Révolution au musée de Tervuren
Le musée de Tervuren est le plus riche musée du monde pour l'Afrique centrale. Il possède 250.000 objets, 600.000 photos et 600 films d'avant 1960, dix millions de spécimens de la faune, toute les cartes géologiques... Mais le musée reflète peu cette richesse. Un musée plein de charme, mais vieillot, encore trop ancré dans l'époque coloniale
- Publié le 23-04-2002 à 00h00
ENTRETIEN
Le musée de Tervuren est le plus riche musée du monde pour l'Afrique centrale. Il possède 250.000 objets (on ne peut en admirer que 2 pc), 600.000 photos et 600 films d'avant 1960, dix millions de spécimens de la faune, toute les cartes géologiques et par satellites,etc... Un trésor enrichi par 75 scientifiques de haut vol dont les meilleurs connaisseurs des langues bantoues. Mais le musée reflète peu cette richesse. Un musée plein de charme, mais vieillot, encore trop ancré dans l'époque coloniale comme le montre la statue, dans le hall d'entrée, montrant la Belgique `apportant la civilisation aux Congolais´.
Tout cela va changer. En douceur, mais c'est une vraie révolution qui s'apprête à déferler sur le vénérable musée, menée par le nouveau directeur Guido Gryseels, arrivé en août dernier, et aidé par une importante étude stratégique demandée à Mc Kinsey. Nous l'avons rencontré.
La première chose qui frappe les visiteurs, c'est la vieillesse de la muséographie. Tevuren est presque devenu `le musée du musée´, la relique de ce qu'était un musée colonial. La première tâche de Guido Gryseels fut de constituer une équipe de muséographes, inexistante jusqu'ici, dans un pays où ce type de formation n'existe d'ailleurs pas. Il a engagé la muséologue française Valérie Sandoz, qui bénéficie d'une longue expérience bâtie à l'Icom, en Nouvelle-Calédonie et dans nombre d'expos africaines. `Ce fut une chance extraordinaire, s'exclame le directeur, de pouvoir engager quelqu'un de ce calibre´. Il lui adjoint une architecte d'intérieur, spécialiste des musées, devenant directrice artistique et deux personnes issues du musée même pour constituer un vrai team de muséographie.
800 MILLIONS
Le défi sera de rénover les salles d'expos permanentes. Un énorme travail qui est chiffré par McKinsey à 800 millions de francs, à charge de la Régie des bâtiments et qui s'étalera sans doute sur 6 à 8 ans. Un montant normal si on sait que la rénovation du musée des sciences naturelles coûtera un milliard de francs. La première étape sera de montrer rapidement que les choses changent. Le 21 novembre sera le jour `J´ du nouveau musée. On y inaugurera un nouveau parcours et une salle d'actualités. Ce ne sont certes encore, que des changements `cosmétiques´
souligne le directeur, mais révélateurs. Le parcours consistera à ajouter dans tout le musée, des panneaux et de l'audiovisuel puisé dans la très vaste collection, afin de pouvoir apporter le regard critique sur le passé et l'avenir du musée. On gardera ainsi la statue du hall, mais en y ajoutant un commentaire.
La seconde nouveauté sera la salle d'actualités où seront présentés avec une rotation trimestrielle, des sujets de recherches et leurs implications sur l'Afrique actuelle. `On ne sait pas assez que c'est nous qui avons préparé toutes les cartes utilisées par les humanitaires après l'éruption du volcan à Goma´. La première expo sera consacrée...aux mille-pattes. Un sujet très étudié au musée et très important pour la biodiversité de l'Afrique. La seconde expo sera centrée sur les travaux linguistiques très importants pour planifier les campagnes d'alphabétisation.
L'APPORT DES AFRICAINS
Ces premiers changements sont significatifs des objectifs de Gryseels, très heureux de voir acté dans le Moniteur le changement de raison sociale de son musée. On y a insiste, à côté des missions de recherches et de muséologie, sur la diffusion des connaissances, sur l'Afrique actuelle et sur le dévellopement durable.
Après cet apéritif et de spectaculaires expos temporaires (voir ci-contre), on s'attaquera à la rénovation même des salles. Avec plusieurs objectifs: changer l'esprit colonial qui demeure en apportant un regard équilibré sur cette période; parler de l'Afrique actuelle (les artistes contemporains), sans perdre l'intérêt pour la passé; aborder les thèmes actuels de l'Afrique comme l'urbanisation et l'écologie, avec une mise en contexte; améliorer la muséographie en intègrant les trésors audiovisuels du musée et en faisant tourner davantage les trésors enfouis dans les caves.Enfin, il s'agira d'améliorer l'infrastructure. Il n'y a pas de salle de conférences aujourd'hui et les sanitaires sont totalement insuffisants.
Ce travail sera mené par la cellule muséographique, en étroite collaboration avec les scientifiques et avec l'apport `essentiel´
d'experts extérieurs, y compris bien sûr des Africains, essentiels dans cette redéfinition du musée. Un comité d'orientation international est en place, qui visitera le musée en mai et organisera des `work shops´ en juin. Un concours d'architectes sera organisé pour la rénovation du bâtiment.
PLAN STRATÉGIQUE
Le plan Mc Kinsey donne d'autres pistes qu'empruntera le nouveau directeur. D'abord, la digitalisation d'une partie des collections (digitaliser le tout coûterait 4 milliards de francs!) qui doit faire de Tervuren un `centre de connaissance´ pour les chercheurs du monde entier. Il faudra aussi digitaliser la bibliothèque. La recherche sera d'autre part mieux valorisée. Une politique de collections absente jusqu'ici sera définie: qu'acheter? Que garder? Un nouvel organigramme sera mis en place...si les moyens permettant de faire les engagements nécessaires suivent. Des nouvelles pistes de financement seront appliquées comme le sponsoring. Appliquant les méthodes modernes de gestion décentralisée, Guido Gryseels a mis en place huit groupes de travail dont un -étonnant- sur l'éthique: que peut-on faire dans la collecte des objets et dans l'embauche de personnel sur place? Accepte-t-on de vendre des cartes à des groupes miniers multinationaux? Faut-il l'accord des gouvernments locaux? Guido Gryseels avance déjà sur le terrain essentiel de la sécurité (vol et incendie) en ayant engagé un `security manager´.
Reste bien entendu la question des subsides. Le livre blanc des institutions scientifiques destiné à secouer le politique se fait attendre depuis des mois. De plus, les questions communautaires menacent toujours. La Flandre réclamera-t-elle une régionalisation de Tervuren dont personne au musée ne veut? La coopération au développement qui finance une partie de Tervuren sera-t-elle régionalisée en 2004? Autant de cauchemars dont Guido Gryseels -prudemment- préfère ne pas parler.
© La Libre Belgique 2002
Expo: notre passé colonial! Le nouveau directeur Guido Gryseels n'a pas froid aux yeux en programmant pour 2004 sa première grande exposition temporaire sur `notre passé colonial´. Il veut en faire une sorte d'acte fondateur de ce nouveau musée qui se mettra en place dans les années à venir. Un musée qui envisagera évidemment l'Afrique du passé, et qui gardera tout son charme un peu désuet, mais un musée qui montrera aussi l'Afrique d'aujourd'hui avec un regard objectif et critique sur le passé colonial. `Je veux faire cette exposition maintenant, car nous avons encore assez de gens qui ont bien connu cette époque coloniale. Ils seront essentiels pour l'expo, avant que cette mémoire vivante ne disparaisse.´ Peut-on envisager un commissaire congolais ou d'origine congolaise ? `Peut-être, rien n'est décidé", dit-il. Cette exposition mêlera une rétrospective de l'oeuvre de Stanley dont on fêtera le 4 mai 2004, le centenaire de la mort. Tervuren vient de recevoir un nouveau lot des archives Stanley grâce à la fondation Roi Baudouin. L'AFRIQUE VUE PAR ELLE-MÊME Mais auparavant, à partir du 9 mai 2003 et pendant 6 mois, le musée de Tervuren reprendra la prestigieuse exposition de photos de photographes africains `L'Afrique vue par elle-même´ qui a déjà fait le tour du monde. Le même 9 mai, sera par ailleurs une journée spéciale au musée avec tout un week-end de fêtes et d'expos sur l'Afrique contemporaine avec la présence de nombreux artistes d'aujourd'hui. La reprise de cette exposition `clés en mains´ est aussi une aubaine pour Guido Gryseels qui peut ainsi garder toutes ses ressources humaines sur l'essentiel : la relance du musée et de ses expos permanentes. (GDt)