Onkelinx: "Le PS ne sera pas un paillasson"
La socialiste mènera l’opposition face à un "gouvernement de rupture" avec les équilibres belges. Selon elle, d’autres options étaient possibles à court terme. La confiance est rompue avec le MR de Charles Michel. Entretien.
- Publié le 26-07-2014 à 08h25
- Mis à jour le 26-07-2014 à 08h27
La perspective de voir son parti, le PS, éjecté dans l’opposition fédérale ne lui a pas ôté son sourire. "Oh, je souris tout le temps…" Laurette Onkelinx (PS), vice-Première ministre sortante, est visiblement déterminée à mener la vie dure au gouvernement "suédois" (MR, N-VA, CD&V, Open VLD) durant les cinq prochaines années.
Mme Onkelinx, prête à monter au front ?
Je pense que les partis qui négocient vont rapidement conclure. Ce sera un gouvernement un peu particulier, un gouvernement de totale rupture ! Dans notre pays, nous avons toujours construit un équilibre entre francophones et néerlandophones, que ce soit à l’échelle du pays ou en Région bruxelloise. Il existe des mécanismes de protection des minorités. C’est comme ça que peut survivre notre pays.
Un gouvernement de rupture… C’est-à-dire ?
On va être dans une configuration très particulière. Tout le gouvernement flamand monte au fédéral en emportant les deux tiers des électeurs flamands. Côté francophone, ce n’est qu’une toute petite minorité qui sera représentée - à peine un sur quatre - et en rupture avec les Régions.
C’est inquiétant ?
Oui, c’est inquiétant.
Pourquoi ?
Parce que vous n’avez plus cet équilibre des forces. On aura un gouvernement de droite, sous domination nationaliste, où les francophones seront totalement minoritaires. Le plus grand parti du gouvernement fédéral sera nationaliste !
La N-VA s’est engagée à laisser le communautaire de côté…
Il ne faut tout de même pas être trop naïf. La N-VA ne va pas se dire tout à coup que la Belgique, c’est génial. Elle ne va pas abandonner ses ambitions communautaires et la doctrine Maddens qui vise, par les compétences (Justice, Santé, etc.), à mettre les francophones dans une position de faiblesse. C’est inquiétant…
Des alternatives à la "Suédoise" étaient-elles possibles à court terme ?
C’est une évidence.
Lesquelles, à court terme ?
Pourquoi voulez-vous que cette configuration aille plus vite qu’une autre… ? Sauf si le MR, tout de suite, se met dans la roue de la N-VA. Ce qui est possible.
C’est surtout le CD&V qui s’est mis dans la roue de la N-VA…
Il était possible de former un gouvernement sans la N-VA avec les partis en présence. Le problème, c’est que ce gouvernement a, dès le départ, un vice dans sa constitution.
A savoir ?
Une trahison ! Le MR a dit, avant les élections, qu’il ne s’associerait pas avec la N-VA.
Mais le point de départ n’est-il pas que le CD&V a lié son sort à celui des nationalistes ?
Si le MR avait dit : "il n’est question que les francophones soient dans un gouvernement dans lequel ils seront totalement méprisés et minoritaires", il y aurait eu une autre configuration. Ils ont préféré y aller à n’importe quel prix, même en trahissant leur parole et la cause des francophones. Je ne fais que le constater…
Au PS, vous avez senti la tentation du CD&V de vous mettre dans l’opposition… Ce qui a d’ailleurs précipité les accords en Wallonie et à Bruxelles. N’est-ce pas cela qui a provoqué la situation actuelle ?
Au niveau régional, nous avons respecté nos engagements : former des coalitions les plus progressistes possibles, de préférence sans les libéraux.
Mais Paul Magnette (PS) a dit, pendant la campagne, que former des gouvernements dans les Régions avant le fédéral reviendrait à faire un "cadeau" à la N-VA…
Oui, il s’est exprimé. Il a dit que, si possible, il voulait de la cohérence (NdlR : entre les majorités régionales et fédérale). Après les élections, il n’y a plus eu de contacts entre les francophones et les néerlandophones. Là, on sentait qu’il n’y avait pas nécessairement cette volonté de cohérence. On a vu que le CD&V a pris langue très rapidement avec la N-VA. Il n’y avait dès lors plus cette volonté de faire quelque chose qui permettait de laisser les nationalistes en dehors du cadre de formation des gouvernements.
On y revient : le point de départ c’est surtout que le CD&V était dans la roue de la N-VA, pas le MR.
Les deux étaient dans sa roue.
Avec le CD&V qui se scotche à la N-VA, c’était la "Suédoise" tout de suite ou une crise comme en 2010-2011…
Je ne le pense absolument pas ! Si Charles Michel avait dit "je ne trahis pas la cause des francophones", on avait une tout autre perspective, d’autres possibilités - y compris sans les socialistes. Mais il n’a pas travaillé à cela à cause d’un sentiment de vengeance face à ce qui s’était passé dans les Régions. Je peux comprendre la déception, mais pas la vengeance en prenant les francophones en otages.
Charles Michel, dans sa mission d’informateur, a-t-il voulu à un moment intégrer le PS ?
Je ne le pense pas, ou alors, avec un petit jeu politicien de donnant-donnant (NdlR : entrer aussi dans les régions). Ce n’est pas comme ça qu’on fait de la belle politique.
Le PS a mis le MR dehors dans les Régions. Pouvez-vous comprendre que Charles Michel ait adopté la même attitude au fédéral à l’égard du PS ?
Les jeux politiciens existent, c’est sûr, mais ici on va plus loin. On est dans un gouvernement de rupture comme on n’en a jamais vu depuis la création de la Belgique. Il y a un vice de départ, une trahison de l’électeur. Seul un francophone sur quatre est représenté par ce gouvernement, vous imaginez ?!
La confiance entre le MR et les autres partis francophones est-elle rompue pour de bon ?
La confiance, ça se construit. Avec Charles Michel, comment voulez-vous reconstruire la confiance ? Il a appliqué l’exact contraire de ses promesses ! A l’avenir, on se dira toujours que c’est un menteur…
Concrètement, comment les francophones pourraient-ils être mis a mal par la "Suédoise" ?
Je vais d’abord attendre le programme de gouvernement. Je sais qu’ils travaillent sur base de la note de Bart De Wever (NdlR : qu’il avait déposée en tant qu’informateur royal), qui n’était pas mince sur le plan social…
Craignez-vous des tensions dans la concertation entre le fédéral et les entités fédérées ?
Ce ne sera pas évident. La rupture est totalement asymétrique puisque tout le gouvernement flamand est au fédéral, alors que du côté francophone, pour défendre les Régions et les Communautés, il n’y a aucun parti au fédéral. Ceci dit, le PS travaillera pour la stabilité du pays. Nous n’allons pas placer des bombes… Mais nous ne serons pas des paillassons, nous allons défendre les Wallons, les Bruxellois, la sécurité sociale, le bien-être belge.
Certaines décisions prises par le gouvernement Di Rupo ont été mal perçues par votre électorat. Ce passage dans l’opposition n’est-il pas bénéfique pour le PS ?
Je ne réfléchis jamais comme ça. Pour mieux défendre les gens, il faut être dans l’action, là où les décisions se prennent.
Elle sera la cheffe de l’opposition
Elle est ministre sans interruption depuis 1992… Que ce soit au fédéral ou à la Communauté française. Pour la première fois depuis 22 ans, Laurette Onkelinx va redevenir “simple” députée. Mais pas n’importe laquelle. Puisque le PS compte sur elle pour mener une opposition féroce à la Chambre contre le gouvernement suédois. “A titre personnel, j’aurais pu prendre un poste de ministre dans une région, ce qui pouvait sembler évident pour moi” , commente-t-elle. “Mais j’ai préféré être au cœur de mes convictions et de mon engagement : protéger la sécurité sociale et les francophones. C’est là que j’aurai ce travail. Pas un travail de pourrissement, non, un travail pour sauvegarder le bien-être des Belges.” Elle insiste. Et garantit qu’elle ne prendra pas la place de Rudi Vervoort à la tête de la Région bruxelloise ou d’un autre ministre dans quelques mois. “Bien sûr que non !”
La “Suédoise” ? Non, la “Kaki”…
Quel nom donner à cette coalition inédite qui associe MR, N-VA, CD&V et Open VLD ? La “Suédoise” ? Pour Laurette Onkelinx, “il faut arrêter de faire du mal aux Suédois, ils n’ont pas mérité cela. C’est quand même le pays d’Olof Palme, le pays des Prix Nobel… L’associer à ce type de gouvernement, c’est un peu dur. On a reproché aussi aux journalistes de l’appeler ‘Kamikaze’. Alors, j’ai fait un petit travail. J’ai mélangé le bleu, le jaune et l’orange. Ça donnait du kaki…” La coalition kaki ? Succès non garanti.