Les marchés émergents commencent seulement à Schtroumpfer
La fille de Peyo schtroumpfe les droits du dessinateur belge à travers la société IMPS (International Merchandising, Promotion & Services). Quel avenir pour ces petites créatures bleues ? Comment les Schtroumpfs occupent-ils les applications mobiles et les réseaux sociaux ? Quelles sont ses relations avec Moulinsart ? Présidente et CEO de IMPS, Véronique Culliford est l’Invitée du samedi de LaLibre.be
- Publié le 22-11-2014 à 11h44
La fille de Peyo schtroumpfe les droits du dessinateur belge à travers la société IMPS (International Merchandising, Promotion & Services). Quel avenir pour ces petites créatures bleues ? Comment les Schtroumpfs occupent-ils les applications mobiles et les réseaux sociaux ? Quelles sont ses relations avec Moulinsart ? La présidente et CEO de IMPS évoque également la sortie prochaine du film Benoît Brisefer. Véronique Culliford est l’Invitée du samedi de LaLibre.be En décembre sortira le premier film Benoît Brisefer avec Gérard Jugnot et Jean Reno. Le cinéma français, c’est un nouveau tournant pour IMPS après l’arrivée sur grand écran des Schtroumpfs ?
C’est une suite logique après la performance des deux premiers films Schtroumpfs. On est aujourd’hui capable d’assumer l’évolution d’autres personnages de mon père. Nous avions toujours à cœur de faire vivre Benoît Brisefer, sans savoir s’il fallait opter pour une série télé ou un long-métrage. Et ce, jusqu’au jour où le producteur Thierry De Ganay est venu avec une proposition qui reproduisait fidèlement l’œuvre de mon père. Cette mise en audiovisuel d’un album nous a beaucoup plu.
Contrairement au film américain Les Schtroumpfs, ce n’est donc pas vous qui êtes partie à la recherche d’un partenaire réalisateur pour Benoît Brisefer? On n’a pas fait la démarche, mais on a toujours été à l’écoute de ceux qui souhaitaient réaliser un projet autour de ce personnage.
Dans le script et la réalisation de ce genre de projets, quelles sont les limites de votre pouvoir d’influence ou droit de regard ?
Dans tous les cas, on fait respecter un droit moral qui nous permet d’avoir la garantie qu’un film soit bien réalisé dans la lignée du projet de départ. Franchement, depuis le début et à chaque étape de ce film, nous avons suivi l’évolution du script, le découpage, les effets spéciaux, le tournage,… Tout a été respecté. J’ai vu ce film plusieurs fois, et je m’amuse beaucoup… (rires) Il est plein de magie et respecte l’œuvre originale de manière fantastique. J’y retrouve ce que j’avais imaginé. Pour le film Schtroumpfs, je m’étais opposée à ce qu’ils retirent leurs bonnets blancs pour s’en servir comme parachute. Je ne voulais pas qu’on puisse voir leurs crânes.
Les Schtroumpfs sont nés en 1958 sous forme de bande dessinée. Ensuite, il y a eu la célèbre série télé dans les années ’80 et enfin le cinéma américain pour leurs 50 ans. Quel est aujourd’hui le prochain grand défi des Schtroumpfs ?
A l’instar de mon père qui s’était lancé en premier dans la série de dessins animés, on veut rester à la page et s’adapter aux nouvelles technologies. D’ailleurs, on devient de plus en plus performant sur les réseaux sociaux. La demande des fans étant importante, nous mettons en place une stratégie afin d’avoir une présence Schtroumpf officielle sur les réseaux sociaux en 2015. Très tôt, nous avons compris que les supports digitaux n’allaient plus simplement être une valeur ajoutée pour Les Schtroumpfs, mais des outils incontournables pour la pérennité de la marque. Avec notre partenaire Ubisoft, nous avons développé des jeux vidéo et un jeu Facebook "Smurfs&Co" qui a rencontré un franc succès auprès des utilisateurs depuis 2011. Notre application pour tablettes et smartphones "Smurfs’ Village" a été téléchargée plus de 30 millions de fois sur l’Apple Store.
Votre core-business reste la BD et la série télé ?
Disons plutôt que ce sont nos racines. On ne coupe jamais ses racines. Nous veillons à valoriser nos origines avec la mise à disposition de nos BD sur tablettes, la création de livres numériques et d’applications ludo-éducatives à mi-chemin entre le jeu et le livre éducatif. Le core-business de IPMS, c’est le merchandising: jeux, jouets, figurines, vêtements, produits alimentaires, opérations marketing dans la grande distribution,… Notre métier, c’est aussi de prévoir ce qui pourrait le mieux fonctionner. Avant la sortie du film, on avait décidé de mettre en avant la Schtroumpfette – et son environnement propre - vu son rôle central sur grand écran. Cela dit, on ne peut pas prévoir quelle licence fonctionnera mieux qu’une autre. Exemple, le succès du jeux iPad était foudroyant. D’ailleurs, j’y suis accro aussi… (rires)
On évoque régulièrement la création d’un parc d’attractions 100% Schtroumpfs…
C’est un beau projet, mais il n’y en a pas encore… Par contre, un parc de personnages de bandes dessinées va s’ouvrir à Dubaï. Dans ce parc d’attractions, il y aura un village Schtroumpf. En Chine, les parcs à thèmes plaisent beaucoup aussi, mais on n’est pas très loin dans le projet…
Avec un chiffre d’affaires de 42 millions d’euros en 2013, votre entreprise se porte bien. Combien de personnes travaillent dans l’univers des Schtroumpfs ?
Nous sommes et souhaitons rester une PME. Actuellement, on est une petite quarantaine de personnes à travailler pour IMPS en Belgique, à Genval. C’est d’ici que nous gérons les licences pour le monde entier. Ailleurs, nous faisons appel à des agents multi-cartes qui gèrent aussi d’autres personnages. Nous n’avons pas de bureau ou filiale à l’étranger. Pour les Etats-Unis, notre partenaire cinéma Sony est aussi chargé de faire respecter la licence dans ce pays.
Pour le 2ème film sur grand écran produit par Sony, le budget marketing de 150 millions de dollars dépassait le budget du film. Quelle est votre stratégie pour éviter que le public n’ait une overdose des Schtroumpfs ?
Je ne crains pas l’overdose, d’autant que c’est géré directement par Sony, qui sont des professionnels en la matière. Ces budgets ont toujours été bien utilisés lors de la sortie des deux films. Puis, je n’ai aucune responsabilité dans la gestion marketing autour du film. Par contre, nous gardons un droit de veto sur toutes les licences… Nous pouvons donc dire non à une licence qui ne nous plaît pas, ou mettre un frein si nous estimons qu’il y a un risque d’overdose sur le marché.
Justement, IMPS a signé pas moins de 700 contrats de licences à travers le monde. Dans quels pays l’internationalisation des Schtroumpfs est-elle la plus réussie ou prometteuse ?
Nos marchés les plus porteurs sont nos voisins européens, et en particulier l’Italie, les Pays-Bas et l’Allemagne. A travers les générations, c’est là que le chiffre d’affaires reste proportionnellement le meilleur. La Corée est un marché qui fonctionne excessivement bien. Les marchés émergents, comme l’Asie, commencent seulement à avoir des produits Schtroumpfs en circulation. La Chine, commence enfin à bien fonctionner, même si on doit y faire face à des problèmes de pirateries. De plus, le merchandising ne correspond pas toujours à notre modèle de licence, ce qui complique un peu la pénétration de ce marché. On a eu le même phénomène en Russie, qui commence seulement à diffuser la bonne vieille série télé des années ‘80… et on est déjà premier au hit-parade. Comme quoi les histoires de mon père traversent les générations.
Grâce à l’arrivée de Netflix en Belgique, les enfants peuvent découvrir cette série chez nous aussi, 30 ans après leurs parents…
Netflix, c’est encore une nouveauté à laquelle nous avons dû nous adapter… et céder les droits. Le succès de la série sur Netflix démontre que les Schtroumpfs est un incontournable mondial. Le groupe américain joue sur les deux tableaux, ils veulent pouvoir proposer des nouveautés, mais aussi des succès plus anciens, des valeurs sûres. C’est un calcul extraordinaire.
Quand vous évoquez le respect des licences et des droits, on pense immanquablement aux défis des héritiers de Hergé. Quelles relations entretenez-vous avec Moulinsart et son patron Nick Rodwell ?
On s’entend très bien avec eux, je vois régulièrement Nick Rodwell. On s’échange des informations mutuellement. Mais on ne travaille jamais ensemble, car les problèmes sont toujours très spécifiques à une marque. Je ne pense pas que d’autres auteurs travaillent ensemble…
Hergé s’opposait à ce que d’autres artistes dessinent Tintin. Votre père ne vous confiait jamais qu’il voulait rester le seul dessinateur des Schtroumpfs ?
Jamais. La situation est un peu différente, car il travaillait déjà avec son fils et sa fille. Pour lui, il était évident que ses Schtroumpfs allaient continuer à vivre à travers ses enfants. On est très rassuré par rapport à cela, car il l’a dit plusieurs fois dans des interviews. Quand on n’a pas d’enfants ou de successeurs, les choses sont certainement très différentes… J’ai travaillé avec lui 4 ans, je sais donc ce qu’on pouvait ou pas faire.
Qu’est-ce que Peyo ne voulait pas qu’on fasse avec les Schtroumpfs ?
Il refusait qu’on puisse associer les Schtroumpfs avec le sexe, l’alcool et les cigarettes. Il avait des limites morales, car c’est un personnage dessiné qui s’adresse aux enfants. L’environnement doit donc rester celui des enfants. Je refuse par exemple de mettre des Schtroumpfs sur du papier toilette, mais je ne suis pas opposé à ce qu’ils apparaissent sur des couches-culottes. Le pépète d’un adulte, c’est pas la même chose que celui d’un enfant. Dans la même logique, je dis ‘non’ aux préservatifs ou bouteilles de Beaujolais Nouveau Schtroumpfs.
Vous affirmiez que votre père s’est fait "bouffer" par les Schtroumpfs. Comment était Peyo en famille ?
Il s’est épuisé, car il voulait tout vérifier, contrôler. Quand il laissait faire, il découvrait des horreurs sur le marché. De plus, la série télé lui a pris énormément de temps afin de s’assurer que les scénarios, dessins et idées lui plaisent. Son dernier vœux était de redessiner. Il a fait le Schtroumpf financier, puis il est parti…
C’est bien vu…
En effet, j’y avais jamais pensé. (rires)
Quel souvenir gardez-vous de lui ?
C’était un papa formidable. Il ne se fâchait jamais. Il avait installé son studio à la maison, et laissait la porte ouverte. Il était par contre totalement décalé au niveau des horaires. Comme tout artiste, il travaillait sur ses idées quand elles arrivaient. Parfois en pleine nuit, il prenait des notes. Il faisait parfois appel à ma mère pour tester ses idées.