Elections en Espagne: Le jeu est ouvert, sauf sans doute pour Rajoy
Les Espagnols votent dimanche, six mois après des législatives infructueuses. Mais la donne a changé à gauche.
- Publié le 26-06-2016 à 09h27
- Mis à jour le 26-06-2016 à 09h31
Un peu plus de 36,5 millions d’Espagnols (sur 46,5 millions) sont de nouveau appelés aux urnes dimanche. Les élections législatives de décembre 2015 n’avaient pu conduire à la formation d’un nouveau gouvernement, faute de majorité parlementaire. Le Premier ministre conservateur, Mariano Rajoy, était resté en fonction suite à sa victoire relative (28,71% des voix) le 20 décembre.
Ignacio Molina, professeur de sciences politiques de l’Université autonome de Madrid et analyste au Real Instituto Elcano (un laboratoire d’idées politiques), pense qu’une répétition de la fragmentation parlementaire est "probable" . Mais selon lui, l’attitude des quatre principaux partis a évolué : leurs dirigeants sont plus disposés à faire un accord, tous ayant pâti de n’avoir réussi aucun type de coalition. M. Molina espère cette fois une abstention "normale" et une participation d’environ 70 %, comparable à celle de 2015.
"La troisième répétition des élections n’aura pas lieu , explique-t-il... sauf en cas de victoire du PP (droite) sans majorité absolue et si, simultanément, ce parti s’obstine à maintenir Rajoy à la tête du gouvernement. Cela bloquerait toute possibilité d’alliance du PP avec Ciudadanos (C’s, centriste) , le parti d’Albert Rivera. Ceci, toujours dans l’hypothèse d’une majorité de centre droit PP-C’s. Pour Rivera, toute alliance avec le PP n’est possible que si Rajoy sort de scène. La survie de Rajoy est presque impensable, c’est pratiquement la seule certitude avant les élections."
A gauche, que pensez-vous des sondages signalant que la liste Unidos-Podemos (la nouvelle gauche dirigée par Pablo Iglesias avec IU, la Gauche unie des anciens communistes) va surpasser le Parti socialiste (PSOE) ?
Unidos-Podemos va probablement dépasser le PSOE en nombre de voix mais il n’est pas sûr que ça soit le cas en nombre de députés. Parmi les sympathisants de gauche, le PSOE continue à être favorisé par le système électoral dans les provinces rurales. L’objectif reste pour le PSOE d’obtenir plus de députés que Podemos, qui a un vote plus urbain. Et il faut tenir compte du fait que, malgré ses succès, Podemos a un plafond précis à cause des inquiétudes de certains électeurs, surtout dans les provinces moins peuplées. En plus, il ne faut pas oublier que la Gauche unie est dans les mêmes listes que Podemos mais elle a maintenu un programme propre et différent. Celui de Podemos est aujourd’hui plus flou par rapport à la monarchie, par exemple.
Quels sont les blocs en perspective en vue de la formation d’une majorité parlementaire ?
En décembre, il y avait un clivage droite-gauche plus clair. C’était aussi les nouveaux contre les anciens partis. Maintenant, je vois trois grands blocs. A gauche, Unidos-Podemos, comme nouveauté électorale dans une seule liste; à droite le PP, bien sûr. Et puis un troisième bloc où se situent tant Ciudadanos (C’s) que le PSOE. Pendant la campagne, on a parlé moins des programmes électoraux (qu’en 2015) et plus d’alliances post-électorales. De toutes les combinaisons possibles, il y a celle d’une majorité PP-C’s sans Rajoy, ou un gouvernement de centre-droit bénéficiant de l’abstention du PSOE ou bien une coalition à gauche, plus improbable. Cette dernière n’est possible que si Unidos-Podemos a moins de députés que le PSOE. Alors, Pedro Sanchez (socialiste) pourra prendre une initiative à gauche.
Rajoy, l’imperturbable survivant
Mariano Rajoy, l’indolent qui sait se montrer inflexible, joue sans doute sa survie politique. Portrait Paco Audije Correspondant à Madrid
P arfois la meilleure décision est de n’en prendre aucune; et c’est aussi une décision." Mariano Rajoy est coutumier de ce type de formules. Il assume d’ailleurs les moqueries rituelles que celles-ci provoquent, et qui le rapprochent de l’homme de la rue. En l’occurence, cette phrase, il la prononce en 2013, en plein milieu de la crise financière, lors d’une intervention devant les parlementaires de son groupe, le Parti populaire (PP, droite). Avec un minimum d’effets, Rajoy attend que l’évolution des événements lui donne tôt ou tard raison. Il exaspère ainsi des personnalités de l’opposition ou d’autres au sein du PP.
Fils et petit-fils de juristes, il est éduqué par des jésuites qui rappellent que "Marianin" (le petit Mariano) "brillait par sa mémoire" . Licencié en droit de l’université de Saint-Jacques-de-Compostelle (capitale de la Galice, sa ville natale), Rajoy réussit à 24 ans le concours public officiel pour devenir notaire-conservateur des hypothèques au registre immobilier.
Dauphin d’Aznar
Rajoy, 61 ans, est marié à la très discrète Elvira Fernandez Balboa, dite Viri, née aussi en Galice, et de dix ans sa cadette. Viri est la fille d’un entrepreneur qui a passé une partie de sa vie au Venezuela, un pays dont on a beaucoup entendu parler durant la campagne. Mariano et Viri appartiennent à deux familles catholiques et conservatrices.
En 1936, au début de la guerre civile, le grand-père paternel de Rajoy avait été écarté de l’université par les franquistes, en guise de représailles pour le rôle qu’il avait joué dans l’élaboration du premier statut d’autonomie de la Galice. Pourtant, c’est Manuel Fraga, ancien ministre de Franco, refondateur de la droite espagnole, qui a guidé Rajoy dans ses premiers pas en politique. "Mariez-vous et apprenez le galicien" , aurait conseillé Fraga au jeune Rajoy. Marié, il l’est, avec deux fils, mais Rajoy ose à peine dire quelques mots en galicien (cousin du portugais), majoritaire dans sa région.
En Galice, il a été échevin, député au parlement autonome et vice-président au gouvernement régional. A Madrid, il a été élu député national pour la première fois en 1986. Puis, il a occupé les ministères de l’Education, des Administrations publiques et de l’Intérieur. Rajoy est devenu dauphin et vice-Premier ministre dans le gouvernement conservateur de Jose Maria Aznar (1996-2004). Rajoy a été un ministre fidèle et le porte-parole du cabinet Aznar, mais leurs relations actuelles sont exécrables.
Un électorat âgé fidèle
Sa gestion désastreuse, en tant que vice-Premier d’Aznar en charge de gérer l’énorme catastrophe du pétrolier Prestige (en 2002 au large de la Galice), de même que ses deux défaites électorales préalables à sa victoire aux législatives de 2011, ne l’ont pas abattu. Co-auteur avec la Commission européenne d’une austérité économique qui a provoqué une forte contestation sociale dans la rue, Rajoy a répondu avec le durcissement du code pénal. Et face à la poussée de l’indépendantisme catalan, il s’est montré inflexible. Aucune négociation avec Barcelone, mais le recours continue à la cour constitutionnelle.
Il montre aujourd’hui quelques bons chiffres macro-économiques, assortis d’un déficit de 100 pour cent du PIB qui n’existait pas en Espagne depuis 1909. Le niveau de chômage est toujours de plus de 20 % (45 % chez les jeunes). Pourtant, il garde la fidélité d’un certain électorat âgé aussi imperturbable que lui.
Sans doute Rajoy ne pourra-t-il survivre à une nouvelle victoire du PP sans majorité absolue. Mais il continuera à s’adresser le conseil qu’il a donné à Luis Barcenas, l’ancien sénateur-trésorier du PP, quand celui-ci était déjà incarcéré pour des affaires de corruption qui touchaient Rajoy de près : "Luis, tiens bon, sois fort." C’est-à-dire, tais-toi, soit discret.
Un coupeur de têtes discret
Selon le politologue galicien Anton Losada, auteur d’un livre sur Rajoy, "sa fameuse indolence, à laquelle il nous fait croire, est l’un de ses principaux atouts politiques" . Rajoy n’est pas l’homme banal qu’il prétend être. Pour le prouver, Losada rappelle "la très longue liste de cadavres politiques" qu’il a laissés derrière lui. Un journaliste originaire du même coin de la Galice que le Premier ministre sortant le définit comme "un killer qui coupe les têtes de manière discrète et sibylline" .
En définitive, Rajoy pourrait bien être proche de la sortie. Mais il peut encore montrer qu’il est un survivant doté d’une grande capacité de résistance politique.