Pour les Arabes d'Israël, c'est l’heure du thé en Galilée
Ouvriers juifs et arabes travaillent ensemble, comme à la société Cérémonie Tea. Un reportage de notre envoyée spéciale en Galilée.
- Publié le 09-02-2016 à 19h52
- Mis à jour le 09-02-2016 à 19h57
Ouvriers juifs et arabes travaillent ensemble, comme à la société Cérémonie Tea.A l’entrée du hangar où s’organise la production estampillée Cérémonie Tea, l’air est saturé des effluves de thé et d’herbes aromatiques qui composent les assemblages produits et vendus principalement en Israël mais aussi à l’étranger.
Dans le bruit assourdissant des machines, un empilement de cartons remplis de boîtes colorées occupe tout l’espace. Une salle plus loin, les employées, blouse blanche et charlotte sur la tête, s’activent pour confectionner les sachets qui contiendront les précieux mélanges de feuilles de thé et de plantes séchées, en provenance de Chine, d’Inde et du Sri Lanka pour les premières et de plusieurs pays d’Afrique pour les autres.
C’est à Migdal HaEmek en Galilée, derrière un vaste supermarché à l’extérieur du centre-ville, que l’entreprise a installé son site de production en 2003, "principalement pour des questions de coût", résume l’une des actionnaires, Efrat Schorr, dans un anglais au léger accent américain.
Située à l’emplacement d’un ancien village arabe, Migdal HaEmek fait partie des onze "villes de développement" (ayarat pituah, en hébreu) du nord d’Israël fondées dans les années 1950 pour absorber l’immigration forte des juifs orientaux, les mizrahim, et créer des pôles de croissance économique hors des grands centres urbains tels que Tel Aviv, Haïfa ou Jérusalem.
"Aucune distinction"
Forte aujourd’hui de 28 000 habitants et située à 15 km de Nazareth, Migdal HaEmek abrite de nombreuses usines et entreprises high-tech, et parmi elles Cérémonie Tea. "Notre première idée était le café mais le marché israélien était saturé", raconte la jeune femme. "Nous avons alors opté pour le thé." Originaires de Washington DC, Elli et Efrat Schorr sont arrivés en Israël avec leurs quatre enfants, dans le cadre de l’aliya - acte d’émigration des Juifs vers Eretz Israël. Ils rachètent Cérémonie Tea en février 2013.
Une reconversion inattendue pour Efrat Schorr, cette ancienne psychologue désormais patron de seize salariés, dont la moitié est dédiée à la production. En effet, l’ensachage et la mise en boîte des thés requièrent une série de processus exigeants et précis. "Il est difficile de trouver une main-d’œuvre qualifiée", observe Efrat. "Nous avons un turn-over très important, même si certains employés sont là depuis le début."
C’est le cas de Fadia, une jeune femme arabe - la seule à porter un foulard noué sur la tête au lieu d’une charlotte de protection - qui travaille avec ses collègues sur la ligne de production des sachets de thé du dimanche au jeudi, de 8h30 à 17h.
En effet, Cérémonie Tea emploie des ouvriers arabes qui habitent dans les villages voisins de Migdal HaEmek. "Nous ne faisons aucune distinction dans nos employés. Tous ceux qui veulent travailler sérieusement ont leur place", souligne la patronne.
Parmi la main-d’œuvre disponible en Israël comprise entre 25 et 64 ans, 17 % relèvent de la communauté arabe. Un chiffre encore trop bas, selon les autorités israéliennes, qui entendent favoriser l’accès à l’emploi de ce groupe, et notamment celui des femmes.
Un point de rencontre
Plus de la moitié des Arabes israéliens vivent dans le nord du pays. En Galilée, où les localités arabes avoisinent les kibboutz, moschav et villes juives, le lieu de travail devient un espace de rencontre et d’interaction entre les deux communautés. "J’ai sûrement plus de points communs que de différences avec Fadia", expose Efrat. "Nous sommes toutes les deux mères de famille. Le matin, nous amenons nos enfants à l’école avant d’aller travailler. Le soir, de retour à la maison, nous préparons leur repas et les couchons. Et cela tous les jours."
Bien entendu, les tensions existent. Mais des rapprochements inattendus aussi. Efrat raconte ainsi que pendant la guerre à Gaza à l’été 2014, le beau-frère de Fadia, soldat de carrière dans l’armée israélienne, est mort dans un accident de manœuvre. "C’était un Arabe, un citoyen et un soldat israélien", résume-t-elle. Trois qualificatifs qui, mis ensemble, montrent que la réalité est plus subtile qu’on ne croit.
D’ailleurs, la vie de l’entreprise témoigne de cette complexité. Par exemple, la citronnelle, jusqu’alors achetée en Allemagne, arrive désormais d’Egypte, pays dont les relations avec Israël restent sensibles malgré le traité de paix de 1980. "Comment vont-ils le prendre qu’une femme israélienne les sollicite ?", s’était d’abord demandé Efrat en prenant contact avec des fournisseurs égyptiens. Mais "les gens qui veulent faire du business le font. Ils veulent vendre, c’est tout", conclut-elle simplement.
Même si les Israéliens restent de grands buveurs de café, Efrat est confiante quant à l’implantation de la marque dans le paysage israélien. "Certains de nos clients sont arabes", ne manque-t-elle pas de préciser. "Ils sont très preneurs de nos thés verts."