Faut-il introduire le "plaider coupable" dans notre droit?

Instaurer le "plaider coupable" pour désencombrer la Justice, voilà une des mesures avancées par les négociateurs de la "suédoise". Tiens, le FDF l'avait mis aussi à son programme des législatives en 2014! Mais la mesure ne fait pas pour autant l'unanimité. Opinions croisées.

Thierry Boutte et Charles Van Dievort

Instaurer le "plaider coupable" pour désencombrer la Justice, voilà une des mesures avancées par les négociateurs de la "suédoise". Tiens, le FDF l'avait mis aussi à son programme des législatives en 2014! Mais la mesure ne fait pas pour autant l'unanimité. Opinions croisées.

OUI

Marie-Aude Beernaert, professeur de procédure pénale à l’UCL

Installée depuis 10 ans en France, la "comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité" représente aujourd’hui 10 % des condamnations prononcées par les tribunaux correctionnels, principalement dans les domaines du roulage et des stupéfiants. L’objectif de désengorger les tribunaux a donc été atteint. En Belgique, vu l’état de délabrement de notre justice, ce sera un mal nécessaire… Pouvez-vous nous présenter ce "plaider coupable" inspiré du système pénal français, qui séduit nos négociateurs ?

En France depuis 10 ans, la "comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité" (CRPC, dans le jargon judiciaire) veut accélérer le traitement judiciaire d’affaires assez simples. Le procureur de la République peut proposer à l’auteur d’un délit qui reconnaît sa culpabilité - donc en aveux - une peine - amende ou emprisonnement, ferme ou avec sursis - mais avec une double limite. La peine ne peut pas dépasser un an d’emprisonnement et la moitié de la peine "normalement" encourue. L’auteur en aveux bénéficie donc, au minimum, d’une réduction de la moitié de la peine "normale". L’accord entre le parquet et la défense est ensuite homologué par un juge qui - dans un rôle d’entérinement - ne peut que le refuser ou l’accepter et rien modifier. A côté, il y a des garanties. Outre l’intervention du juge à la fin, un avocat assiste obligatoirement à la procédure. Et la CRPC est exclue pour certains délits comme les agressions sexuelles ou les atteintes à l’intégrité des personnes.

Y a-t-il eu des réserves en France, lors de l’instauration du "plaider coupable" en 2004 ?

Elle a suscité beaucoup de critiques d’avocats et de magistrats soucieux des principes fondamentaux de notre système de procédure pénale; je dis "notre" parce que le système belge est très similaire. Parmi les critiques, on risquait de transformer le sens de la peine, censée couvrir la gravité d’une infraction. Ici, elle devient fonction de l’attitude d’un suspect selon qu’il avoue ou non. Autre critique : la CRPC portait atteinte aux principes de séparation de fonction de Justice : dans un Etat démocratique, la même instance ne doit pas poursuivre et juger. Or, le parquet décide de la culpabilité et de la peine. Autre critique : le risque d’inégalité entre les justiciables. L’idée étant de désengorger les tribunaux, il allait de soi que c’était dans les arrondissements les plus engorgés que le parquet allait appliquer davantage la procédure - qui n’est pas un droit du prévenu. Enfin, on relevait un risque d’erreur judiciaire vu que la condamnation se base uniquement sur l’aveu monnayé (par une réduction de peine) d’une personne. On pouvait imaginer des "plaider coupable" dans le chef de personnes innocentes mais sous pression.

Aujourd’hui, qu’en est-il en France de ces critiques ?

Après 10 ans, beaucoup d’opposants sont un peu revenus sur leurs positions vu la manière dont le "plaider coupable" est appliqué. Plus de 10 % des condamnations prononcées par des tribunaux correctionnels français le sont sur CRPC. Manifestement, cette procédure est utile mais elle sert surtout dans des contentieux de masse - en matière de roulage et de stupéfiants - où les faits sont simples et désignent de facto le coupable sans besoin d’un aveu. Ainsi, si un éthylotest démontre votre état d’ébriété au volant, votre aveu n’est plus nécessaire. Là, le risque d’erreur judiciaire apparaît plutôt théorique. Mais on reste à la marge de garanties fondamentales. Le CRPC est donc une sorte de mal nécessaire qui fonctionne plutôt bien, l’objectif étant de désengorger les tribunaux. On traite moins d’affaires selon la procédure complète, chronophage et exigeante, on peut donc en traiter plus. C’est présenté comme une solution win win pour tous. : l’Etat peut traiter davantage d’affaires dans des temps plus courts ; le prévenu, lui, trouve intérêt à être vite fixé et peut bénéficier d’une réduction de peine. Une réforme est toutefois en cours pour limiter les infractions et augmenter les pouvoirs du juge de fond qui pourrait réduire la peine. En Belgique, à l’époque du "grand Franchimont" - la grande réforme de procédure pénale non aboutie - on prévoyait une sorte de procédure accélérée pour les auteurs en aveux. Ce "plaider coupable" est donc une sorte de monstre du Loch Ness qui resurgit. Et dans l’état de délabrement de notre justice, on ne pourra plus hésiter trop longtemps à introduire ce mal nécessaire.

On retient davantage le "plaider coupable" made in USA…

D’origine anglo-saxonne, le plea bargain (plaidoyer de marchandage) est effectivement pratiqué dans l’immense majorité des affaires. Il reste aussi contesté vu les pressions sur un accusé qui préférerait un mauvais arrangement à un procès avec à la clé des peines additionnées jusqu’à 150 ans ou la peine de mort.

NON

Réginald de Béco, avocat pénaliste.

Il est question d’introduire dans notre droit le principe du "plaider coupable ou non-coupable" parce que ça permettrait d’avoir une Justice plus rapide. J’y suis opposé parce qu’en matière de justice, l’accusation porte seule sur ses épaules la charge de la preuve de la culpabilité. Or, plaider coupable c’est inciter le suspect à renoncer à une Justice équitable où sa culpabilité serait prouvée.

Les intentions du futur gouvernement commencent à prendre forme. Parmi celles-ci figure la volonté d’introduire le principe du "plaider coupable ou non-coupable" dans notre droit. Pourquoi cette mesure est-elle envisagée ?

Cette mesure est discutée parce qu’on se dit - à tort me semble-t-il - que cela permettrait de faire l’économie de longs procès et conduire vers une Justice plus rapide.

Pourquoi vous opposez-vous à l’introduction de ce principe dans notre droit ?

J’y suis absolument opposé pour deux raisons majeures. La première est qu’un prévenu pourrait avoir peur d’une condamnation qu’il estime inéluctable et se dire qu’il vaut mieux, alors qu’il est innocent, plaider coupable. Prenons le cas d’une personne accusée d’attentat à la pudeur sur un mineur. Elle pourrait se dire que sa parole n’aura pas beaucoup de crédit par rapport à celle de la victime devant un tribunal. Dans de telles conditions, n’ayant aucune chance de faire la preuve de son innocence et d’obtenir l’acquittement auquel elle a droit, cette personne pourrait se dire qu’il vaut mieux plaider coupable et obtenir une peine aussi légère que possible sans risquer une sanction beaucoup plus lourde devant le tribunal. La deuxième raison pour laquelle je suis opposé à l’introduction du "plaider coupable" est qu’un prévenu peut avoir peur de la médiatisation qu’entraîne une comparution devant un tribunal. Alors même qu’il serait innocent ou qu’il pourrait espérer une peine peu importante devant un tribunal, il voudra à tout prix éviter de comparaître car la condamnation médiatique, avec étalage de la vie privée ou intime, lui serait insupportable ou lui semblerait plus lourde que la condamnation pénale.

Voulez-vous dire qu’en introduisant ce principe du "plaider coupable" on fait perdre de son sens à la notion de justice ?

Exactement. Ce qui est essentiel dans la Justice, c’est le débat contradictoire, que l’accusation porte seule sur ses épaules la charge de la preuve. C’est à elle de prouver la culpabilité d’un prévenu. Or, le "plaider coupable", c’est inciter le suspect à renoncer à une Justice équitable où sa culpabilité serait prouvée.

Ce principe existe pourtant dans le droit anglo-saxon. Il a aussi été introduit en France depuis peu. N’est-ce pas une tendance de fond que de l’accepter ?

Oui et je le regrette profondément. De nombreux clients me disaient très sincèrement être innocents d’une prévention qui leur était reprochée. Pour des raisons de stratégie, c’est-à-dire la peur d’indisposer ou d’énerver le tribunal et finalement se retrouver avec une peine beaucoup plus lourde, ils m’ont dit qu’ils préféraient avouer alors même qu’ils étaient innocents et que ça paraissait évident.

Cela signifie-t-il qu’à vos yeux le droit doit être immuable ?

Il devrait l’être. Les droits de la défense, le principe de l’accusation qui porte sur ses épaules, seule, la charge de la preuve, ce sont des principes immuables. Cela me paraît être l’évidence même. Concernant toutes les questions touchant à la Justice, ou bien nous nous retrouvons avec des députés sérieux qui prennent la peine de réfléchir sur une question aussi fondamentale, ou bien nous nous retrouvons avec des députés pour lesquels un accord de majorité est une loi qu’ils n’ont qu’à voter. On voit des tas de loi fourre-tout dans lesquelles plusieurs dispositions sont votées sans que les députés prennent le temps de les examiner. De telles lois font passer des règles inacceptables. Ce sont des décisions prises à la va-vite.

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