Sur les traces du grand pingouin
Le Grand pingouin prospérait autrefois au Canada mais, faute de savoir voler, il a fini dans les casseroles des premiers colons et disparu à tout jamais du globe il y a plus d'un siècle et demi: aujourd'hui, des scientifiques ont commencé d'établir sa carte génétique pour comprendre son histoire.
- Publié le 15-03-2002 à 00h00
Le Grand pingouin prospérait autrefois au Canada mais, faute de savoir voler, il a fini dans les casseroles des premiers colons et disparu à tout jamais du globe il y a plus d'un siècle et demi: aujourd'hui, des scientifiques ont commencé d'établir sa carte génétique pour comprendre son histoire.
Noir et blanc, le jabot grassouillet, le bec un peu crochu, les ailes courtes et les pieds palmés, le Pinguinus Impennis dépassait les 70 cm de haut mais, faute de savoir voler comme ses cousins, il était désarmé face aux chasseurs qui le recherchaient pour sa chair, ses plumes et ses oeufs.
Il vivait en colonie sur l'île Funk, au large de la côte de Terre-Neuve ainsi qu'en Islande, jusqu'à sa disparition en 1844. Première espèce animale déclarée disparue dans le pays, le Grand pingouin occupe une place particulière dans l'affection des Canadiens qui lui ont même consacré des sites internet.
Pourtant, il n'en reste plus aujourd'hui que quelques os sur lesquels les chercheurs du Centre pour la biodiversité et la conservation biologique ont prélevé des échantillons d'ADN.
Ces chercheurs du Musée royal de l'Ontario veulent notamment comprendre comment cette espèce était reliée aux autres membres volants de sa famille, les alcidés.
"C'est un oiseau cher au coeur des habitants de Terre-Neuve, où l'on en comptait des millions", dit Allan Baker, directeur du projet Grand pingouin du musée.
Depuis un an et demi, les experts ont identifié environ 2.000 paires d'ADN sur un nombre total estimé entre un et trois milliards, selon Oliver Haddrath, qui travaille sur le projet comme biologiste moléculaire spécialisé dans l'évolution des espèces.
On est loin de Jurrasic Park: "nous n'en sommes pas encore à essayer de cloner un Grand pingouin. Tout ce que nous tentons de faire c'est de trouver la place qu'il occupe dans l'arbre de la vie", explique-t-il.
"La vraie raison pour laquelle nous voulions faire cela, c'est que nous avons déjà travaillé dans le passé sur les liens entre tous les alcidés. Et évidemment le seul qui manque vraiment, c'est le Grand pingouin", ajoute-t-il.
De plus, "l'ADN va aussi nous donner une idée sur l'époque à laquelle cet oiseau ne volant pas a eu dans le passé un ancêtre qui volait", précise M. Haddrath.
L'ADN extraite du Grand pingouin fait déjà croire aux scientifiques de Toronto qu'il s'est différencié des autres membres de sa famille génétique il y a neuf millions d'années.
Ils pensent que cet oiseau a renoncé à voler pour prendre du poids et pouvoir plonger ainsi plus profondément que les autres alcidés, attrapant ainsi davantage de poisson.
Encore quelques mois et les chercheurs auront décrypté mille paires d'ADN supplémentaires et terminé leur travail, mais ils espèrent bien que d'autres prendront un jour le relais pour retracer la carte génétique complète du Grand pingouin.
Mais, "même si toutes les informations sont là et si c'est théoriquement possible, c'est une tâche infaisable pour l'instant", dit Oliver Haddrath, expliquant qu'à la vitesse où la carte ADN est déchiffrée, il faudrait encore 1.250 ans pour la terminer.
Si la technique s'accélère, elle bénéficiera aussi à un groupe de scientifiques britanniques qui viennent tout juste de s'attaquer ce mois-ci au déchiffrage de la carte ADN du dodo, un oiseau tout aussi incapable de voler que le Grand pingouin, et rayé de la surface de l'Ile Maurice par les chasseurs dès le 17è siècle.