William Boyd, le magicien
William Boyd, un des romanciers anglais les plus importants de l'après-guerre, a multiplié les succès. Il sort ces jours-ci son nouveau roman, très attendu, et sera le 15 avril à Bruxelles aux grandes conférences catholiques.
- Publié le 08-04-2002 à 00h00
RENCONTRE
Les nouvelles confessions´, `Brazzaville -plage´, `Un anglais sous les tropiques´, `Comme neige au soleil´, `L'après-midi bleue´: William Boyd a accumulé les succès, y compris en France où ce francophile connaît aussi une impressionnante notoriété. Il publie aujourd'hui: `Any Human Heart´ et sera lundi à Bruxelles pour dialoguer de manière `décontractée´, dit-il, avec Jacques De Decker, à la tribune des grandes conférences catholiques. Nous l'avons longuement rencontré à son domicile londonien.
Le coeur du Londres huppé et éternel bat toujours à Chelsea. Les petites maisons blanches, léchées, s'alignent dans des ruelles où le temps a le temps de prendre le temps. Quelques MG et BMW sont garées le long des trottoirs. Les parcs, ici, sont parfois privés. A Chelsea, l'aisance est évidente mais discrète.
Une maison couleur crème, dans la Redburn Street. Par la fenêtre, on ne voit que des livres alignés sur les rayons d'une bibliothèque qui envahit tous les murs. William Boyd y a fixé son antre londonien. Il revient tout juste de New York. `Je suis toujours dans le jet lag´, s'excuse-t-il. Cinquante ans, une grande douceur dans la voix et le physique, parlant un français quasi parfait, avec juste la pointe d'accent pour en faire un héros boydien. Il nous parle de son dernier livre, de l'écriture.
Sur la table ronde, les premiers exemplaires de `Any human heart´ (`Tout coeur humain´), un gros bouquin de 500 pages, un événement. Il sortira en français en octobre, au Seuil. `Je ne sais comment on traduira le titre, `any´ ne se traduit pas facilement...´. Le roman raconte l'histoire d'un écrivain né en 1906 et mort en 1991. Il a `fait´ tout le siècle et vécu tant en Angleterre, qu'en France, à New York, en Afrique, aux Bahamas et en Suisse. Comme toujours chez Boyd, les `héros´ sont des êtres complexes, qui ratent largement leur vie, pris entre leurs rêves et les réalités contre lesquelles ils se cognent sans cesse.
`Ce romancier a connu un grand succès avant guerre, puis a été totalement oublié. Sa vie est faite de réussites et d'échecs. Il avait envie d'accomplir des choses extraordinaires, mais il les a ratées par une suite de hasards, de malchances. Comme est la vie.´ William Boyd s'est partiellement inspiré de la vie réelle d'écrivains anglais comme William Gerhardie qui fut une grande vedette dans les années 20, inspirant Graham Greene et Evelyn Waugh, deux `modèles´ pour William Boyd, avant de disparaître de l'avant-plan. Pendant 37 ans, Gerhardie n'a plus écrit une seule ligne et, à ses amis, il disait toujours qu'il préparait un grand roman. Mais à sa mort, on n'a rien trouvé. `Sa vie est un avertissement: les choses peuvent bien commencer mais mal finir.´
Le livre se présente comme le journal intime d'un écrivain: ses débuts en écriture avec un petit livre sur le poète Shelley, ses histoires d'amour, de divorce, la Seconde Guerre mondiale. Est-ce une suite des `Nouvelles confessions´, peut-être le plus grand roman de Boyd, qui racontait l'histoire d'un cinéaste qui voulait tourner les `confessions´ de Rousseau? `Non. `Les Nouvelles confessions´ étaient une forme de fausse autobiographie qui transforme une vie en un tout charpenté. Un journal intime c'est autre chose. On y lit, chaque jour, le présent et rien que lui, le futur comme le passé n'existant plus. Un journal intime colle à la vie, car il est fait d'une suite de hasards. J'ai moi-même tenu un journal intime pendant 20 ans, l'histoire de ma vie professionnelle. Et j'ai récemment retrouvé le journal que j'avais rédigé entre 18 et 20 ans. J'y ai rencontré un étranger. Je ne connaissais pas ce `moi´. C'est même bouleversant de me retrouver mélancolique, impulsif, obsédé par moi-même, empli par mes histoires d'amour. Mais j'y ai retrouvé aussi toutes mes émotions. Il existe des journaux intimes célèbres comme celui de Virginia Woolf.´
Les personnages de Boyd sont souvent des êtres fragiles, qui échouent, pris dans les filets de leurs propres défauts. `La vie est comme cela. Il est bien plus intéressant d'écrire sur ces gens-là que de parler de ceux qui réussissent en tout.´
L'écrivain voit avec son nouveau roman, la fin d'un étonnant triptyque. `Les Nouvelles confessions´ était, dit-il, une fausse autobiographie. `L'Histoire de Nat Tete´, un surprenant canular mené avec David Bowie, était la fausse biographie d'un soi-disant artiste américain. Et avec `Any human heart´, il a réalisé un faux journal intime. `Je veux voyager à la frontière entre la vérité et la fiction. Ecrire des histoires qui semblent vraies mais qui sont totalement inventées.´
William Boyd partage sa vie entre Londres, New York où il se rend fréquemment avec son épouse Suzanne, éminence grise des dirigeants du prestigieux magazine de mode `Harper's Bazaar´ et le sud de la France. Il possède une maison près de Bordeaux où il se rend trois mois par an. Il affiche une grande francophilie, née avec le diplôme acquis jadis à l'université de Nice et nourrie par son étonnant succès auprès des lecteurs français depuis que Bernard Pivot, il y a quinze ans déjà, avait proclamé devant tous les téléspectateurs que `Comme neige au soleil´ était si formidable qu'il rembourserait personnellement tout lecteur qui n'aimerait pas le livre.
William Boyd met trois à quatre ans pour écrire un roman. Il commence par des mois de recherches et par la rédaction scrupuleuse d'un scénario. Il écrit toujours ses manuscrits au stylo. Seule concession à la modernité, il a remplacé il y a peu, le crayon par la plume. `J'ai besoin de la main, du stylo, qui sont branchés sur ma cervelle. C'est triste de voir des écrivains rédiger immédiatement à l'ordinateur. Nous n'aurons plus de manuscrits où nous pouvions voir les changements successifs de l'histoire et de la pensée, les ratures.´
L'auteur de `L'après-midi bleue´ n'imaginerait pas ne plus écrire. `Je voulais être peintre quand j'étais enfant, mais à 17-18 ans, j'ai décidé de devenir écrivain. L'ambition de devenir un artiste. Je n'imagine pas faire autre chose. Et je ne sais ce que je ferais si je devenais un écrivain raté comme mon héros. Peut-être, professeur à Oxford?´
Ses romans naissent lentement. `J'ai toujours 3 ou 4 idées qui avancent de concert, dans un processus organique. J'ai la tête un peu vide après la fin de mon dernier roman. Mais les idées s'accumulent déjà. Je voyais au cinéma une séance d'hypnotisme et je me suis dit que c'était une idée à creuser. Je voudrais écrire un roman qui se passe aujourd'hui, une sorte de tour du monde un peu particulier.´
William Boyd reprend à son compte la recette du bon roman expliquée par E.M. Foster (l'auteur de `Chambre avec vue´): `Un roman, c'est une question de personnages et de narration´, raconter des histoires et faire vivre des gens. Il place, au-dessus de tous, Vladimir Nabokov, mais aussi d'autres Russes comme Tchekhov ou Gogol `pour leur philosophie, leur humour un peu cynique, comme le mien´. Mais il admire aussi les grands Américains John Updike avant tout et Philip Roth ou Saül Bellow. Des Français aussi: Sartre, Camus, Robe-Grillet et Tournier. Evelyn Waugh évidemment, un personnage complexe, amer. De droite certes, alors que Boyd est de gauche. `Comme tous les écrivains´, tempère-t-il.
Il y a deux sortes d'écrivains selon lui: ceux qui utilisent leur vie et ceux qui préfèrent l'imaginaire. Il opte résolument pour la seconde catégorie. `Il est plus stimulant de pouvoir imaginer la vie dans les tranchées comme je l'ai fait dans `Les Nouvelles confessions´ ou d'être dans la peau d'une femme spécialiste des chimpanzés dans `Brazzaville-plage´.
William Boyd n'a jamais été au pied du Kilimandjaro, aux Philippines ou à Berlin, des lieux qui pourtant ont habité ses grands romans. `Je travaille à partir de guides de voyages, de cartes, de vieux documents et je laisse courir mon imagination. Mais les gens se retrouvent dans mes voyages imaginaires. Au début de ma carrière, j'ai écrit des nouvelles sur Los Angeles que je n'avais jamais vue. Et quand j'y suis allé, j'ai vu que cela collait. J'ai été rassuré. Un ami qui travaille aux Philippines pour une grosse firme de pub, donne à tous ses visiteurs `L'Après-midi bleue´ parce qu'il trouve que ce roman exprime parfaitement ce pays alors que je n'y ai jamais été.´
William Boyd ne se sent forcément pas Anglais puisqu'il est Ecossais. Mais il est en réalité un `déraciné´. Né au Ghana, un père médecin, une enfance au Nigéria où il fut très marqué par la guerre du Biafra, la guerre devenant un thème qu'on retrouve dans plusieurs romans et celle du Biafra intervenant dans son dernier opus. Il aime beaucoup Londres mais se sent un peu en exil, dans tous les pays du monde. `C'est bien d'être exilé pour un écrivain, car cela donne de la distance indispensable.´
William Boyd n'est pas que romancier. Il voue une grande passion au cinéma. `L'écriture est un exercice solitaire. J'écris trois heures par jour, parfois dix heures quand le roman se termine et que le stress monte. Cela me laisse, en général, du temps pour d'autres activités comme le cinéma où j'adore collaborer avec d'autres. J'ai ainsi réalisé en 2000, `The Trench´, la `tranchée´ qui a connu un succès d'estime de la part des critiques et qu'on devrait revoir bientôt sur Canal Plus. C'est l'histoire de très jeunes hommes qui attendent pendant 48 heures dans une tranchée le début de la bataille de la Somme. C'est terrible de voir ces visages enfantins plongés dans la guerre. C'est bien plus réaliste que Tom Hanks débarquant en Normandie.´
Il prépare un nouveau film: un thriller qui se passerait une nuit à Londres. Il a réalisé au total onze films pour le cinéma et la télévision. Il prépare un vaste projet avec la BBC sur l'histoire du jeune Hitler de 1912 à 1933. `Hitler a été SDF pendant 6 ans. Je voudrais comprendre pourquoi et comment, cet homme si nul a pu devenir ce qu'il a été. J'ai lu 50 livres. Il y a cette histoire d'amour incroyable avec sa nièce. Les historiens ne peuvent l'explorer faute de documents, mais, moi, je peux avancer, imaginer. Rendre plus vrai que vrai. Comme dans mon dernier roman où mon héros rencontre Picasso, Virginia Woolf et le duc de Windsor. Par la fiction, on invente des personnages très réels. On les fait vivre et mourir. Dans mon roman, Logan, le héros meurt à la fin. J'ai dit un jour, à ma femme Suzanne, un peu bouleversé, comme si j'avais commis un meurtre: `aujourd'hui, j'ai tué Logan´.
En tant que journaliste, William Boyd écrit des textes sur des artistes dans `Modern Paintors´ (dernièrement sur Michael Andrews un ami de Lucian Freund et David Hockney), des introductions, des reportages (Amsterdam pour le New York Times, le sud de la France pour `Travelers´).
William Boyd pratique peu la vie mondaine des écrivains. `Mais je fais des rencontres qui me touchent. J'ai pu ainsi discuter l'autre jour avec Mick Jagger. C'était fascinant de le voir, car j'étais un fan des Rolling Stones quand j'avais 11 ans. C'est un homme très intelligent, on oublie souvent qu'il a fait la London School of Economics. Nous avons parlé du dernier film dont il est producteur, de Tom Stoppard. J'ai rencontré aussi plusieurs fois la princesse Margaret. Elle m'a beaucoup touché. Elle était triste, fumait et buvait. Elle était sympa, mais malgré tout, elle gardait cette hauteur qu'a toute la famille royale, elle n'écoutait jamais vraiment ce que vous lui disiez. Sa mort m'a plus ému que celle de la Reine Mère. J'ai même été à l'école avec le prince Charles. On en a discuté quand je l'ai revu.´
William Boyd voit tout ce beau monde avec la distance du romancier, péchant déjà l'anecdote dont il agrémentera un prochain roman. Sa vie est plutôt, ici, dans sa bibliothèque de Chelsea ou dans sa maison du sud de la France. A écrire, à imaginer des histoires, à bâtir des mondes. `Cela fait vingt ans que j'écris. Cela va bien encore durer vingt ans, je l'espère. C'est mon ambition. Continuer´. Pour notre plus grand plaisir, peut-on ajouter.
William Boyd est l'invité des grandes conférences catholiques, le lundi 15 avril à 20h30, au Palais des Congrès à Bruxelles. Infos et réservations au tél.: 02/6271021 (de 9 à 12h)
© La Libre Belgique 2002