A la Monnaie, "Le Coq d’or" sera sans doute un peu noir

En ces temps troublés, la lecture d’un opéra comme ce "Coq d’or" peut exprimer tout et son contraire, opter pour la drôlerie ou le cynisme… Faut-il s’attendre à un Coq noir ?

Non, je viens enfin d’en avoir une vue générale et je peux vous le promettre, ce Coq d’or sera burlesque ! Cette pièce m’en rappelle d’autres (que j’ai mises en scène au théâtre), signées Evguéni Schwartz ou Daniil Harms (un poète de la période stalinienne) dont l’univers à la fois burlesque et pathétique me parle beaucoup. Vous parlez d’un "Coq noir", mais ce "Coq d’or" est pire que noir, il est horrible, il finit en tragédie, lourd des habituels thèmes de la littérature russe : la soumission du peuple, la cruauté du Tsar, l’immensité de la Russie…

Au départ, il s’agit pourtant d’un conte de Pouchkine pour enfants, une fantaisie en vers, archiconnue dans toute la Russie du XIXe siècle...

Avant de la monter, je ne mesurais pas la subversion de cette pièce. Ce qui s’y raconte est d’une cruauté - et d’une crudité - inimaginables. Le Tsar est un gros nigaud et son entourage une bande d’ignobles abrutis. L’ironie et le cynisme sont omniprésents. Et même la fin - où l’Astrologue et la Tsarine sont présentés comme les seuls personnages "réels" de l’affaire - résonne comme une blague.

Aviez-vous déjà songé à monter cet opéra ?

Non, et je suis infiniment reconnaissant à Peter [de Caluwe, directeur de La Monnaie] de me l’avoir fait découvrir. En plus, les deux distributions sont magnifiques, quasi entièrement composées de chanteurs russes ou ukrainiens, "quasi" parce que le rôle du Coq est confié à la jeune soprano belge Sheva Tehoval (lauréate du Reine Elisabeth 2014 - NdlR).

Le mouvement et la chorégraphie occupent toujours une place importante dans votre travail, dans ce cas-ci également ?

Bien évidemment… On a l’impression que Rimski-Korsakov a écrit un film, je joue à fond avec cette dimension et ça me rend fou. Plus j’entends la musique, plus j’ai envie de faire bouger le plateau. De plus, c’est une joie de travailler avec une chef comme Alain Altinoglu, toujours à l’écoute de la théâtralité de la musique.

Même pour un homme de théâtre expérimenté, diriger des chanteurs d’opéra - c’est-à-dire des "acteurs qui chantent" - est un exercice difficile et d’ailleurs souvent raté. Quel est votre "truc" pour faire du chant une matière théâtrale à part entière ?

Première règle : connaître à fond le sens de ce qu’on chante. Je ne parle pas russe, et c’était ma grosse angoisse, mais ici chef de chant et coache sont russes, ce qui nous permet de travailler le texte dans les moins détails, d’en connaître chaque intention, chaque rupture. C’est le sens du texte qui guide le jeu. Et ce travail s’applique autant aux solistes qu’au chœur.

Un autre point important est de parvenir à gérer le temps, le temps des répétitions - qui est plus court qu’au théâtre pour d’évidentes questions économiques - et le temps de la musique, qui est une contrainte absolue.

Comment se passe votre rencontre, si j’ose dire, avec Rimski-Korsakov ? Et comment expliquez-vous que "Le Coq d’or" ne soit pas plus joué ?

Rimski-Korsakov est un formidable compositeur, combinant une rigueur absolue à une grande virtuosité d’écriture et un inépuisable esprit de fantaisie. Quant au "Coq d’or", il faut bien savoir qu’il n’est pas plus joué en Russie qu’ici, sans doute à cause de son caractère subversif.

Comme pour "Don Quichotte" et "Cendrillon", les décors sont signés par notre compatriote Barbara de Limburg, et vous signez vous-même les costumes. Qu’attendez-vous du visuel de cet opéra ?

Selon moi, il s’agit d’un outil pour raconter une histoire et pas d’un objet décoratif. Dans ce cas, j’ai voulu traduire à la fois la brutalité de ce conte et sa dimension fantastique, son aspect onirique et absurde. Le rêve de Dodon, le vieux tyran, se résume aux femmes et à la bouffe, mais l’apparition de la belle Tsarine de Chemakhane soulève un flot de sensualité et d’érotisme qui le rend fou, qui le met à genoux, qui lui fera oublier sa promesse, qui fera tout déraper. Pour symboliser tout cela, j’ai imaginé la mise en scène à partir d’un somptueux lit royal, posé sur un tas de charbon.

La suite à la scène…

Ce "Coq d’or" sera la première production qu’Alain Altinoglu dirigera depuis sa nomination officielle à la tête de l’orchestre et du chœur de la Monnaie.

Bruxelles, Palais de la Monnaie (Tour & Taxis), du 13 au 30 décembre. Infos & rés. : 02.229.12.11 ou www.lamonnaie.be

Un conte connu par des millions d'enfants russes

Signé Vladimir Bielski, le livret du "Coq d’Or" s’inspire d’un conte célèbre d’Alexandre Pouchkine, écrit en 1834, plus de 70 ans avant la création de l’opéra (1907), comme lui dénonciateur des excès du pouvoir et déjà prémonitoire. Mais sur le mode crypté, burlesque, poétique, et connu de tous les enfants de la Russie du XIXe siècle.

Introduite par l’Astrologue - sorte d’allégorie (au sens baroque du terme) qui se révélera le personnage le plus réel de l’affaire - l’action se déroule dans le royaume du tsar Dodon Ier, le "grand nigaud" décrit ci-contre par Laurent Pelly, souverain plus enclin à rêvasser qu’à gérer son royaume. Ses fils et son entourage (d’ " ignobles abrutis" , toujours selon Pelly) sont encore pires, tandis que les ennemis menacent d’attaquer. Qu’à cela ne tienne : contre récompense à convenir plus tard, l’Astrologue offre à Dodon un coq d’or qui surveillera les frontières. Tous s’endorment. "Alerte !" , s’écrie soudain le volatile en langage perroquet (c’était sa langue maternelle) : "l’ennemi arrive !" Trop tard, l’armée est anéantie et les fils de Dodon tués net. Errant sur le champ de bataille, Dodon découvre la tente de son ennemie, la cruelle et capiteuse Tsarine Chemakha et c’est le coup de foudre (le tsar n’est pas rancunier). Mais au moment des noces, l’Astrologue réclame sa récompense : la main de la belle. Dodon refuse et fracasse le crâne de son créancier d’un coup de sceptre. Le ciel s’assombrit, le tonnerre gronde, le coq prend son envol et tue le tsar d’un coup de bec.

L’Astrologue console le public : "Seuls la Tsarine et lui étaient réels, les autres personnages n’étaient que chimères." MDM

Recommandé : "Rimski-Korsakov" de Xavier Lacavalerie, paru sur Actes Sud/Classica.