A Tervueren, fini la poussière, le "Musée de l’Afrique" subit une magnifique et étonnante rénovation
- Publié le 25-06-2017 à 12h21
- Mis à jour le 18-11-2018 à 12h01
Pour sa série "Dans le Secret des Lieux", LaLibre.be vous propose de visiter le chantier de la rénovation du Musée royal de l’Afrique centrale à Tervueren. Ce reportage exclusif est réalisé par Charlotte Mikolajczak (texte) & Johanna de Tessières (photos).
Des photos de détails, oui, mais pas trop de photos d’ensemble. Pour garder l’effet ‘wouaw’ jusqu’à sa réouverture en juin 2018.” La porte-parole du Musée royal de l’Afrique centrale – plus connu sous l’appellation “Musée du Congo”, “Musée de l’Afrique” ou encore “Musée de Tervueren” – était un peu perplexe face à cette visite de chantier. Qu’elle se rassure : avec ou sans photos préalables, les visiteurs ne pourront s’empêcher de s’extasier tant magnifique et étonnante est cette rénovation. Sans perte d’âme, ni d’espace, ni même de nostalgie. Au contraire, on s’y retrouve comme avant mais sans ce côté poussiéreux, sombre, suranné du musée d’antan.
Effet “wouaw” garanti
Un retour aux sources, donc, même si les auteurs du projet, l’architecte gantois Stéphane Beel et le bureau bruxellois Origin Architecture&Engineering, ont complètement bouleversé les circulations et, du même coup, l’approche du site. On n’entre plus dans le bâtiment de style Beaux-Arts français (1904-1908) directement par la chaussée de Louvain, mais latéralement, par les jardins néoclassiques, via un nouveau pavillon d’accueil contemporain et un long passage souterrain (96 m).
Entièrement vitré, le pavillon abritera entre autres la billetterie et la boutique au rez-de-chaussée, un restaurant-brasserie et son énorme meuble-bar à l’étage, les vestiaires et les “meetings rooms” transformables en salles de classe ou de réunion au sous-sol. Dès l’abord, on savoure donc le goût de la visite et du voyage qui s’annonce en Afrique. Surtout du restaurant – libre d’accès, tout comme la boutique –, dont les façades vitrées sont percées d’énormes fenêtres coulissantes à l’image d’écrans géants focalisés sur le bâtiment ancien, le parc, l’étang Fontaine, avec son jet d’eau qui jailli à une hauteur de 18 m. Effet “wouaw” garanti.
Trois volées d’escaliers plus bas démarre le large couloir souterrain reliant le pavillon au bâtiment muséal proprement dit. Décoré d’œuvres, il fera office de galerie apéritive. Bel et bien enterré, il n’a pourtant pas les caractéristiques que le terme suppose dans l’imaginaire collectif. Il est en effet très large et très éclairé, notamment de lumière naturelle se déversant des deux extrémités et de l’escalier de secours creusé à mi-chemin, et se réverbérant sur ses murs blancs. Car hormis certains pans recouverts de béton coloré dans la masse, les murs du pavillon et du passage souterrain sont blancs, pour un gain d’uniformité, de sobriété et de liberté. C’est le sol qui différencie, en quelque sorte, les espaces et les niveaux : granito noir à l’étage, gris foncé au rez, gris clair et blanc au sous-sol.
Pour l’heure, les travaux se terminent; la réception provisoire est prévue cet automne. Les ouvriers, qui ont été jusqu’à 150 aux heures les plus animées des travaux, sont déjà plus épars, et, ce jour-là, concentrés dans le nouveau bâtiment pour le placement des lourdes rambardes de verre de part et d’autre de l’escalier menant au passage souterrain. Et si la vue d’ensemble est révélatrice de ce que sera le musée demain, partout ce ne sont encore qu’échafaudages, plaques de triplex protectrices, emballages de film plastique, cartons, pots de peinture…
Un couloir souterrain arrimée au vaisseau muséal
“On a commencé par la liaison souterraine, plus large qu’on ne le croit puisqu’elle se déploie, sur un des côtés, en auditorium et salles polyvalentes pour conférences, spectacles, expositions temporaires…, doublée d’un couloir logistique et technique (ventilation, eau…) que le public n’imagine pas, explique Ken Smet, chef de projet pour l’entreprise générale Denys qui a effectué les travaux. “On l’a creusé puis refermé et recouvert en respectant les niveaux existants. Seule la sortie de secours est visible. L’épisode le plus délicat a été de l’arrimer au vaisseau muséal qui fonctionnait encore”. “Car c’est aux fondations mêmes qu’on touchait, ajoute Nele Breynaert, son homologue pour la Régie des Bâtiments, maître d’ouvrage de la rénovation . “Il a fallu en démolir une partie, tout en soutenant le bâti afin d’éviter des fissures à la structure et… aux fresques, notamment celles des cartes de l’ancien Congo. De quoi créer une ouverture de 9 m de large.” C’est en effet par dizaines, voire centaines que les visiteurs seront accueillis. Il faudra gérer leur flux, dans les couloirs, les escaliers et les ascenseurs, le site étant entièrement accessible aux personnes à mobilité réduite.
A la sortie de la liaison souterraine, c’est dans les caves du bâtiment muséal, aujourd’hui éclairées, que le visiteur débouche. “On a creusé une partie de la cour intérieure pour rattraper le niveau des caves et y amener de la lumière, reprend Ken Smet. Un travail d’excavation inouï ! Dans la foulée, on a refait les sols en polybéton gris clair, renouvelé les égouts, enlevé les murs non porteurs pour augmenter l’espace, créé des ateliers pour enfants et un nouvel espace de musique africaine”.
Avec le pavillon d’accueil, il s’agit de l’intervention la plus contemporaine, auquel répondent les plafonds voûtés des caves et leurs murs de briques débarrassés de leur plâtras. Mais peints en blanc, en guise d’avant-goût à l’explosion fastueuse des décors originaux du musée, parfaitement rénovés, restaurés ou refaits à l’identique, voire retrouvés sous des ornements plus tardifs : portes en bronze, vitrages biseautés, sols et colonnes en marbre, parquets, plafonds en stuc, éléments floraux et cartographiques peints, vitrines… “Le monument est classé, commente Nele Breynaert. L’ancien et le nouveau s’y côtoient, sans que cela se voie car la palette de couleurs est identique : acajou sur les portes et vitrines, beige-sable aux murs…” “On a gardé les anciens châssis en bois qu’on a doublés d’un autre châssis pour améliorer les performances énergétiques et assortis de stores, détaille Ken Smet. On a également conservé les anciennes vitrines, qu’on a surélevées. Et on en a ajouté d’autres, neuves, dans le même esprit. Car si, dans les nouveaux bâtiments, les techniques étaient aisément intégrables (chauffage au sol dans le pavillon d’accueil, chauffage par air pulsé du plafond dans le passage souterrain…), dans la partie ancienne, c’était plus difficile. On a dès lors concentré toutes les techniques… dans les vitrines (électricité, ventilation, câblage antifeu), afin de ne pas abîmer le bâti ancien.”
Pirogue volante et girafe altière
Le musée rouvrira dans moins d’un an. Les choses auraient pu être plus longues encore. A l’entame des travaux, il avait en effet été question d’un phasage étalé sur 5 à 6 ans, mais en maintenant le musée ouvert quasiment tout le temps. “La direction a décidé de privilégier la rapidité, quitte à fermer momentanément le musée, ajoute Johan Vanderborght, responsable Communication de la Régie des Bâtiments, maître d’ouvrage du projet. “De quoi gagner plus de 2 ans. Toutes les pièces ont été évacuées, celles stockées dans les caves aussi. Pour ne pas sortir complètement le musée de la mémoire du grand public et pour prouver que son histoire continuait, les pièces maîtresses ont été éparpillées ici et là : Autoworld, musée de l’Armée et Beaux-Arts (à Bruxelles), Tecnopolis (à Malines)…” Ce sont d’ailleurs elles qui sont revenues en premier lieu “à la maison”. Les trois plus grandes en tout cas, l’éléphant, la girafe et la pirogue, pour une question pratico-pratique d’accès, installées qu’elles sont d’ores et déjà à l’emplacement de choix qui leur a été réservé.
Les deux premiers dans une des deux galeries donnant sur la grande rotonde – la girafe tête haute, patientant derrière l’éléphant tête baissée comme s’il se désaltérait dans un trou d’eau. La pirogue dans le long passage souterrain, où elle perd immanquablement un peu de sa superbe. “A quatre centimètres près, elle ne rentrait pas, se remémore Ken Smet. Son passage, pendue au bout d’une grue, au-dessus des toits du bâtiment, son atterrissage dans la cour intérieure et sa descente dans les caves jusque dans le passage souterrain ont été un véritable exploit. Maintenant que l’ouverture par laquelle elle est passée a été vitrée, on ne pourra plus la sortir.”
Tout comme les deux gros mammifères empaillés, elle restera encore quelques mois bien emballée. C’est que de la poussière, il risque d’y en avoir encore un peu. Et, surtout, des va-et-vient alentour, d’ouvriers, déménageurs, scénographes, employés du musée…
Sponsoring et crowdfunding
Budget : La restauration du Musée royal de l’Afrique centrale et son adaptation aux exigences du XXIe siècle ont représenté un coût total de 66,5 millions d’euros, supporté par la Régie des Bâtiments. Les aménagements, la restauration des pièces et des animaux et la scénographie mobile sont par contre à charge du musée. Ils représentent un budget d’environ 8,5 millions d’euros. Pour ce faire, le musée a reçu des subsides de la Loterie Nationale, de la Banque nationale, de Toerisme Vlaanderen et de la Secrétaire d’État à la Politique scientifique. Mais il doit encore trouver 1,5 million d’euros auprès de sponsors. Une campagne de crowdfunding dans le grand public sera également lancée à cet effet début 2018.
Le rythme de rotation des collections sera plus rapide
Pour les équipes du musée de l’Afrique, sa fermeture n’a pas pour autant signifié relâche. Elles en ont profité pour en faire une grande exploration et un grand nettoyage. Pas des…10 millions d’espèces zoologiques, 130 000 objets ethnographiques, 10 000 instruments de musique, 1 million de photos d’avant 1960, 3 kilomètres d’archives, plusieurs centaines de kilos de roches et autres minéraux qui composent l’ensemble de la collection du musée. Mais bien de ce qui va y revenir, voire y faire son entrée, puisque désormais l’espace d’exposition est plus grand. “La sélection des objets, des photos et films est terminée. Plus de 600 animaux et quelque 1 500 pièces ethnographiques ont été restaurés, nettoyés, photographiés et encodés dans notre base de données”, explique Guido Gryseels, directeur du Musée royal de l’Afrique centrale. Et cela n’a pas été une mince affaire, certaines pièces n’ayant pas été manipulées pendant plus de 50 ans.
Si l’espace dédié au public va quasiment doubler, passant de 6 000 à 11 000 m², il n’en sera pas de même de l’espace d’exposition proprement dit qui gagnera tout de même 2 500 m². Le gros de l’augmentation tient en effet aux ateliers et aux expositions temporaires mais aussi aux circulations et au restaurant. “Il y aura plus de pièces présentées, indique Guido Gryseels. La quasi-totalité des pièces reviendra dans le musée car il s’agit des plus belles. D’autres ont également été choisies pour leur pertinence avec ses nouveaux défis et messages. Ainsi, l’Afrique contemporaine sera largement abordée. Ce qui implique que nous augmentions le rythme de rotation. Plutôt que de garder l’offre pendant 5 décennies, on la renouvellera tous les 5 ou 6 ans.”
Nouvelle présentation Mais toujours dans les mêmes vitrines datant de 1910, qui sont classées comme le reste du bâtiment, et dans quelques nouvelles supplémentaires. “Par contre, leur présentation sera différente”, ajoute le directeur. Un marché public a d’ailleurs été lancé il y a deux semaines pour une remise des offres le 20 septembre prochain pour la scénographie dite mobile. “Cela concerne le graphisme des textes, l’éclairage, les menuiseries, les soclages, les productions audiovisuelles… On espère pouvoir accorder le marché en novembre et débuter le rapatriement des pièces dans la foulée.” Ce qui ne l’inquiète guère. Pas tant parce que ses équipes ont désormais l’expérience (le vidage et l’évacuation des lieux ont duré 3 mois), mais parce que, hormis quelques grosses pièces, les collections ne sont pas allées très loin. “Nous avons bien entendu loué des espaces de stockage, notamment dans l’ancienne tour des Finances, en face du Botanique, ajoute Guido Gryseels. Mais nous avons pu engranger le gros de la collection permanente dans nos propres réserves, dans les bâtiments alentours, à moins de 200 mètres d’ici. Pour le fonds anciennement entreposé dans nos caves – qui sert à la recherche scientifique, à nos expositions temporaires et à la grosse vingtaine organisées chaque année dans le monde et auxquelles nous contribuons par prêts interposés – la Régie des Bâtiments a mis à notre disposition un entrepôt à Péronnes-lez-Binche.”
Ce qui ne veut pas dire que d’ici à novembre il n’y a plus de boulot à abattre. Il faut en effet s’assurer de l’obtention des droits d’auteurs sur les photos et films, composer les textes explicatifs, préparer la campagne de communication pour l’ouverture en juin prochain…
Les grandes dates
Juillet 2006 : la rénovation du Musée royal de l’Afrique centrale est approuvée par le Conseil des ministres fédéral.
Septembre 2007 : le marché est attribué – parmi 11 candidats – à l’équipe multidisciplinaire menée par Stéphane Beel Architecten et Origin Architecture&Engineering.
Juillet 2008 : l’avant-projet du masterplan du site est introduit.
Août 2009 : l’esquisse pour la rénovation du complexe muséal est approuvée.
Novembre 2010 : la Régie des Bâtiments reçoit le permis d’urbanisme pour les travaux de rénovation et d’extension du musée.
Juin 2013 : l’entreprise Denys est désignée pour les travaux de restauration, rénovation et réaménagement.
Octobre 2013 : Début des travaux.
Automne 2017 : Fin des travaux et début de l’aménagement du parcours muséal.
Juin 2018 : inauguration festive.
Fiche technique
Site existant : ensemble constitué de 7 bâtiments parmi lesquels le musée (1904-1910, conçu par l’architecte français Charles Girault - 6.000 m²), ses deux pavillons (dits “de la direction” et “Stanley”) et le palais des Colonies.
Complexe muséal futur : l’espace public couvre 11.000 m² répartis entre le pavillon d’accueil, le passage souterrain, de nouvelles salles d’exposition, d’ateliers, de concerts et le bâtiment muséal proprement dit (24 salles au total).
Propriétaire : État belge
Maître d’ouvrage : Régie des Bâtiments
Équipe d’études multidisciplinaire : association momentanée Stéphane Beel Architecten + Origin Architecture and Engineering + Niek Kortekaas + Michel Desvigne + Arup NL + Bureau Bouwtechniek + RCR + Daidalos Peutz
Entrepreneur : NV Denys (Wondelgem)
Budget : 66,5 millions d’euros de coût global d’investissement (rénovation/construction, honoraires et financement), dont un peu plus de 51 millions TVA comprise pour les seuls travaux de rénovation/construction.