Petits mardis entre amis
Fondées en pleine euphorie Internet, les réunions `First Tuesday´ renaîtraient-elles de leurs cendres? Peut-être, mais plutôt en tant que rendez-vous d'une communauté que comme rendez-vous d'affaires.
- Publié le 07-03-2002 à 00h00
REPORTAGE
Mardi dernier, plus de 300 personnes se pressaient dans les locaux d'Agoria, situés boulevard Reyers, pour la réunion `First Tuesday´ du mois de mars. Une affluence étonnante pour un événement qui, il y a quelques mois encore, était devenu aussi moribond que la plupart des start-up actives dans l'Internet.
Pour rappel, les `First Tuesday´ sont ces réunions où entrepreneurs, investisseurs et observateurs du secteur des nouvelles technologies - identifiés respectivement par des pastilles vertes, rouges et jaunes - se rencontrent tous les premiers mardis du mois autour d'un verre. Fondées à Londres, elles ont connu leur première édition belge en septembre 1999, en pleine euphorie autour des `dotcoms´. Le mythe de l'époque voulait que des net-entrepreneurs y arrivaient avec un business plan de quelques pages, le présentaient à des `venture-capitalists´ et le soir même, la société était sur les rails.
Très vite cependant, ce beau tableau s'est lézardé, avant de carrément voler en éclats depuis l'explosion de la bulle Internet. Frédéric Fonteyne, le fondateur de la société Mcube, une start-up belge qui monte, le confirme sans détours. `Cela fait des années qu'il n'y a plus d'affaires qui se font autour des tables de First Tuesday´, dit-il. `Tout au début, quand cela se passait au Cyberthéâtre, c'était peut-être le cas mais aujourd'hui, l'utilité mesurable de ces réunions n'est pas terrible. En ce qui me concerne, je ne suis plus à la recherche d'argent pour mon entreprise mais il m'est arrivé d'aller à First Tuesday pour en chercher et j'ai toujours été déçu. Je n'ai jamais eu de contacts concluants avec des investisseurs via ces réunions. Bien sûr, il y en a qui continuent à venir mais c'est surtout pour faire acte de présence: ils ont fermé les robinets depuis un bon bout de temps´.
Faisant partie des nombreux habitués, Fréderic Fonteyne continue pourtant à venir aux `First Tuesday´ avec plaisir. `C'est le rendez-vous de la communauté Internet en Belgique et c'est donc toujours intéressant d'y être´, raconte-t-il. `J'y vois des gens que je connais de longue date, avec qui j'entretiens des relations tant personnelles que professionnelles et dont certains sont même devenus des amis. Et puis les orateurs présents valent souvent le détour´.
Alain Heureux, un des fondateurs de Virtuology, est lui aussi un habitué des réunions du mardi. `J'y viens pour continuer à soutenir ceux qui ont tout de même été à la base du Net en Belgique´, dit-il, en constatant comme Frédéric Fonteyne que `First Tuesday´ recommence à attirer du monde.
`Lors de la dernière réunion à la Bourse, en novembre, il devait y avoir au maximum une centaine de personnes et le concept était visiblement à bout de souffle: les gens en avaient assez du côté `show´ de l'événement´, explique-t-il. `Depuis, les organisateurs ont décidé d'instaurer une tournante au niveau du lieu et ça porte visiblement ses fruits. Le mois passé, cela se passait à la Maison de l'Europe et j'étais un des orateurs. J'ai été tout surpris de voir qu'il y avait 275 personnes dans la salle. C'est bien de voir des nouvelles têtes, comme au bon vieux temps´.
Benoît Cornet est une de ces nouvelles têtes. A moitié du moins. Tout au début des `First Tuesday´, il était venu y faire un tour. À l'époque, il travaillait pour Paspartoo, une start-up belgo-israëlienne spécialisée dans l'impression via Internet. Depuis, ce projet a pris l'eau - même si la société existe toujours - et, après être passé quelques mois chez Isabel, Benoît Cornet s'est lancé dans Alterface, une nouvelle aventure. Spin-off de l'UCL, il s'agit d'une société spécialisée dans la création d'univers virtuels interactifs (pour plus de détails, voir le Cyberc@hier de ce 09/03 dans La Libre Belgique).
`Je suis venu ici pour rencontrer deux-trois personnes´, explique-t-il. `Mais je ne me fais pas d'illusions en ce qui concerne d'éventuels investisseurs. Ceux que je croise ici sont les mêmes qu'à l'époque Paspartoo. Quoi qu'on dise, la morosité règne toujours et on est loin des montants d'il y a quelques années. Surtout dans un domaine comme celui d'Alterface, qui est plutôt actif dans le culturel. De ce côté-là, il est beaucoup plus facile de trouver des financements en France. Par contre, je dois bien avouer que nous bénéficions en Belgique de nombreuses aides à l'exportation´.
La pastille rouge sur le badge indique qu'Ulrich Seldeslachts, de Belgacom Multimedia Ventures, est un de ces fameux investisseurs tant recherché par les net-entrepreneurs. Il confirme que `First Tuesday´ n'est pas forcément le lieu où les affaires se font. `Nous tentons d'y envoyer au moins une personne de chez nous à chacune des réunions mais jusqu'ici, force est de reconnaître que nous n'avons jamais signé de contrat pour lequel les discussions auraient commencé à First Tuesday´.
Jean de Renesse est un des cinq fondateurs de la version belge de `First Tuesday´. Avec Jean de Gheldere, qui a quitté Best Of et qui est un autres des cinq mousquetaires, et Jean-Patrick Smal, de la société Punch International, il tente aujourd'hui de réinsuffler de la vie à l'événement.
`Comme tout le monde, nous avons pris du plomb dans l'aile´, reconnaît-il. `Pendant un temps, c'est vrai qu'il y a sans doute eu un ras-le-bol. Et puis avec leurs boîtes qui périclitaient, les entrepreneurs et investisseurs avaient d'autres chats à fouetter que de venir faire le mariolle à First Tuesday´.
Jean de Renesse est pourtant loin de penser que le concept a son avenir derrière lui. `Nous avons une vingtaine de Tuesday à notre actif et je crois que c'est seulement maintenant qu'on arrive à des rencontres d'une qualité qui va au-delà d'un échange de cartes de visite. Les gens se connaissent désormais et on n'a presque plus besoin des pastilles de couleur. Un réseau a été mis en place. On est parvenus à identifier les 300 personnes qui font le marché de l'Internet en Belgique´.
Les organisateurs des `First Tuesday´ sont eux aussi passés par des moments difficiles. Notamment parce que des sponsors les ont laissé tomber, de peur d'associer leur nom à des sociétés Internet soudainement devenues infréquentables. `Mais nous avons persévéré, au risque de remettre en cause notre crédibilité´, affirme Jean de Renesse, qui précise que des partenaires comme PricewaterhouseCoopers ou Oracle sont restés et que `des banques, des consultants et des médias´ frappent aujourd'hui à la porte.
Dopés par le renouveau de la fréquentation, les organisateurs des `First Tuesday´ ont également retrouvé des ambitions... et leur dictionnaire français-anglais: des `roadshows´, une `jobfair´, une `christmas party´, une `garden party´ sont en chantier. Le site web de l'organisation devrait lui aussi être complètement relifté.
Après avoir tout essayé - sessions plus techniques, changement de ville, changement de lieu,...-, Jean de Renesse et ses amis semblent également avoir trouvé la bonne formule. A savoir des `First Tuesday´ articulés autour d'un débat entre plusieurs grands formats issus du secteur des nouvelles technologies.
En attendant l'Internet payant le mois prochain - un thème brûlant -, le débat de mardi dernier concernait les stratégies des `venture-capitalists´ pour l'année 2002. L'occasion de constater une nouvelle fois que ces derniers sont devenus extrêmement prudents dans le choix des sociétés qu'ils soutiennent. De constater aussi que cette prudence est synonyme d'une accumulation d'argent dans les portefeuilles de ces mêmes investisseurs. Cette situation rend Jean de Renesse optimiste pour l'avenir. `Il y a beaucoup de bons projets qui n'attendent qu'une amélioration du marché pour ressortir de leurs tiroirs´, dit-il. `Je suis sûr que la génération start-up, celle des premiers First Tuesday, refera surface d'ici trois à quatre ans. On sent déjà aujourd'hui les prémisses d'un nouveau boom´.
© La Libre Belgique 2002