Voyage à Loděnice, petit village tchèque devenu capitale mondiale du vinyle
En République Tchèque, une ancienne usine communiste n'a jamais cessé de produire des vinyles même quand la demande était faible. Quand le disque est redevenu "hype", il y a peu, GZ Media était prête. A tel point que l'entreprise est devenue, aujourd'hui, l'un des plus grands producteurs de vinyles du monde. Reportage en images dans un petit village de 1.800 âmes qui fournit la planète en galettes.
- Publié le 07-02-2016 à 11h59
Pour arriver jusqu'à l’entreprise GZ Media, il faut s’armer de patience. Un seul bus par heure, parcourt la trentaine de kilomètres qui séparent le petit village de Loděnice depuis l'une des gares routières de Prague. Après une petite heure de trajet à travers la zone industrielle de la capitale et plusieurs petits hameaux avec pour seul compagnon de voyage les collines boisées de Bohême centrale, il est temps de sortir de nos rêves, lorsque le bus s’arrête. "Au restaurant Stoleti, vous tournez à droite, vous traversez le pont en travaux, c’est à 150 mètres sur la gauche, vous ne pouvez pas raté le logo GZ Media", avait indiqué dans un mail Jana Plotova, manager au sein du département des ventes et du marketing. Apparemment, il y a pourtant moyen de se tromper. Il faudra trente minutes d’errance et plusieurs dialogues de sourd avec des habitants du village aussi sympathiques que fâchés avec la langue de Shakespeare pour retrouver péniblement l’usine. Manquer une entreprise qui emploie près de 2.000 personnes dans un village de 1.800 âmes, il fallait le faire…
Le village de Loděnice se situe à quelques encablures de Prague en Bohême centrale.
Back in the U.S.S.R
Lorsque l’on passe le petit portique de l’entrée juste avant de montrer patte blanche à la réception, on se croirait encore sous le joug de l’Union soviétique. "Avant, le complexe était une usine de textiles puis de savons", explique enthousiasmée Jana Plotova en nous serrant la main. En 1948, l’entreprise GZ Media (anciennement Gramofovone Zavody) y a donc établi ses quartiers devenant aussi du même coup, aussi, un bel outil de propagande. "Sous l’ère communiste, c’était la plus grande usine de vinyles d’Europe de l’Est."
L'entreprise fondée en 1948 a succédé à une usine de textiles et de savon.
Depuis, l’URSS est tombée, l’entreprise a très vite basculé dans l’économie de marché. En traversant la seconde moitié du vingtième siècle, comme ses concurrents, Loděnice a connu les révolutions technologiques qui ont touché les supports musicaux: vinyle (1951), K7 (1977), CD (1988), DVD (2001). Mais contrairement à beaucoup d'entre eux, la politique réactionnaire (ou visionnaire) de la maison a finalement payé.
Car plutôt que de se débarrasser de ses presses à vinyles à la fin des années 80, GZ Media les a gardées bien au chaud dans un entrepôt. Bingo, quand on voit à quel point le rétro a le vent dans le dos."On a toujours pressé des vinyles même quand ce n’était plus la mode. Quand l’activité a repris il y a quelques années, on était prêts…" Un euphémisme.
Alors que l’entreprise ne produisait que 200.000 vinyles dans les années 1990, elle espérait parvenir à en presser 18 millions l'an passé. Pour faire simple, GZ Media est aujourd’hui devenu l'un des plus grands producteurs de vinyles du monde. "Nous avons une augmentation des ventes de 30% chaque année", crâne pas peu fier le directeur du département des ventes et du marketing, Michal Nemec, assis dans l'une des salles de réunion de l'usine. "Il n'y a pas assez de presses pour répondre à la demande depuis trois ans au niveau planétaire. C'est un pari risqué d'investir dans ce domaine car on ne sait pas si ça va durer. On vient juste de développer un prototype pour une nouvelle presse. C'est un test mondial, je ne vous dirai pas le prix mais c'est vraiment cher."
All day and all of the night
Allez, il est temps d’entrer dans le vif du sujet et de comprendre concrètement les clés pour fabriquer un vinyle alors qu’on arrive dans la salle où l’on confectionne à la main chaque pièce comme à l’époque. 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 360 jours par an, comme c’est le cas en ce jeudi matin, les vieilles machines vertes de l’époque n’arrêtent presque plus de tourner. Un processus de fabrication qu'on peut résumer grossièrement en quatre étapes.
La première phase s'appelle en anglais le mastering. En clair, le son numérique envoyé par le client est analysé ou corrigé par un ingénieur qui va définir les paramètres de gravure pour obtenir un son optimal. "Au départ, la musique arrive sous forme digitale par le client puis on l’a transfère en analogique", explique M.Nemec. Cette bande sonore va donc être ensuite gravée à l'identique sur un disque maître. C'est à partir de ce disque que l'on va faire les copies. Il ne faut évidemment pas se louper.
Comme dans un studio d'enregistrement, l'ingénieur veille à la qualité du son avant la gravure sur le disque maître.
Ce disque passe ensuite à l'étape de galvanisation afin de créer deux matrices qui seront finalement déposées sur la presse une fois la machine calibrée.
Les deux matrices serviront de moule pour confectionner les vinyles.
Vient ensuite l'étape du pressage. Avant de passer par la pression des 150 tonnes exercées par la machine, le vinyle n'est alors qu'une "petite galette" qui va être aplatie comme on le faisait il y a déjà plusieurs décennies. La température de la pâte se situe alors entre 180 et 200 degrés.
La formule secrète concoctée par l'entreprise a gagné plusieurs prix internationaux selon son site, mais vous n'en saurez pas plus concernant la recette qui compose cette pâte noire. "Nous avons notre propre composant mais, par sécurité, on ne donne pas nos ingrédients, c'est comme pour du parfum." On aura essayé...
La recette des granulés noirs, matière première du vinyle, est secrète.
Jana Plotova nous emmène ensuite dans une autre petite pièce pour nous faire découvrir le stock d'étiquettes qui sont apposées sur le disque au moment du pressage. Là non plus, rien n'est laissé au hasard puisque l'autocollant est séché à 100 degrés. "Il ne faut pas qu'il y ait la moindre goutte d'eau au moment du pressage."
L'occasion de jeter un oeil aux étiquettes et de se prendre conscience du prestige des artistes: The Kooks, The Ramones, U2, Elton John, Black Sabbath, Deep Purple mais aussi quelques groupes tchèques inconnus au bataillon.
Une fois pressé, le vinyle est ensuite inspecté par une des employées et déposé en deux piles. Ceux qui sont prêts à être emballés et ceux qui sont bons à jeter.
La qualité du son est contrôlée à différentes étapes.
Ash to Ashes
Même si le disque vinyle classique, donc de couleur noire, est de meilleure qualité en ce qui concerne le son, selon les dires de l'entreprise, GZ Media a aussi vite compris qu'il avait tout intérêt à produire des galettes plus originales.
L'entreprise est capable de produire des vinyles dans pratiquement tous les coloris.
Le client peut ainsi s'acheter un disque coloré. Des commandes qui représentent "25% de la demande", argue M.Nemec. Il y a même la possibilité de réaliser des galettes multicolores avec des effets spéciaux. Dans ce cas, l'opérateur glisse donc de la poudre colorée au moment du pressage. "Il y a plus de travail. C'est pour ça qu'on peut dire que ces disques sont uniques dans la mesure où le résultat dépend de la façon dont l'opérateur a mis la poudre."
Les demandes "spéciales" représentent un quart des commandes.
L'entreprise peut également rajouter une image, une feuille d'arbre, découper le disque dans une forme différente, comme ce fut le cas pour un disque des Beatles en forme de pomme. La palme de la demande la plus dingue émanerait d'un groupe de rock qui aurait souhaité déposer les cendres d'un de leurs membres dans les galettes... Une information qui n'a pas été démentie, ni confirmée sur place. "Certains clients veulent des choses spéciales. On peut faire ce qu'on veut tant qu'on respecte les règles d'hygiène", botte en touche en riant M.Nemec.
California dreaming
On termine la visite par un détour vers le département "conditionnement" où des dizaines de mains gantées enfilent précautionneusement chaque vinyle dans leur emballage. Là aussi, la lourdeur de la tâche dépend des aspirations des clients. Car GZ gère aussi le packaging et les demandes sont parfois spéciales. C'est le cas d'un coffret compilant vingt disques des Beatles ou d'une multibox commandée par les Rolling Stones. Ces derniers comme les mastodondes que sont U2 ou les Black Sabbath commandent en général 100.000 exemplaires, la quantité maximale.
L'entreprise dispose de sa propre imprimerie.
Sachez que si vous voulez vous offrir un petit plaisir, vous devrez commander au minimum 500 pièces... Ca coûte évidemment plus cher que lorsque que l'on en commande des milliers, économie d'échelle oblige. On comprend mieux dès lors pourquoi les principaux intermédiaires de l'entreprise sont les gros majors comme Universal, Sony ou Warmer et sans oublier quelques labels indépendants.
GZ Media livre l'Europe et les Etats-Unis.
Il est déjà l'heure pour nous de quitter l'entreprise en même temps qu'un stock de palettes remplies de vinyles prêtes à être embarquées pour le vol du vendredi qui décollent direction chaque semaine pour la Californie. Ou comment une ancienne petite bourgade communiste inonde aujourd'hui le marché capitaliste.