Daniel Bacquelaine, le médecin de province
Le flegmatique Daniel Bacquelaine est sous les feux : il impose sa réforme des pensions. Portrait.
- Publié le 05-07-2015 à 09h23
- Mis à jour le 05-07-2015 à 09h24
Le flegmatique Daniel Bacquelaine est sous les feux : il impose sa réforme des pensions. Portrait. Bacquelaine, c’est d’abord un tempo. A la Chambre, où il a siégé vingt ans avant de devenir ministre, sa démarche était connue de tous, identifiable entre mille. Les députés anticipaient son arrivée au seul son de ses souliers arpentant les dalles des couloirs parlementaires. Un cadencement régulier, un brin nonchalant. Le pas lent d’un homme calme, presque d’une autre époque, qui marche à sa propre allure, imperméable à la frénésie d’un siècle shooté à Facebook et Twitter.
Voici douze mois encore, la rue de la Loi s’en moquait. "Bacquelaine ? Pas un foudre de guerre" , riait-on sous cape. En octobre 2014, quand il a été promu ministre des Pensions, à presque 62 ans, les ricanements ont fusé : "En voilà un qui a la tête de l’emploi."
Depuis, chargé de défendre la retraite à 67 ans, l’une des réformes les plus contestées du gouvernement Michel, Daniel Bacquelaine mène sa barque tout en pondération. Son tempérament pépère, voire indolent, était jusqu’il y a peu son talon d’Achille ? C’est à présent son maître atout.
Là où d’autres ministres libéraux (Hervé Jamar, Marie-Christine Marghem, Jacqueline Galant) ont paru vulnérables, déstabilisés par les critiques, il fait front avec flegme. "Dans le dossier des pensions, la star, ce n’est pas le ministre, c’est le sujet , note un élu libéral. Avec son style non agressif, Bacquelaine ne cristallise pas les haines. L’opposition cherche les incidents, il n’en donne pas."
"Je suis un légitimiste"
Un jour, pourtant, il fut belliqueux, ou du moins offensif. A l’automne 2010, quand Didier Reynders abandonne à regret la présidence d’un MR miné par les vendettas, Charles Michel dépose tout de go sa candidature. Pour le pôle reyndersien, il est exclu de laisser le champ libre au fils de Louis. Sabine Laruelle est pressentie pour le contrer. Mais la Gembloutoise hésite, finit par renoncer. Alors, Bacquelaine se lance : "Si Sabine n’y va pas, je suis prêt."
Sa candidature, toutefois, ne trahit pas tant un acte de rébellion qu’un refus des chamboulements intempestifs. "Je suis un légitimiste , explique-t-il aujourd’hui. Didier Reynders nous avait apporté une grande victoire en 2007. Je trouvais qu’il aurait dû rester président et qu’on lui faisait un mauvais procès."
Charles Michel, alors ministre de la Coopération, laboure le MR. Méthodique, quasi militaire. Il inonde les mandataires de mails et de SMS, distribue une brochure de 60 pages. Le contraste avec la campagne artisanale de son concurrent saute aux yeux. A la hâte, Bacquelaine a rédigé un pensum : "Pacifier, oser et gagner ensemble" . Il se profile avant tout comme un serviteur du parti, d’une loyauté jamais prise en défaut, au contraire d’un Michel dépeint de manière subliminale sous les traits d’un conspirateur.
Mais le député a beau être chef de groupe à la Chambre, hors de la région liégeoise, il reste un inconnu. Les bookmakers lui prédisent une défaite humiliante. Le clan Michel s’en délecte d’avance. "Bacquelaine ? Un charisme plat" , flingue Gérard Deprez.
Le match s’achève en janvier 2011 par un score plus serré que prévu, 55-45. "Trois semaines de plus et Bacquelaine l’emportait" , se prend à rêver l’un de ses supporters.
Médecins et juristes
Jamais Daniel-le-sédentaire n’a quitté sa commune de Chaudfontaine. S’il habite à présent Beaufays, sur les hauteurs riches et vertes de Liège, il a grandi non loin de là, à Embourg, entre Ourthe et Amblève. Son pedigree ? Des plus convenables : un père procureur du Roi, un arbre généalogique rempli de juristes et de médecins.
Biberonné aux "bonnes manières", il a gardé la courtoisie réservée, l’autorité naturelle de ces notables de province qui peuplent les romans de Simenon, lequel accorde à la douceur campagnarde d’Embourg une place de choix dans son grand roman autobiographique : "Pedigree". Et pour cause : l’écrivain y connut sa première expérience sexuelle.
Le jeune Bacquelaine a-t-il été un adolescent déluré ? Toujours est-il qu’il n’a pas dévié des rails. Oh, il fricote bien avec l’extrême gauche au cours de sa première année de médecine, mais la parenthèse collectiviste est brève. Dès la deuxième candi, il ressuscite une Fédération des étudiants libéraux en déshérence, qu’avait déjà présidée son père.
C’est en insoumis qu’il pénètre dans l’arène électorale, lors du scrutin communal de 1976. Là encore, cependant, la fronde est mâtinée de conservatisme. En rupture avec les responsables locaux du PLP, ancêtre du MR, qui ont conclu un préaccord avec les socialistes, l’apprenti docteur crée une liste dissidente. Et rate un siège à 20 voix près.
La suite ? Il se rabiboche avec l’appareil, devient conseiller communal en 1982, bourgmestre en 1992, député en 1994.
Régionaliste francophile
Pas moins de trois Bacquelaine figurent dans l’Encyclopédie du Mouvement wallon. Le premier, Maurice, est le père du ministre. Jean, son oncle, et Marie-Louise, sa tante, complètent un trio d’illustres militants régionalistes et libéraux, résistants au sein du réseau Wallonie libre durant la Seconde Guerre mondiale. Tous les trois étaient au Congrès national wallon d’octobre 1945.
Daniel Bacquelaine n’a pas rompu avec cet héritage-là. Ses sentiments pour la Belgique sont plutôt tièdes, et son aversion pour le nationalisme flamand, plutôt farouche. Peu porté sur les remous médiatiques, cet éternel raisonnable a toutefois pris l’habitude de taire sa conviction profonde : si le délitement de l’Etat s’accélère, comme il le pressent, le scénario d’une Wallonie française aura sa faveur.
Pour la dépénalisation du cannabis
Ses costumes six boutons croisés sont en partie un leurre. A l’inverse d’une partie des troupes MR, Daniel Bacquelaine a voté pour l’extension de l’euthanasie aux mineurs et pour le mariage homosexuel. Il s’est en revanche abstenu sur le droit à l’adoption pour les couples gays et lesbiens.
En 2000, il a déposé une proposition de loi avec Olivier Chastel pour autoriser la détention de maximum 15 g de cannabis. "De quoi fabriquer 50 joints en toute légalité" , ont calculé les amateurs de marie-jeanne. "Il faut cesser de stigmatiser les jeunes qui consomment occasionnellement, de leur coller l’étiquette trop facile de délinquants" , a plaidé le médecin de Beaufays. Récemment, il s’est montré "plutôt favorable" au projet liégeois Tadam, controversé, car visant à administrer de l’héroïne pharmaceutique à des toxicomanes dépendants. "Je suis pour une certaine tolérance et pour une approche axée sur la santé publique plutôt que sur la répression à tout prix" , assume-t-il.
Disciple de Jean Gol
Sur le plan socio-économique, il s’inscrit dans la lignée de Jean Gol, qui a été son échevin à Chaudfontaine. Plus proche, donc, de la droite décomplexée type UMP que du libéralisme social défendu par Louis Michel et Olivier Chastel. "Je ne parle jamais de libéralisme social, dit-il . C’est un pléonasme. Cela sous-entend que le libéralisme peut être antisocial."
Et puis, Daniel Bacquelaine lit. Des essais, des romans, en flux continu. Une évidence ? Pensez-vous. L’horizon littéraire des leaders politiques contemporains se limite pour l’essentiel à des notes de briefing.
Le ministre des Pensions vénère en particulier Mario Vargas Llosa, dont il a parcouru l’œuvre en tous sens. Que le prix Nobel de littérature 2010 ait été candidat libéral à l’élection présidentielle du Pérou n’est pas pour lui déplaire. Et que son roman "Le rêve du Celte" soit une condamnation totale des brutalités commises sous Léopold II au Congo ne le choque pas. "Avec le recul, on se dit que le colonialisme, ce n’était pas du tout glorieux. Mais c’est toujours facile de juger a posteriori."
Ah oui : cela ne saute pas aux yeux, mais Bacquelaine peut se transformer en compétiteur hargneux. Son fait d’armes ? 46 230 voix portées sur son nom en mai 2014. En chiffres absolus, Elio Di Rupo mis à part, c’était le meilleur score de Wallonie.