Un ex-détenu explique comment, en prison, on radicalise les petits délinquants

La prison, monde hostile, joue le rôle d’incubateur pour apprentis jihadistes, dit-il.

Annick Hovine
prison
©Photo News

Les prisons, il connaît. Condamné à 15 ans ferme, il est resté dix ans et quelques mois derrière les barreaux de Forest, Nivelles, Huy, Verviers, Lantin… Cet ex-détenu est en libération conditionnelle depuis un peu plus d’un an. Il a été personnellement témoin du phénomène de radicalisation qui s’opère dans les prisons.En mars dernier, dans la foulée de l’attentat contre Charlie Hebdo, le ministre CD&V de la Justice, Koen Geens, couchait sur papier un plan d’action contre la radicalisation dans les prisons (voir ci-contre). Certaines mesures vont dans le bon sens, mais elles prendront du temps avant d’être implantées, juge notre interlocuteur. Qui se montre très circonspect sur l’efficacité de ce plan visant à empêcher que les prisons jouent le rôle d’incubateurs pour apprentis jihadistes.

“Cela fait des années que ce phénomène existe. Quand Mohammed Merah a assassiné sept personnes dont trois enfants juifs (à Toulouse et Montauban, en mars 2012, Ndlr), j’ai vu des détenus se mettre aux fenêtres et montrer qu’ils étaient contents”.

“Ce serait bien que tu sois musulman”“La prison, c’est un monde hostile, clos, où on se sent seul, où on risque de se faire racketter et agresser. Quand des jeunes, souvent des gamins sans ressources, sont incarcérés, par exemple après des vols répétés, ils sont pris en charge par un petit groupe. On les assiste, on les aide, avec des conditions qui ne sont pas dites”. Elles sont ensuite très vite exprimées. “Ils reçoivent de l’aide pour la cantine et puis on leur dit  : “Ce serait bien que tu sois musulman”…

La plupart des conseillers islamiques essaient de faire du bon boulot, mais ils évoluent dans un contexte très difficile, poursuit-il. “Ils ont affaire, en face, à des têtes dures qui contredisent leurs positions et prétendent le contraire. Il y a beaucoup d’imams auto-proclamés en prison  ! Il suffit d’avoir un Coran en cellule et d’avancer deux ou trois préceptes. Ils expliquent aux jeunes qu’il ne faut pas faire confiance aux représentants du culte, que ce sont des agents de l’Etat, qui travaillent pour l’ennemi, tout comme les gardiens”.

C’est tranquille  : pas de bagarre…Selon notre interlocuteur, c’est très difficile pour un jeune qui a été ainsi embrigadé de se dégager de l’emprise de ses “protecteurs”. “Quand un détenu reçoit un théologien en cellule, il est très vite dissuadé par les plus radicaux”. Les conseillers islamiques devraient “impérativement” être formés aux codes des détenus, dit-il.

Et les agents pénitentiaires  ? L’ex-détenu soupire. “J’en ai vu qui préféraient fermer les yeux sur certaines choses parce que cela les arrangeait bien. Les meneurs radicaux “tiennent” les sections. Du coup, il n’y a pas de bagarres, pas de problèmes et la journée se déroule tranquillement. Beaucoup démissionnent : c’est plus simple de ne rien dire que de faire un rapport”. Les informations ne remontent donc pas à la direction de l’établissement pénitentiaire.

Exemple vécu à la prison de Nivelles, en 2011, à l’époque où Nizar Trabelsi, condamné en 2003 à dix ans de prison pour diverses infractions en relation avec des faits de terrorisme, y était détenu. “Il était tenu à l’écart et ne pouvait entrer en contact avec d’autres détenus qu’en criant à travers la porte de sa cellule ou par la fenêtre”. Quand il parlait, c’était en arabe, et les agents n’y comprenaient rien…

“Il mettait des CD à fond avec des prêches en arabe où on entendait des coups de canon et des kalachnikovs. Ce n’était pas de la musique   ! Les gardiens n’allaient pas à la confrontation. Ils se contentaient de faire baisser un peu le volume.

Que faire alors, pour éviter la contamination interne  ? Le regroupement des détenus les plus radicaux, “pour autant qu’on les détecte  !” est sans doute la moins mauvaise solution, estime encore notre interlocuteur, mais avec l’assurance qu’aucune communication ne soit possible : le “yo yo” (ou “langage de la chaussette”, avec des messages qu’on s’envoie de fenêtre à fenêtre, d’une aile ou d’un étage à l’autre) fonctionne toujours bien dans les anciennes prisons. Dans les nouveaux établissements, comme à Marche ou à Leuze, il n’est pas possible d’ouvrir les fenêtres des cellules…

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