En patrouille avec les policiers du rail
C'est une criminalité dont on parle peu, à l'inverse de celle - hypermédiatisée - qui enflamme les banlieues. Chaque année, pourtant, elle fait des milliers de victimes. Et chaque jour, elle insécurise des millions de gens. L'an dernier, 3.000 usagers du train et un bon millier d'agents de la SNCF ont fait l'objet d'actes de violence.
- Publié le 09-04-2002 à 00h00
REPORTAGE
CORRESPONDANT PERMANENT À PARIS
C'est une criminalité dont on parle peu, à l'inverse de celle - hypermédiatisée - qui enflamme les banlieues. Chaque année, pourtant, elle fait des milliers de victimes. Et chaque jour, elle insécurise des millions de gens. L'an dernier, 3.000 usagers du train et un bon millier d'agents de la SNCF ont fait l'objet d'actes de violence. Pour la seule Région parisienne, 2.000 voyageurs et quelque 600 cheminots ont été agressés en 2001, soit une hausse de 23 pc: du jamais vu.
Ces chiffres, on les garde constamment à l'esprit au QG de la police ferroviaire de la SNCF, dont les bureaux surplombent la gare du Nord à Paris, avec vue imprenable sur les Thalys alignés en contrebas. Des chiffres qui sont relativisés - `2.000 agressions par an en Ile-de-France, cela fait 6,5 voyageurs touchés par jour sur 2 millions de voyageurs transportés´ - mais nullement minimisés. Une quarantaine de personnes se relaient ici jour et nuit. Sur les écrans d'ordinateur, défilent le positionnement des équipes de surveillance patrouillant sur le terrain, les coordonnées des milliers de fraudeurs et de délinquants fichés par la SNCF, et le descriptif de tous les faits délictueux commis sur le réseau ferré: du simple graffiti jusqu'au lynchage d'un contrôleur en passant - de plus en plus souvent - par le vol avec violence de téléphones portables. De ce QG, on gère les 5.000 trains circulant chaque jour sur les 1.300 kilomètres du réseau ferré parisien. `On ne peut évidemment pas surveiller tout le réseau tout le temps´, admet un jeune officier de la Brigade des chemins de fer, qui relève de la police nationale. `Comme il est impossible, en matière de sécurité routière, d'appliquer la tolérance zéro sur toutes les routes de France...´
Sur le terrain, néanmoins, on s'active. Un bon millier d'agents de la police ferroviaire, en uniforme et armés, quadrillent quotidiennement l'Ile-de-France. Ce soir, quatre d'entre eux nous attendent sur un quai de la gare de l'Est, prêts à embarquer dans un train de banlieue.À peine sont-ils montés à bord que des jets de pierre leur sont signalés par walkie-talkie. Les sens en alerte, les agents parcourent lentement les 240 mètres de train dont ils doivent assurer la surveillance. Leur modus operandi est bien rôdé. Dans les rames à deux niveaux, l'inspection de l'étage inférieur ne débute que quand celle de l'étage supérieur est achevée. Le passage entre deux wagons ne se fait qu'après vérification que la plate-forme n'a pas été intentionnellement relevée. À chaque gare, les agents observent les gens qui montent à bord. `On travaille au flair´, explique Pascal, le chef d'antenne de Meaux (Seine-et-Marne). Justement, au bout du quai, un voyageur vient de monter avec un molosse. Muselé ou pas? Difficile à dire. On va vite s'en assurer. Et ainsi de suite, de gare en gare, jusque tard dans la nuit.
À chaque arrêt, on aperçoit sur les quais des jeunes gens vêtus de gilets verts ou bleus. Quelque 2.000 agents d'accueil et emplois-jeunes - venus principalement des cités - ont été recrutés par les chemins de fer pour assurer une présence dans les gares jusqu'au dernier train. Avec la rénovation, l'humanisation et la sécurisation de plus de 200 stations (nouveau mobilier, renforcement de l'éclairage, vidéo-surveillance, etc.), c'est un des volets les plus importants du programme de sécurité mis en oeuvre par la SNCF. Ces jeunes inspectent les gares et les parkings, aident les voyageurs égarés, préviennent les secours en cas de problème, etc. `Des gens nous disent qu'ils sont vraiment rassurés de nous voir´, témoigne Aurélien, 24 ans. `En général, cela se passe bien. La plupart des problèmes qu'on a, on parvient à les régler par le dialogue´. Trois gares plus loin, Adil, même âge, confirme, le sourire en coin. `Il fait trop froid: les voyous n'ont pas envie de sortir. Cet été, ce sera sans doute un peu plus agité.´
Minuit approche. Le retour sur Paris commence. Finalement, aucun incident grave n'a émaillé la soirée. `Tout est aléatoire´, commente Pascal. `Le matin quand on se lève, on ne sait jamais de quoi la journée sera faite.´ En général, l'est parisien est plutôt calme: les patrouilleurs doivent davantage se frotter à l'incivilité (non-respect de l'interdiction de fumer, déprédations, tapage, etc.) qu'à la criminalité. `Cette zone est restée encore relativement à l'écart du phénomène des bandes´, se réjouit Pascal. `Dans la région nord, c'est autre chose. Là, on évolue en terrain hostile: on n'a vraiment pas le droit à l'erreur. Et on va au contact tous les jours.´
Notre interlocuteur reçoit l'ordre de son supérieur de baisser le ton: rien ne sert d'alarmer les voyageurs qui écoutent notre conversation. `On lutte autant contre le sentiment d'insécurité que contre l'insécurité´, souligne un cadre de la SNCF. `On se montre plus qu'avant´, confirme Franck, policier du rail de 28 ans. Pour autant, ni ce jeune homme, ni son collègue Bruno n'ont perçu, dans leur travail quotidien, cette fameuse flambée de l'insécurité dont on ne parle tant. `Les médias la découvrent à cause des élections´, sourit Bruno. `Nous, on a constaté depuis bien longtemps une hausse des incivilités. En termes de matériel, de formation, de technique et d'encadrement, on s'y est déjà adapté.´
Et les résultats commencent à se faire sentir. Auparavant, l'Ile-de-France concentrait 60 pc des actes de délinquance commis sur le réseau ferré français. Aujourd'hui, la criminalité ferroviaire y progresse deux fois moins vite qu'en province. La violence s'est déplacée vers de nouvelles zones noires: l'axe Montpellier-Nîmes-Marseille, les banlieues de Lille ou Lyon. Le travail est donc loin d'être terminé.
© La Libre Belgique 2002