Aymeric Caron : "Pensons en termes politiques le statut de citoyen de l'animal"
Né le 4 décembre 1971 à Boulogne-sur-Mer, Aymeric Caron grandit dans cette ville portuaire du Pas-de-Calais. Bac en poche, il suit une prépa littéraire, puis s’inscrit à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille dont il est diplômé en 1995. Le jeune journaliste entrera dans la vie active à Shanghai. Il y restera deux ans. Entretien.
- Publié le 01-05-2016 à 16h55
- Mis à jour le 01-05-2016 à 16h56
Né le 4 décembre 1971 à Boulogne-sur-Mer, Aymeric Caron grandit dans cette ville portuaire du Pas-de-Calais. Bac en poche, il suit une prépa littéraire, puis s’inscrit à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille dont il est diplômé en 1995. Le jeune journaliste entrera dans la vie active à Shanghai. Il y restera deux ans.
Médias. Homme de médias, le quadragénaire fourbit ses armes en radio et en télévision. Son parcours au sein des rédactions de nombreux organes de presse est pour le moins varié. Journaliste pour l’agence Capa d’abord. En télévision, il officie pour les chaînes concurrentes TF1, France 2 et Canal +. En radio, il occupe les ondes d’Europe 1. Véritable caméléon, il endosse tantôt le rôle de grand reporter, couvrant l’actualité la plus brûlante du Kosovo à Bagdad; tantôt celui de chef d’orchestre de matinales d’information. Mais il se fait surtout connaître du grand public en tant que chroniqueur dans l’émission "On n’est pas couché", de Laurent Ruquier. Son style est incisif, acerbe, offensif et sans concession, particulièrement à l’endroit des représentants politiques invités sur le plateau du talk-show de la chaîne publique. Arrivé en 2012 pour succéder à Audrey Pulvar, il quitte le programme en juin dernier. " Je n’ai pas de projet en télé, et pas l’envie d’y revenir pour le moment" , assurait-il encore récemment.
Convictions. Pour défendre ses convictions, le journaliste de 44 ans a préféré la plume au micro. Après "Incorrect", essai où il pourfend les réacs, et "No steak", manifeste végétarien (qu’il est depuis vingt ans) dans lequel il s’insurge contre l’industrie de la viande, il défend à nouveau la cause animale dans son livre "Antispéciste", plaidoyer pour une coexistence entre les espèces vivantes. " Un jour, les animaux auront tous les droits , y affirme-t-il . L’animalisme figure le prochain projet idéologique révolutionnaire, qui réconcilie les hommes avec eux-mêmes et avec leur avenir."
Réconcilier l’humain, l’animal et la nature. Est-ce cela, l’antispécisme ?
Le terme antispécisme a été lancé en 1970 par Richard Ryder et a été popularisé dans le milieu de l’éthique animale, dans les années 1975. Il prend le contre-pied du spécisme : une discrimination sur un être liée à l’espèce. Celle-ci s’exprime de deux manières. Soit on considère que l’espèce humaine est supérieure à toutes les autres. Elle postule que des critères comme la douleur et la souffrance ont un intérêt mineur pour certaines espèces alors qu’ils sont importants pour les hommes. Soit on considère que certaines espèces ont plus d’importance que d’autres alors qu’elles ont les mêmes caractéristiques d’intelligence et de sensibilité. C’est le cas lorsqu’on distingue les animaux de compagnie, d’un côté, et les animaux d’élevage, de l’autre. L’antispécisme est un combat qui s’inscrit à la suite de luttes pour les droits des humains. C’est un appel à un nouvel humanisme : il est bâti sur la même structure que le racisme et le sexisme, dont il prolonge la logique.
Vous comparez l’esclavage à l’élevage, vous inscrivant dans la lignée des abolitionnistes. Les combats sont-ils comparables ?
L’humanité a toujours fonctionné en augmentant sa sphère de considération morale : elle a établi qu’il y avait des humains supérieurs aux autres puis a tenté de gommer ces catégories en reconnaissant l’égalité entre tous les humains. On a affranchi les esclaves. Les femmes ont acquis les mêmes droits que les hommes, en tout cas sur le papier et particulièrement en Occident. Les homosexuels se voient enfin accorder des droits. De la même manière, il faut accorder plus de droits à une catégorie que l’on a trop peu considérée parce que l’on s’en est exclu à tort : les animaux non humains.
Doit-on bannir le terme "espèce" ?
C’est une réalité biologique. Mais on peut reconnaître les différences sans discriminer pour autant. Dire qu’un homme n’est pas un chien et que celui-ci n’est pas une tortue est une réalité. Il ne doit pas y avoir une égalité de traitement mais bien de considération entre toutes les espèces : dans les mêmes circonstances et avec la même capacité à ressentir les choses, deux espèces doivent être traitées équitablement et se voir octroyer les mêmes droits. Ceux-ci sont déterminés en fonction des caractéristiques de chacun et du préjudice subi dans une situation déterminée : un cheval aura besoin de gambader. Son préjudice, si on l’enferme, sera plus grand que celui que subira un verre de terre. Il ne s’agit donc pas de donner un permis de conduire aux cochons mais bien de tenir compte des spécificités de chaque espèce et de statuer sur ce dont ses représentants ont besoin pour aller bien.
La capacité à souffrir et à ressentir la douleur détermine-t-elle les droits que l’on accorde à un individu ?
Aucun individu ne doit souffrir inutilement. Je vois quatre droits fondamentaux à accorder aux animaux non humains sensibles (ceux qui peuvent éprouver de la douleur et qui ont une conscience de ce qui leur arrive) : le droit de ne pas être tué, torturé, enfermé et vendu. Aujourd’hui, le système est incohérent : on distingue les animaux domestiques, de laboratoire, de rente, sauvages, les espèces protégées et nuisibles. Sur cette base, on accorde certains droits à des animaux que l’on refuse à d’autres, alors que leurs caractéristiques sont identiques. Par exemple, le cochon est aussi sensible que le chien, plus intelligent que lui et physiologiquement plus proche de l’homme. Mais ses droits sont niés. En outre, les droits d’un même animal varient en fonction de la catégorie dans laquelle on a décidé de le placer. Au cours de sa vie, un animal peut changer de catégorie ! Mais la douleur n’est pas un critère suffisant. Il faut cesser toute forme d’exploitation animale. Nous n’avons plus aucune raison d’en tuer pour nous nourrir, nous vêtir ou nous divertir. J’appelle au boycott de la viande, des produits laitiers, des zoos. On avance l’argument du plaisir. Celui que l’on éprouve à faire une action ne peut pourtant pas la justifier moralement.
Appelez-vous à une révolution du système ?
Il faut rendre le système cohérent d’un point de vue éthique, économique, social et culturel. Puisqu’on a commencé à reconnaître des droits à certains animaux, faisons-le pour tous. Cela implique de revoir la place de l’homme. Abandonnons l’anthropocentrisme. Car, en supposant que l’homme soit au centre de tout et non pas une partie sans prédominance, il a le pouvoir de tout et n’importe quoi sur le vivant.
Cette révolution est-elle écologique ?
L’écologie classique est superficielle et anthropocentrée. La nature y est au service de l’homme : quel équilibre peut-on trouver pour continuer à exploiter les ressources naturelles et animales sans causer notre propre perte ? Cette vision est à côté de la plaque. L’homme n’a pas à exploiter le monde pour son propre bénéfice. Et la nécessité de notre survie n’implique pas de devoir sacrifier la vie d’autrui. Intrinsèquement, la vie d’un humain n’a pas plus de valeur que celle d’un autre animal sensible. Il n’y a aucun fondement moral à faire naître un individu dans le but de s’en servir et de lui faire subir une vie atroce. La vie humaine est plus importante parce que nous représentons la culture, la conquête spatiale, là où la vache passe sa journée à brouter ? C’est une vision nombriliste. La vache a une vie qui lui suffit et qu’elle considère plus importante que tout.
Sa voix doit pouvoir se faire entendre…
C’est la base de la "biodémocratie". Au lieu de ne donner des droits à la nature que lorsqu’elle est abîmée (préjudice écologique), prenons en compte le vivant en amont en lui permettant de s’exprimer. Ainsi, une Assemblée naturelle, où siégeraient des représentants des animaux et des organismes vivants, remplacerait le Sénat au côté de l’Assemblée nationale. On ne prendrait plus uniquement en considération les intérêts économiques à très court terme. J’essaie de faire se rejoindre d’une part, ceux qui pensent à une nouvelle forme de démocratie, d’écologie et d’expression du vivant dans le cadre législatif, et d’autre part, les antispécistes qui n’ont pas réfléchi à une démocratie où les animaux s’exprimeraient. Pensons en termes politiques le statut de citoyen de l’animal.
Quel statut juridique accorder à ces membres de la communauté ?
Le même qu’à l’adulte et l’enfant, au nom de la responsabilité des uns sur les autres. En philosophie morale, on distingue les agents des patients moraux. Les premiers sont adultes, responsables et en possession de toutes leurs capacités intellectuelles. Ils ont des droits et des devoirs. Les patients moraux - les personnes déclarées folles, séniles ou incapables de prendre des décisions - ont des droits mais leurs devoirs sont différents. Les animaux entreraient dans cette seconde catégorie.
L’antispécisme n’est-il pas qu’un idéal ?
Non. Il est applicable au quotidien. Une question doit prévaloir à toute décision : qu’est-ce qui m’autorise à faire souffrir un être vivant sensible ? L’homme ne peut plus vivre en parasite mais en symbiose avec le vivant. Le capitalisme, le socialisme, le communisme, le néolibéralisme sont en cela dépassés. Entre les hommes et les animaux, il n’est plus seulement question d’origines communes mais d’un destin commun.