Inflation du prix des concerts

Entre 1998 et 2005, les prix des concerts de musique ont augmenté en moyenne de 53 %.

Alain Decrop
Inflation du prix des concerts
©Belga

Il y a quelques semaines, Johnny Hallyday se produisait à la Citadelle de Namur. "Date unique en Belgique", telle était l’accroche d’un concert pour lequel les fans devaient débourser entre 70 et 100 euros. De nombreux spectateurs actuels ou potentiels ont été choqués par le niveau de prix demandé par l’artiste. Il est vrai qu’applaudir Johnny à Forest National ne coûtait que 46 euros en 2003… Une telle inflation des prix des concerts de musiques actuelles s’est généralisée dans notre pays, comme dans de nombreux autres, au cours de ces deux dernières décennies. Elle est autant valable pour les stars internationales telles que Coldplay (de 16 euros à l’Ancienne Belgique en 2000 à 69 euros au Sportpaleis fin 2011) que pour les artistes belges tels qu’Arno (18 euros pour ses concerts bruxellois en 2002 contre 30 euros en décembre 2012).
Les amateurs de concerts vous le diront : applaudir son artiste préféré est devenu hors de prix. Une série de causes probables à cette escalade tarifaire sont souvent invoquées. Ainsi, bon nombre d’artistes ont dû revoir leur business model depuis la révolution numérique. Une étude américaine montre que les stars de la musique tirent désormais près des trois quarts de leurs revenus des concerts, les 25 % restant provenant des enregistrements, des droits d’auteur et du merchandising/sponsoring. Par ailleurs, dans de nombreux pays, certains organisateurs de concerts, dont le leader mondial Live Nation, profitent du principe de contrats à 360° incluant la scène mais aussi le disque et le merchandising, pour renforcer leur position dominante sur des marchés oligopolistiques, ce qui leur permet de tirer les prix à la hausse. L’augmentation incessante du coût des spectacles liée à des effets son et lumière de plus en plus recherchés et impressionnants explique aussi en partie l’inflation des prix. Enfin, un dernier facteur d’explication vient d’une demande sans cesse croissante pour les concerts. Comme une bonne partie des amateurs de musique ne dépensent plus leur argent pour acheter des disques ou télécharger des albums, ils ont davantage de moyens à consacrer aux concerts; c’est d’autant plus vrai pour les fans caractérisés par un attachement affectif à des artistes considérés comme uniques (fortement différenciés) et donc valorisés comme tels.

Au-delà de ces facteurs intuitifs, nous avons voulu jeter un regard plus scientifique et empirique sur les causes réelles de l’inflation des prix des concerts de musiques actuelles. Ainsi, dans une recherche récente menée à l’Université de Namur, nous avons identifié et modélisé quatre types de variables susceptibles d’avoir un impact sur le prix : les variables liées à l’artiste, à l’organisateur, au lieu de diffusion et les caractéristiques du concert lui-même. Parmi ces variables, ce sont celles liées à l’artiste que nous examinons ici, à savoir : l’expérience de l’artiste, son style musical, sa langue d’expression, sa nationalité et son succès. Nous avons testé une série d’hypothèses liées à l’influence de ces variables sur les prix, grâce à une base de données originale comportant de l’information sur 2687 concerts organisés en Belgique entre 1998 et 2005 ainsi que sur les 1521 artistes qui s’y sont produits. Les résultats indiquent tout d’abord que les prix des concerts ont augmenté en moyenne de 53 % sur la période, soit trois fois plus que l’inflation. Ensuite, il apparaît que la carrière d’un artiste, en termes d’années d’expérience et de nombre d’albums produits, a un impact positif sur les prix; il en va de même de son succès relatif, mesuré par les classements dans les hit-parades et la diffusion radiophonique. Les résultats montrent également que le style musical a une influence significative sur les prix : les artistes appartenant à des styles populaires ou de masse (pop-rock) sont moins chers que ceux se produisant dans des styles plus élitistes ou de niche (chanson, heavy-metal, hip-hop, reggae, world, etc.). Par ailleurs, les concerts des artistes belges sont meilleur marché que ceux des artistes étrangers et les artistes se produisant en anglais sont moins chers que ceux chantant dans d’autres langues. Tous ces résultats peuvent s’expliquer par le jeu de l’offre (concurrence, différenciation) et de la demande, ainsi que par l’importance des coûts liés à l’organisation de ces concerts et à la possibilité de bénéficier d’économies d’échelle. De manière globale, notre modélisation indique que la carrière de l’artiste, sa nationalité et son succès sont les principaux déterminants du prix des tickets.

Ces résultats permettent d’extrapoler la valeur de marché d’un artiste en fonction de ses caractéristiques, ce qui est susceptible d’intéresser les promoteurs de concerts ainsi que les artistes et leurs agents. Ils permettent également de mieux se rendre compte des enjeux de la fixation des prix, pour les artistes comme pour les spectateurs, dans un contexte de culture de masse et de fanatisme. David Bowie prophétisait ainsi déjà au début de ce nouveau millénaire : "La musique elle-même va devenir comme de l’électricité et de l’eau courante; les artistes doivent se préparer à faire beaucoup de tournées parce que c’est seulement là qu’ils pourront faire la différence."


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