Elle enquête sous les coups de pinceau
C’est un travail de détective que Jacqueline Couvert mène dans son labo de Louvain-la-Neuve. Microscope, UV ou rayons X lui révèlent l’invisible des tableaux. Sa mission : déterminer s’ils sont authentiques. Quatrième reportage de notre série "Drôles de labos".
- Publié le 01-08-2014 à 14h51
- Mis à jour le 01-08-2014 à 14h52
Pour pousser la porte et entrer dans cette pièce aménagée sous les combles d’un immeuble de Louvain-la-Neuve, il faut taper un code secret. Car derrière, soigneusement déposés sur les tables ou protégés dans un coffre-fort, il y a des œuvres d’art de grand prix. Ou pas.
C’est en fait Jacqueline Couvert qui doit le déterminer. Il y a quelques semaines, une personne a poussé la porte du laboratoire d’analyse des œuvres d’art de l’UCL (Musée de Louvain-la-Neuve), avec sous le bras, une peinture présumée d’un artiste du XXe siècle, célèbre pour ses couleurs vives. Il a suffi de deux secondes à Jacqueline Couvert pour briser le rêve du propriétaire et ses espoirs de fortune. "A première vue, le châssis de la peinture apparaissait récent. Puis, j’ai regardé au microscope. Et là, j’ai vu deux ou trois pixels. En fait, c’était une photocopie collée sur une toile ! Qu’on avait recouvert d’un vernis pour bluffer les gens… Après deux secondes, j’avais compris que c’était un faux !"
L’œil nu Ce boulot, la chimiste et historienne de l’art le mène pour des particuliers mais aussi pour des toiles sorties des réserves du Musée de Louvain-la-Neuve, qui reçoit beaucoup des dons privés. Et parfois pour assurer de l’authenticité et mieux caractériser la toile, l’investigation prend plusieurs semaines. Cela commence par une observation visuelle. Sur sa grande table, éclairée par les larges fenêtres qui donne sur la place Cardinal Mercier, la scientifique a déposé une toile représentant une descente de Croix, où un personnage vêtu d’un manteau d’un rouge profond, décroche de la Croix un Christ, drapé d’un tissu blanc.
Le tableau vient des collections du Musée mais ressemble comme une sœur à la célèbre peinture de Rubens, à la cathédrale d’Anvers. Du moins pour le profane. Peut-être le génie en aurait-il fait une série ? "Non , assène Jacqueline Couvert. Ça y ressemble, mais ça n’a pas le trait de Rubens. Son trait est incroyable. Il y a une telle légèreté dans son coup de pinceau ! Et puis, il y a la façon de faire les carnations, Rubens emploie des couleurs foncées avant le clair, pour modeler le visage. Pas ici. Regardez, c’est simplement clair… Et puis les mouvements sont figés; là, la réalisation du visage laisse à désirer…"
L’infrarouge Elle l’admet, une partie de son analyse est subjective. Mais la science est aussi là pour lui fournir des indices. Pour la suite du travail, il faut escalader, avec la peinture sous le bras, un escalier de bois tout raide, pour parvenir à la mezzanine. La toile est fixée sur un chevalet de bois, placé devant une caméra reliée elle-même à un ordinateur. A l’écran, l’image de la toile s’affiche en noir et blanc…
La "réflectographie infrarouge" est en train de révéler ce que la peinture gardait cachée : les traits de dessin, préparant le coup de pinceau. Le geste semble libre, rapide. On distingue déjà les contours bien marqués des personnages, les traits du visage, les cheveux… "Ça permet de mieux connaître la peinture, les habitudes du peintre, ses repentirs…" Et ici, cela confirme aussi l’idée d’une copie à partir d’une œuvre existante : "Il n’y a pas beaucoup d’hésitation, de rature…" La scientifique du "Lab Art" se base aussi sur l’histoire de l’art, qui indique que beaucoup de copies furent réalisées à l’époque. "Chaque église voulait en quelque sorte avoir sa "Descente de croix" de Rubens…"
Le microscope La spécialiste a aussi sur sa table de travail cette petite peinture sur support de bois, une représentation d’Anne d’Autriche par Antonio Moro, selon les archives. Ce peintre flamand du XVIe siècle a ici dressé le portrait d’une femme aux cheveux clairs, au cou garni d’une collerette, et dont la gorge arbore un luxueux bijou, le tout baignant dans un somptueux clair-obscur. "C’est un artiste de grande valeur, il faut voir si ce tableau peut correspondre à ce qu’on sait de lui, pour assurer l’authenticité."
Cette fois-ci, la scientifique est nettement plus optimiste. Mais il lui faut un regard plus affûté. Elle glisse la toile sous le microscope, installée au fond du labo. Grossie des dizaines de fois, la peinture laisse apparaître ses craquelures, confirmant son âge avancé. Cela permet aussi d’observer chaque coup de pinceau, dévoilant le secret de fabrication : "Regardez là, la pointe de blanc qu’il a utilisé sur la perle grise. C’est très bien fait. On peut regarder le geste du peintre en détail. Au fur et à mesure, je m’approprie l’œuvre, je saisis toute la création du tableau, je rentre dans l’œuvre du peintre. A la fin, je suis triste de voir le tableau partir…"
Les ultraviolets Dans la salle à côté, elle place aussi l’œuvre, sous une lampe spéciale, la lampe de Wood. Dans la petite pièce plongée dans le noir, une lumière ultraviolette s’attarde sur les détails de la toile. Les retouches sur la couche de vernis apparaissent. Un signe de contrefaçon ? Au contraire ! "Si vous n’avez pas de retouche, ça peut être bizarre, toutes les peintures anciennes sont malmenées. La fluorescence permet aussi de repérer certains pigments, comme le blanc de zinc, le blanc de titane, ou la laque de garance."
Les rayons X Mais pour le pigment, une autre technique est encore plus complète : celle de la microfluorescence X, un rayonnement appliqué à la peinture. Retour dans la mezzanine et au chevalet, devant lequel on place à nouveau un tripode, supportant cette boîte qui est le générateur de rayons X. Cette fois, plus d’images, mais des graphiques en escalier qui apparaissent sur l’écran d’un ordinateur. Ces spectres indiquent la présence plus ou moins importante d’éléments chimiques. Ils permettent de reconstituer la composition en pigments de la zone analysée.
Et leur emploi est différent selon les époques : impossible de trouver du blanc de titane, apparu vers 1920, dans un tableau du XVIe siècle. Pas de signe suspect ici. "Pour faire ce travail, il faut à la fois être chimiste et historienne de l’art. Mais je suis d’abord historienne de l’art car il faut une certaine sensibilité… C’est aussi un peu un travail de détective, on mène notre enquête, on rassemble et on confronte les indices…"