Allemagne: un dimanche d'élection en famille (REPORTAGE)
- Publié le 24-09-2017 à 20h43
- Mis à jour le 25-09-2017 à 09h42
La CDU toujours en tête, le SPD qui dégringole et l’extrême droite de l’AfD qui remporte la troisième place… Une surprise pour les Allemands ? Pas vraiment, plutôt le reflet des divisions de la société allemande actuelle, des divisions qui traversent les régions mais aussi les familles. Pour preuve, la famille de Christian, un électeur berlinois de la CDU, que nous avons rencontré un jour de fête.
Confettis, serpentins et bougies : l’atmosphère est chaleureuse pour fêter les deux ans d’Alex, le petit dernier de la famille, en plein week-end des élections législatives. Une question flotte dans l’air : "Et toi, pour qui tu votes ?" Une question inhabituelle pour les Allemands, qui restent généralement discrets sur le sujet. Les réponses révèlent quelques surprises… notamment du côté des grands-parents.
"Tu votes Die Linke, toi ?"
"Moi ? Ce que je vote ? Die Linke !", confesse en premier Lothar, l’arrière-grand-père paternel d’Alex, 88 ans. Pour cet ancien ingénieur du temps de l’Allemagne communiste, "il faut quelqu’un de vraiment à gauche pour plus de justice sociale".
C’est aussi une tradition familiale : ses parents, ses grands-parents étaient ouvriers dans l’industrie textile et, pour lui, les droits sociaux n’ont pas toujours été un acquis. "Pour nous, qui avons pris notre retraite à peu près au moment de la chute du Mur, la vie est confortable", explique-t-il. Mais elle est plus dure pour beaucoup de ses voisins, plus jeunes, qui ont dû cumuler les "petits boulots" pendant vingt ans.
La femme de Lothar, Christa, est quand même étonnée, parce que son mari n’était pas spécialement favorable au régime communiste. "Tu votes Die Linke, toi ? Moi, je vote SPD depuis la chute du Mur." Pourquoi ? "Juste comme ça. Ça me paraît le plus juste." Lothar n’est pas convaincu. Pour lui, Martin Schulz n’est pas assez proche des gens, même s’il insiste toujours sur ses origines populaires. "Tant qu’à faire, je préfère Sahra Wagenknecht, elle est plus attirante", lance Lothar, un brin provocateur, en évoquant la leader de Die Linke, une froide beauté brune à l’intelligence mordante.
"Je suis sûr qu’il vote AfD"
A l’opposé du spectre, personne dans la famille ne doute vraiment que l’arrière-grand-père maternel, Wilfried, vote pour l’extrême droite. A chaque fête familiale, il vitupère contre Angela Merkel et ses réfugiés "voleurs", contre l’injustice faite aux Allemands de l’Est après la réunification du pays aussi. "Je suis sûre qu’il vote AfD", avance la mère d’Alex, Marianne. Son grand-père était proche du régime communiste du temps de la RDA. La chute du Mur l’a laissé tout un temps au chômage avant qu’il ne trouve un petit emploi dans les chemins de fer. Aujourd’hui encore, à 77 ans, il fait un "mini-job" comme gardien, payé 450 euros par mois sans sécurité sociale. "C’est plus pour s’occuper que par nécessité financière", pense toutefois Marianne.
Son mari Christian n’est pas inquiet outre mesure de ce vote. Selon lui, l’AfD disparaîtra comme elle est apparue, lorsque la crise des réfugiés sera passée, parce que ses troupes "sont trop disparates pour tenir longtemps", espère-t-il.
"Trop intellos, les Verts ?"
La grand-mère maternelle d’Alex, Birgit, n’hésite pas en tout cas à annoncer la couleur : elle vote pour le Tierschutz Partei, un parti qui défend la cause animale et qui a réussi à faire entrer un député au Parlement européen en 2014. Aucun autre parti n’a convaincu cette dynamique institutrice de 59 ans. C’est mieux que l’abstention et "il faut bien que quelqu’un défende le droit des animaux, parce qu’ils ne peuvent pas se défendre tout seuls".
Pourquoi pas les Verts, alors ? "Ils s’occupent de trop de choses : de l’Internet, du diesel…", remarque Birgit. Ils sont aussi "trop intellectuels, trop arrogants" pour Lothar. Son fils Martin, le grand-père paternel d’Alex, pense tout le contraire. Travaillant dans les médias, il vote justement pour les Verts, parce qu’ils "couvrent une large gamme de sujets importants : environnement mais aussi liberté civile, transition énergétique". Et puis, "ils sont franchement européens et ils sont sérieux : ils font leur boulot au Bundestag et au Parlement européen".
La CDU parce que "globalement tout va bien"
La jeune génération est plus conservatrice. Christian et sa femme Marianne ont voté pour la quatrième fois pour Angela Merkel "parce que globalement le pays va bien". Leur choix s’est fait aussi contre le SPD. "Le gros point noir du programme social-démocrate pour nous, fonctionnaires, c’est la réforme de l’assurance sociale." Martin Schulz proposait de supprimer le système à deux vitesses qui permet aux fonctionnaires et aux individus adhérant à une assurance privée d’avoir de meilleurs remboursements des soins de santé. Un changement qui serait défavorable aux fonctionnaires qui devront cotiser comme tout le monde. Pas question pour Christian non plus d’augmenter les allocations familiales, comme le voulait Martin Schulz. "Plutôt que de donner des allocations à des parents qui vont les boire, il faudrait mieux investir directement l’argent dans les écoles, recruter des enseignants", estime ce père de deux jeunes enfants. En revanche, Marianne et Christian soutiennent la proposition SPD de "fédéraliser" le système d’éducation qui dépend actuellement des régions.
La coalition favorite de la famille finalement ? La jamaïcaine : la CDU d’Angela Merkel, avec les libéraux du FDP et les Verts. "Pour changer un peu", justifie Marianne.