Etienne Davignon face au Brexit: "La Belgique ne s’en portera pas plus mal "
Selon Etienne Davignon, le Brexit pourrait profiter à certains pays. La place de capitale financière de Londres est menacée.
- Publié le 26-06-2016 à 09h19
- Mis à jour le 26-06-2016 à 09h42
Ancien vice président de la Commission européenne, le vicomte Etienne Davignon a espéré jusqu’à la dernière minute que "le bon sens l’emporte" et le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne. "Mais vu la puissance de la campagne, en grande partie mensongère, des partisans de la sortie, je savais que le risque du Brexit existait", explique-t-il.
Certains estiment que le Brexit peut être une opportunité pour l’Union européenne, "débarrassée du blocage britannique". Est-ce votre sentiment ?
Quand quelqu’un vous quitte, c’est toujours une mauvaise nouvelle. Et c’est se leurrer de croire que parce que les Britanniques sont partis, les pays réticents à une plus grande intégration européenne ne le seront plus. Charles Michel a raison, c’est une claque pour l’Union européenne. On a négocié six mois avec les Britanniques pour trouver un "modus vivendi" qui vient d’être annulé par ce référendum. Donc, ce que l’on voulait ne s’est pas réalisé. Il y aura des tourments économiques et l’Union a perdu un grand Etat et la plus grande armée des pays européens.
Vous qui avez dû négocier à plusieurs reprises avec les Britanniques lorsque vous étiez Commissaire, n’avez-vous pas l’impression qu’ils n’ont jamais désiré ce projet européen ?
Cela a toujours été une histoire compliquée et je vous rappelle que le général Charles de Gaulle a dit deux fois "non" à une entrée britannique dans la Communauté économique européenne. Deux fois un grand pays a été humilié. Ce n’était pas bien parti. A l’époque de son entrée, le Royaume-Uni connaissait une situation économique et politique compliquée. Si vous ajoutez cela au fait que le Royaume-Uni n’a jamais été occupé, que c’est une île : il est clair que les sentiments n’étaient pas exactement les mêmes.
Ont-ils bloqué la construction européenne ?
Ils l’ont compliquée, mais ils ne sont jamais parvenus à la bloquer. On a toujours fait ce qu’on voulait faire, même si, avec le Royaume-Uni, tout se réalisait plus difficilement. Les observateurs retiennent la difficulté de l’accouchement plutôt que la réalité du bébé.
Craignez-vous un effet de contagion, avec d’autres référendums organisés un peu partout ? L’Union européenne n’est-elle pas au bord de l’implosion ?
Pas du tout. Nous sommes beaucoup trop mélangés. En anglais on dit qu’une fois que les œufs sont brouillés, c’est difficile de les restituer à leurs propriétaires originels. Ces demandes de référendum viennent d’une extrême droite agressive. Le modèle que madame Le Pen ou que le député néerlandais Geert Wilders proposent est à l’inverse de ce que nous avons construit au niveau des valeurs européennes.
Justement, ce projet européen, que vous avez porté de nombreuses années, a-t-il été trahi au fil des années ?
Sur le fond non, dans la manière oui. Par exemple, tous les progrès qu’on a réalisés sur l’Union économique et monétaire sont apparus comme étant une simple réponse à la crise, alors qu’il y avait beaucoup plus que cela. Certains Etats membres qui marquaient leur accord sur une politique européenne à Bruxelles la critiquaient chez eux. Comment voulez-vous que le citoyen s’y retrouve ? Cela crée un grand trouble dans l’opinion. Aujourd’hui, le message européen ne passe pas bien auprès des citoyens.
L’Europe n’est-elle pas assez sociale ?
Non, on oublie toujours que la sécurité sociale dans l’ensemble des pays européens est la plus remarquable au monde. Si l’Europe n’était pas sociale, on n’aurait pas ce système. Le grand danger serait de se dire qu’il faut une autre Europe. Il faut faire celle qu’on a décidé de construire, mais il faut la faire fonctionner. Il faut que Schengen fonctionne, avoir une vision économique positive, s’occuper des problèmes climatiques, de la recherche… Si on ne réagit pas à ce Brexit sur le plan de la conviction des citoyens, alors ce sera une très mauvaise nouvelle. Il faut répondre aux citoyens qui doutent, ceux qui sont attirés par des partis populistes et ceux qui ne voient pas la valeur ajoutée de l’Europe.
On parle beaucoup de l’impact économique qu’aura ce Brexit sur les Etats membres dont la Belgique. Qu’en est-il selon vous ?
Il ne faut pas exagérer. Ce n’est pas comme si, du jour au lendemain, les entreprises belges n’allaient plus exporter vers Londres. On ne vivra pas dans deux mondes sans aucun contact entre eux. Il faudra toutefois surveiller l’effet de la dévaluation de la livre sterling. Tout dépendra des futurs accords négociés avec l’Union européenne. En attendant, cela va freiner le dynamisme anglais pour des questions purement pragmatiques : les investisseurs ne vont remettre leurs billes à Londres que quand ils connaîtront le statut qu’auront leurs biens. Mais tant qu’il n’y a pas de nouveaux accords, les textes actuels sont d’application.
L’Union européenne doit-elle se montrer intraitable dans les futurs accords qu’elle négociera avec le Royaume-Uni ?
Il est clair qu’un Etat qui est dans l’Union doit être mieux servi que celui qui est en dehors. On va devoir trouver des accords semblables à ceux qu’on a signés avec la Norvège ou la Suisse. Mais cela ne veut pas dire qu’on doit vivre sur un sentiment de revanche par rapport aux Britanniques. On peut trouver des accords avantageux pour les deux parties.
Pensez-vous que Londres va perdre son statut de capitale européenne de la finance ?
Vous pouvez en tout cas compter sur les concurrents pour en profiter. Francfort et Singapour ne vont certainement pas pleurer sur le sort des Britanniques. Bruxelles n’a pas la capacité d’être une capitale financière d’envergure, mais la Belgique ne s’en portera pas plus mal non plus.
Beaucoup de jeunes Britanniques ont voté pour le maintien. Pensez-vous un retour possible du Royaume-Uni dans l’Union dans les prochaines années ?
Non il ne faut pas rêver. Ce référendum est un acte irréversible. Mais il révèle aussi que le Royaume-Uni est fortement divisé, que ce soit géographiquement, socialement, entre les générations et au sein même des partis politiques.