Une révolution en chanson
Ce 25 avril, cela fera exactement quarante ans que la "révolution des œillets" mettait un terme au régime autoritaire de Marcelo Caetano, héritier direct de la dictature d’António Salazar. Sur fond de crise, l’hymne de la "révolution des œillets" revient à la mode.
- Publié le 24-04-2014 à 19h48
- Mis à jour le 24-04-2014 à 22h20
Sur fond de crise, l’hymne de la "révolution des œillets" revient à la mode.Ce 25 avril, cela fait exactement quarante ans que la "révolution des œillets" mettait un terme au régime autoritaire de Marcelo Caetano, héritier direct de la dictature d’António Salazar. Piloté par les "capitaines d’avril" (un groupe d’officiers des forces armées partisans de la démocratie et de la fin des guerres menées par le Portugal dans ses colonies), ce coup d’Etat restera dans les mémoires comme un exemple de transition politique pacifique, illustrée par les œillets rouges que les militaires avaient symboliquement choisi de glisser dans le canon de leur fusil.
Le "chant des partisans" portugais
Une grande histoire qui repose aussi sur une petite histoire. Le soulèvement portugais restera en effet éternellement associé à la chanson "Grândola vila morena" interprétée par le compositeur et poète José "Zeca" Afonso. "Un choix qui ne doit rien au hasard", expliquent Mercedes Guerreiro et Jean Lemaître, deux journalistes coauteurs d’un intéressant petit ouvrage (1) où ils narrent le "roman de cette chanson".
C’est à un commandant de marine spécialiste des télécommunications, Carlos Almada Contreiras, que fut confiée la mission de trouver le moyen permettant de donner le signal du début des opérations aux officiers contestataires du Mouvement des forces armées (MFA) présents dans les casernes du pays. "A l’époque, il n’existait pas de système de communication intégré entre la marine, l’infanterie et l’aviation. Carlos Contreiras a donc eu l’idée d’utiliser le canal de la radio et une chanson. Il s’est inspiré d’un prêtre chilien exilé en Espagne qui lui avait expliqué comment les partisans du président Allende avaient mis en place un tel dispositif comme système d’alerte dans la crainte d’un coup d’Etat fasciste", poursuivent nos interlocuteurs.
La radio d’Etat nationale étant sous la coupe du pouvoir, les conjurés se sont rabattus sur le programme "Limite" diffusé en début de nuit sur Radio Renaissance, une radio privée pourtant favorable au régime de Caetano. "C’était une émission un peu dissidente, mais qui était tolérée. Le plus surprenant est que les censeurs qui passaient tout au peigne fin n’ont pas compris le sens réel de la chanson qui avait été choisie par le MFA", s’étonne Jean Lemaître.
Symbolique
Chanteur engagé, José Afonso avait en effet vu la majorité de ses disques interdits par la censure. "C’était une personnalité emblématique de gauche, mais qui s’est toujours tenue à distance des partis politiques. Il était perçu comme une conscience morale et politique."
Sous ses airs de chanson provinciale populaire "Grândola vila morena" (Grandola ville brune) est en fait un hommage rendu aux ouvriers agricoles de cette ville du sud du Portugal et, surtout, à l’idéal de liberté et de solidarité qui les unit.
A minuit vingt minutes et 19 secondes, ce "blues lusitanien" s’éleva donc comme un appel à la révolte sur les ondes de Radio Renaissance, sonnant le glas de la plus ancienne dictature d’Europe.
Si cette chanson fut peu à peu couverte par le voile du temps, elle a retrouvé ces dernières années une seconde jeunesse, expliquent encore Mercedes Guerreiro et Jean Lemaître. Confronté à une politique d’austérité brutale imposée par la Troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne et Fonds monétaire international) et mise en œuvre par le gouvernement libéral de Pedro Manuel Coelho, le peuple portugais "est revenu 40 ans en arrière sur le plan social".
Rassemblés au sein du mouvement "Queselixe a Troïka" (Que la Troïka aille se faire voir), les opposants ont fait de cette chanson l’hymne de leur colère qu’ils reprennent en chœur lors de chacune de leurs actions de contestation. "Cela irrite les politiques, mais il est difficile de demander à la police de charger les gens pour un chant qui incarne le retour à la démocratie du pays. Il a une puissance extraordinaire car il renvoie à une question fondamentale : le fait que liberté et progrès social vont de pair. Si on supprime des hôpitaux, des enseignants et que l’on réduit les pensions à 300 €, c’est aussi une atteinte aux libertés fondamentales."
(1) "Grândola vila morena, le roman d’une chanson" de Mercedes Guerreiro et Jean Lemaître. Editions Aden - 12€.