Kouchner: "Daesh, c’est l’horreur des horreurs"
À 74 ans, Bernard Kouchner, fondateur des French doctors (MSF), ex-ministre de la République française, n’a rien perdu de sa niaque, de son franc-parler. Rencontre avec Bernard Kouchner; l’ex-ministre français ne mâche pas ses mots.
- Publié le 22-10-2014 à 23h40
Rencontre avec Bernard Kouchner; l’ex-ministre français ne mâche pas ses mots.
À 74 ans, Bernard Kouchner, fondateur des French doctors (MSF), ex-ministre de la République française, n’a rien perdu de sa niaque, de son franc-parler. Avec son vieux copain Adam Michnik, autre agitateur d’idées (il a fondé la Gazeta Wyborcza en Pologne), il signe un livre d’entretiens passionnant sur les grands sujets qui ont marqué les 50 dernières années de notre planète.
Bernard Kouchner, vous qui êtes à la base de la notion de droit d’ingérence, comment expliquez-vous que la communauté internationale ne soit pas intervenue à Kobane ?
"C’est absolument scandaleux. C’est impardonnable. Les Turcs ont empêché les Kurdes d’Irak de passer sans que personne n’y trouve rien à dire. On a laissé des gens mourir en les abandonnant à Kobane. Les Kurdes, et notamment les femmes combattantes, sont incroyables. Ils ne céderont pas."
Comment expliquer le silence international ? "La France a armé - trop peu - les combattants kurdes. Pour le reste, on a attendu, comme trop souvent, que les États-Unis bougent. Obama a réagi, trop tardivement, mais il l’a fait. Les Turcs mettent en avant le fait que ces Kurdes sont des membres du PKK. C’est vrai et même si je ne suis pas favorable à ce mouvement, il faut reconnaître qu’une aile de ce mouvement, incarnée par Ocalan, a évolué."
On devrait donc choisir entre Daesh et le PKK ?
"Là, le choix est facile. Même si on peut essayer de comprendre les craintes turques face à l’éventualité d’un État kurde qui, pour moi, verra le jour, il n’y a pas à avoir une seconde d’hésitation. Daesh, c’est le mal absolu, l’horreur des horreurs. Vous savez qu’ils appellent les enfants quand ils décapitent des adversaires. Ils crucifient leurs ennemis. C’est l’obscurantisme dans tout ce qu’il a de plus barbare. Ces mecs, il faut les éliminer coûte que coûte."
Dans votre ouvrage, contrairement à votre ami Adam Michnik, vous êtes très critique pour l’Europe.
"Évidemment, le vrai fautif, c’est l’Europe qui est incapable de se construire une défense commune. Or, sans cette défense, il n’y a pas de diplomatie."
L’Europe a pourtant été à la pointe du combat contre Kadhafi. Fallait-il intervenir ?
"Rétrospectivement, c’est toujours plus facile. On a agité le droit à l’ingérence pour intervenir et sauver des civils qui auraient été massacrés sans cette intervention. Et c’est exact. J’étais plutôt en faveur de cette intervention. Mais le droit d’ingérence, ce n’est pas se contenter de bombarder. Après, il faut rester pour reconstruire. Sans quoi, c’est le chaos absolu et certains en arrivent à regretter le dictateur."
L’Europe est quand même intervenue en Libye.
"La Grande-Bretagne a facilement suivi la France. Mais elle n’est pas près d’intégrer une Europe de la défense. Ce n’est pas l’Europe, ce sont deux pays qui s’entendent à un moment donné, sur un dossier donné. On n’ira pas plus loin parce qu’il n’y a pas de volonté d’aller plus loin."
"Ebola, un monde d'égoïsme"
Bernard Kouchner rentre de Guinée Conakry où il vient d’assister à l’inauguration d’un hôpital qu’il a fait bâtir dans le bidonville de la capitale. "J’ai bataillé ferme pour trouver les capitaux mais on y est arrivé. Jusqu’ici, les femmes accouchaient par terre, sans le moindre soin. C’est ma petite pierre."
Évidemment, impossible d’évoquer ce pays sans aborder Ebola.
"Il faut vraiment saluer le travail de Médecins sans frontières. Je peux me dire que j’ai quand même servi à quelque chose. Je profite d’être à Bruxelles pour saluer l’antenne belge de MSF, c’est essentiellement elle qui est dans la zone touchée par Ebola. C’est la seule ONG présente dans tous les pays touchés par ce fléau. Chapeau bas."
A-t-on bien pris conscience du drame dans ces pays ?
"Absolument pas. Ce qui se passe en Afrique, en général, on s’en fout. Ebola, c’est le symbole de notre égoïsme. Il a fallu qu’une infirmière - qui a certainement fait un boulot remarquable - soit infectée pour que la maladie fasse la une de tous nos médias. Jusque-là, juste quelques entrefilets pour faire bien, pour se donner bonne conscience."
"Lampedusa, c'est un truc immonde"
Bernard Kouchner, comme Adam Michnik, reconnaît certaines de ses erreurs dans ce livre d’entretiens. En entretien, il en avoue une autre… "J’ai soutenu Ashton à la tête de la diplomatie européenne. Je trouvais, quand elle a débarqué à ce poste, que tout le monde la flinguait. Du coup, peut-être par esprit de contradiction, j’ai voulu la soutenir. Mais après un certain temps, j’avoue que j’ai dû changer de cap. C’était nul ! Rassurez-vous, ce ne sera pas plus brillant avec la commissaire italienne qui vient de lui succéder."
En parlant d’Italie, Lampedusa, ça ne peut pas vous laisser indifférent…
"Ce qui se passe là-bas, c’est un truc immonde. Il n’y a que l’Italie qui fait quelque chose. J’ai demandé que chaque pays de l’Union mette un bateau pour faire face à l’afflux des réfugiés. Un bateau, ce n’est quand même pas beaucoup et chaque pays a une flotte. Aucune réponse. Tout le monde s’en fout."
Kouchner - Michnik : Mémoires croisées , Éd. Allary.