmes majeurs d'organisation et de continuité des soins.´ Environ 3.000 personnes travaillent actuellement sur le campus Brugman. `De plus en plus fréquemment, celles qui deviennent parents ne sollicitent même plus une inscription en crèche et cherchent d'emblée une autre solution.´

Le cas de Brugmann n'est évidemment pas unique. Axelle Meunier témoigne d'une situation similaire dans son entreprise, Assist Interim (mise à disposition de personnel infirmier et aide-soignant dans le milieu hospitalier). `Il y a une réelle inadéquation entre les structures existantes et les horaires à prester, parfois à partir de 7h du matin, parfois jusqu'à 20h ou plus tard. Alors deux cas de figure peuvent se présenter aux parents. Soit ils trouvent un encadrement adéquat et c'est très bien. Soit ils n'en trouvent pas. Là aussi, deux solutions possibles. Ou leur nouveau-né est ballotté d'un endroit à un autre pour couvrir les plages horaires difficiles, le matin et le soir, avec tout le stress que cela suppose pour le papa ou la maman qui en a déjà une bonne dose dans son métier, je pense. Ou ils privilégient la famille et soit arrêtent de travailler (s'ils peuvent se le permettre), soit se tournent vers d'autres secteurs.´ Il y a deux ans, à la faveur d'un déménagement, Assist Interim a projeté de mettre sur pieds sa propre solution, en réservant des locaux à l'accueil des enfants du personnel. `Nous avons donc entrepris les démarches auprès de l'ONE- NdlR: qu'il y ait subside ou pas, toute personne amenée à garder de jeunes enfants doit être reconnue par l'ONE -. Nos locaux devaient subir quelques modifications, mais on pouvait y arriver. Financièrement, par contre, aucune possibilité rapide! Les démarches pour obtenir des subsides sont très longues. Par ailleurs, rien n'était prévu pour nous qui souhaitions ouvrir la crèche de nuit. Bref, le projet n'a toujours pas commencé. Deux conséquences à cela: la baisse de la qualité de vie de nos infirmières et le départ de beaucoup d'entre elles qui choisissent de quitter le milieu.´

Dans le cadre d'une politique globale de recherche d'équilibre entre vie privée et vie professionnelle et pour tenter d'enrayer la fuite de leurs meilleurs éléments, plusieurs entreprises - et pas seulement dans le secteur médical - ont imaginé des solutions. Le concept de crèche d'entreprise ne date pas d'hier. Celle de l'Université libre de Bruxelles a ouvert ses portes en... 1958! Elle ne constitue d'ailleurs plus aujourd'hui une crèche d'entreprise à proprement parler, puisqu'en théorie, elle se veut ouverte aux bambins du quartier. `Notre public privilégié est constitué des enfants du personnel et des étudiants, mais nous sommes ouverts à tous´, déclare Claire Poulain, attachée au département des services à la communauté universitaire de l'ULB. C'est d'ailleurs une des conditions pour obtenir les subsides de l'ONE, mais pas toujours facile à réaliser dans la réalité, vu la demande grandissante, en interne comme en externe. Les 128 places disponibles sont bien occupées et la liste d'attente est longue.

Contrairement à la crèche de l'ULB, celle de Swift est entièrement supportée par les finances de l'entreprise et les cotisations des parents. Née il y a treize ans, elle accueille actuellement 70 petits. `Elle a ouvert il y a treize ans pour 24 bébés, puis on est passé à 36, six mois plus tard, puis à 48, après six autres mois...´, relève Magda Nys, directrice-fondatrice. La villa achetée par l'entreprise en 1989 correspond manifestement à un besoin. `Directeurs, employés... Tout le monde nous confie son enfant, ce qui crée un lien différent du rapport strictement professionnel.´

La crèche d'entreprise, une solution? Incontestablement, elle est utile. Et tout autant, elle ne peut résoudre à elle seule le fossé qui s'est creusé entre offre et demande de places. D'aucuns en soulignent par ailleurs les abus possibles. C'est le cas de la Ligue des Familles. `L'employé ne peut moins facilement dire qu'il n'est plus disponible au-delà d'une certaine heure, si l'entreprise s'occupe de garder son enfant´, relaie Jean-Philippe Cobaut. `Nous avons des témoignages de parents qui vont dans ce sens. Le système peut également souffrir d'autres défauts. Comme d'induire une discrimination entre les parents travaillant dans une entreprise riche et ceux occupés dans un secteur plus pauvre. Ou des problèmes de dépendance du travailleur vis-à-vis de son employeur: sa mobilité sera-t-elle aussi fluide que sans cette attache? Ou encore la disparition de la frontière entre les sphères professionnelle et privée...´ La demande des travailleurs, pourtant, est là et bien là. Un récent sondage au sein du personnel de l'entreprise Solvay le prouve. `Parmi deux idées exprimées en vue d'améliorer la convivialité dans l'entreprise, les aspects liés à la garde des enfants étaient l'un des plus importants´, déclare Guy Peeters, porte-parole du site Solvay de recherche et technologie de Neder-over-Hembeek.

A la lumière de tout cela, l'idée de créer un partenariat public-privé pour créer un réseau de crèches à proximité des entreprises semble une piste intéressante.

© La Libre Belgique 2002

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