Votre smartphone se prend pour un psy
Les applications antistress ou anti-dépression se multiplient. Ces technologies peuvent avoir des effets bénéfiques, même pour des maladies cliniques. Mais attention, cela ne remplace par une vraie thérapie.
- Publié le 28-02-2015 à 18h04
- Mis à jour le 28-02-2015 à 18h38
Les applications sur smartphone pour les troubles anxieux et de l’humeur, les dépressions, la schizophrénie… C’est ce que le chercheur Joël Swendsen, dans son laboratoire du CNRS à Bordeaux conçoit avec son équipe. Exemple : le suivi au jour le jour, des patients atteints de schizophrénie. "Notre programme encourage, par des rappels réguliers sur le smartphone, le comportement adapté, pour ces patients, en particulier l’interaction sociale qui fait souvent défaut. Par exemple, si aux questions "que faites-vous en ce moment", il répond deux fois "je suis dans le sofa en train de regarder la télé", le programme lui répond qu’il est temps de sortir." Un tel programme permet aussi de rappeler la prise de médicaments, par exemple.
Motivation et encouragements
De telles applications, le psy les défend ardemment, même s’il classe ces applications en deux catégories : celles qui s’adressent aux personnes malades diagnostiquées et le grand public. Certaines, pour ce dernier, proposent des conseils de relaxation et de bien-être, de bonne humeur (phrases "zen", contrôle de la respiration, conseils concrets pour cerner et réduire les situations angoissantes…), offrent des conseils pour mieux bouger (compter le nombre de pas)… "C’est quelque chose qui peut aider les gens. On a tous des moments avec davantage de stress, de tristesse. C’est alors positif, d’avoir des encouragements dans la vie quotidienne ou des propositions d’exercice physique (ce qui est toujours positif pour le mental). Cela peut être une motivation à faire certaines choses , assure le chercheur en neurosciences. Dans celles destinées au grand public, il y a un grand panel d’offres. Et l’efficacité auprès des personnes peut être très variable. Certaines seront aidées énormément, d’autres pas du tout, mais en tout cas, cela ne sera pas nocif. C’est l’équivalent d’un bouquin de "self-help" ." Certains apps monitorent aussi l’humeur de l’internaute, Positif. C’est une sorte de "journal intelligent", qui permet aussi éventuellement de renvoyer vers un professionnel.
Une porte d’entrée
Car comment l’internaute peut-il faire la différence entre des symptômes d’une tristesse passagère et "normale", et celui d’une véritable dépression ? Ne risque-t-elle pas de se trouver démunie, seule face à Internet ? C’est là un risque, admet Joël Swendsen. Mais, selon lui, ces applications peuvent surtout être "une porte d’entrée" vers le cabinet du psy. "Parce que le vrai drame, c’est que 75 % des personnes qui sont réellement malades ne sont pas diagnostiquées, pas soignées. C’est un vrai problème de santé publique." Et, assure-t-il, les technologies mobiles ne vont pas empêcher l’internaute de se rendre dans un "vrai" cabinet : "Les apps c’est une façon de toucher la population. Si ce n’est Internet, ces personnes n’auraient aucune façon de comprendre leur problème, et d’ensuite aller chez un thérapeute." Et pour les personnes qui suivent une thérapie, les technologies mobiles - les apps doivent alors être validées scientifiquement -, complètent plutôt que remplacent le psy. "Lors d’une thérapie, 99 % du temps, les patients se retrouvent sans le psy. Dans la vie quotidienne, au moment où les patients en ont le plus besoin ! Là, la technologie peut suivre le patient, par exemple, pour l’aider à faire ses exercices demandés lors de certaines thérapies." Les technologies mobiles sont une sorte de "plan B" , comme on envoie un SMS à un ami absent. Même chose pour les thérapies par téléphone ou Skype, désormais pratiquée par les thérapeutes. Même si la priorité reste le contact humain.
"Vous téléchargeriez une application qui permet de guérir Ebola ?"
Les applications pour smartphone ne vont pas remplacer, ni compléter les thérapies traditionnelles ", estime le psychothérapeute français Michel Lejoyeux, auteur de l’ouvrage "Les cinq clés du comportement". "En revanche, elles pourraient bien initier les patients à l’idée de se faire soigner et permettre de lutter contre l’un des problèmes les plus fondamentaux de la psychiatrie : le déni." Banaliser la psychiatrie ou du moins la question du bien-être psychologique pour faciliter l’accès à "une réelle thérapie" par la suite.
Mais ce cybertraitement comporte plusieurs risques prévient le psychothérapeute. "Premièrement, le danger de tomber dans la névrose virtuelle et de développer une addiction à ces applications. Fournir des traitements contre l’anxiété sur un smartphone, c’est un peu comme soigner un alcoolique dans un bistrot. Il est incité à se connecter de plus en plus fréquemment et cela renforce une certaine frénésie qui aggrave le côté autiste que peut avoir la relation à la machine."
Deuxième risque, selon le thérapeute, intégrer l’idée qu’une application peut remplacer une thérapie en face à face. "Ce n’est absolument pas le cas , insiste Michel Lejoyeux. Et je ne dis pas ça pour garder mon job. Un thérapeute s’investit, n’est pas anonyme, il ne peut pas être déconnecté dès qu’il commence à embêter. Moi, j’offre de l’ennui, de la frustration, des déceptions, et les patients sont là, bloqués avec moi. La confrontation avec l’autre est un élément indispensable. Freud disait à ses patients : ‘Surtout, ne préparez rien.’ Alors qu’avec une application, tout est maîtrisé, calculé."
Une vraie maladie
Reste enfin, la question de l’impact de ces applications sur les personnes qui souffrent de troubles psychologiques sérieux, mais développent l’illusion de pouvoir se soigner en consultant quotidiennement un programme antidépression sur leur téléphone. "Il y a une différence ténue mais cruciale entre le mal-être existentiel et la maladie , insiste Michel Lejoyeux. Et cela se détecte avec une certaine maîtrise de la situation, la façon de questionner le patient, d’analyser son comportement, un examen clinique qui permet de détecter des symptômes précis. La médecine est un art difficile, mais les maladies psychologiques ne sont souvent pas perçues comme de réelles pathologies."
Au grand dam des psychothérapeutes, une personne souffrant de troubles psychologique se verra plus régulièrement offrir conseils et moyens de médication de la part de son entourage qu’un malade physique. La banalisation des thérapies que peuvent offrir les applications constitue donc également le principal danger de la méthode. "Est-ce que vous téléchargeriez une application qui permet de guérir d’Ebola ? Certainement pas. Mais quand il s’agit du volet psychologique, ça ne semble pas anormal. Le suicide tue pourtant 1 000 fois plus. C’est même la première cause de mortalité en Europe chez les moins de 40 ans et il requiert un traitement adapté."
Cette propension à l’automédication - et son exploitation à des fins commerciales - est loin d’être neuve. Livre, CD, cassettes et DVD offrent depuis longtemps mille et une façons de se détendre. "Mais une application est beaucoup plus dangereuse , conclut Michel Lejoyeux. Parce qu’elle donne l’illusion de proposer un soin complet. Le pouvoir d’attraction véhiculé par Internet et la technologie offrent une personnalisation inédite, qui se situe à la limite de la manipulation."
L’appli antistress
"Stress Reduction". "Détendez-vous, respirez profondément… Et maintenant expirez", recommande une voix masculine envoûtante sur un fond sonore digne de la programmation musicale d’un magasin de méditation ou de la bande originale d’un reportage sur les tréfonds de l’océan. "Pendant que l’air ressort de votre corps, laissez vos muscles se détendre." Haaaaa, nous voilà vautré dans le fauteuil d’une petite salle de réunion pour profiter au maximum de ces conseils de détente dictés gratuitement. Sympathique, à condition de ne pas s’endormir ou de voir débouler un collègue qui se demande ce que vous faites là depuis vingt minutes.
L’appli à laquelle il faut résister
"Pensées +". L’euro que coûte cette application serait l’euro le plus mal dépensé de votre vie. Gardez-le donc pour autre chose qu’une livraison quotidienne d’une phrase extraite de la pensée de noms ronflants de la philosophie accompagnée (ou accompagnant, c’est selon) d’une photo de paysage rappelant les premiers fonds d’écran offerts par Bill Gates. Bref, éminemment dispensable.
L’appli antidépression
"Relieve Depression". "Bienvenue sur ‘Relieve Depression’, l’application qui vous fait vaincre la dépression à domicile." Voilà qui donne envie ! Ou comment changer de vie sans lever les fesses de son canapé. "Avec une hypnose anti-dépression, vous pouvez vaincre une bonne partie des symptômes et vivre une vie saine et heureuse." Le tout pour 2,25 euros, soit le prix d’un aller simple en tram chez le psy le plus proche. La voix se fait plus douce. "Bien… Maintenant fermez les yeux. Respirez lentement, comme cela ouiiii…. A la prochaine respiration, diminuez la lumière à l’intérieur de votre corps. C’est bieeeen. La tension de votre dos s’évade, laissez-la partir." Imparable dans son lit après une grosse journée de boulot. De là à se sentir luxe, calme et volupté, le lendemain...
L’appli qui vous met en contact avec quelqu’un
"7 Cups of Tea". "Vous voulez parler à quelqu’un ?", propose immédiatement l’application gratuite. Oui, pourquoi pas ! "Attention, si vous êtes dans une situation qui menace votre vie, appelez la police ou le centre antisuicide !" Non, c’est bon. "Nous ne soutenons pas les personnes suicidaires, dotées de tendances meurtrières ou qui maltraitent autrui." Ça devrait aller - "Allez dans la salle d’attente du chat - vous êtes en contact avec ‘Best Song 57’." "Salut, comment ça va ?", lance l’inconnu . "Pas très bien, justement." "Qu’est-ce qui ne va pas ?" - "Je ne me sens pas bien au travail." - "Pourquoi ?" - "Personne ne me parle." - "Nous sommes très contents de t’avoir avec nous, bienvenue dans la communauté ! Continue…"